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Des communautés européennes en voie de disparition...

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Des communautés européennes en voie de disparition...

 

par Robert Steuckers

 

Recension: Karl-Markus GAUSS, Die sterbenden Europäer, Unterwegs zu den Sepharden von Sarajevo, Gottscheer Deutschen, Arbëreshe, Sorben und Aromunen, Mit Photographien von Kurt Kaindl, DTV, München, Nr.30.854, 2011 (5. Ausgabe), ISBN 978-3-423-30854-0.

 

die_sterbenden_europaeer-9783423308540.jpgDans l’ABC politique qui nous est cher, déplorer avec anxiété la disparition des faits communautaires, des communautés humaines réelles, de chair et de sang, est une constante, couplée à une anthropologie pessimiste qui ne voit pas de “progrès” dans leur disparition mais qui constate, amèrement, que ce que l’on baptise “progrès” est en réalité une terrible “régression” dans la diversité humaine. Bon nombre d’ethnologues, d’écologistes, d’anthropologues déplorent, à très juste titre, la disparition de langues et de petites communautés ethniques dans la jungle d’Amazonie ou dans les coins les plus reculés de Bornéo ou de la Nouvelle-Guinée. Mais ce triste phénomène se passe en Europe aussi, sous l’oeil indifférent de toutes les canailles qui donnent le ton, qui détiennent les clefs du pouvoir politique et économique, qui n’ont aucune empathie pour les éléments humains constitutifs d’une réalité charnelle irremplaçable si elle venait à disparaître. Pour se rappeler que le phénomène de la “mort ethnique” n’est pas seulement d’Amazonie ou d’Insulinde, il suffit de mentionner la disparition des Kachoubes, des Polaques de l’Eau ou des derniers locuteurs de la vieille langue prussienne (du groupe des langues baltiques), suite à la seconde guerre mondiale.

 

Karl-Markus Gauss, né en 1954 à Salzbourg, est aujourd’hui le directeur de la revue “Literatur und Kritik”. Ses livres sont traduits en de nombreuses langues et obtiennent souvent des prix très prestigieux. “Die sterbenden Europäer” part d’un axiome philosophique fondamental: l’Europe doit sa dimension plurielle, sa qualité culturelle intrinsèque, à l’existence de ces communautés battues en brèche, laminées sous les effets délétères de la pan-médiatisation —qui, comme l’avait prévu Heidegger, allait induire les hommes à oublier ce qu’ils sont vraiment, à ne plus river leurs regards sur les chemins de leur lieu natal— du “tout-économique”, des idéologies réductrices et universalistes, et, enfin, des avatars du jacobinisme étatique et éradicateur qui ne cesse de sévir.

 

La communauté sépharade de Sarajevo

 

Gauss commence par évoquer la communauté sépharade de Sarajevo, issue de la diaspora venue de l’ancienne Espagne musulmane, après la chute de Grenade en 1492 et les autres expulsions qui se sont succédé jusqu’aux premières années du 17ème siècle. La langue espagnole, castillane, s’est perpétuée à Sarajevo jusqu’en 1878, où une autre communauté juive, celle des Achkenazim germanophones, va donner le ton et administrer la Bosnie auparavant ottomane. Les Sépharades de Sarajevo tombaient de haut, en voyant arriver de drôles de coreligionnaires non hispanophones, et n’ont guère montré d’enthousiasme quand il s’est agi, pour eux, de céder la place à ces nouveaux venus qu’ils ne considéraient pas vraiment comme étant des leurs. La guerre de Bosnie commence le 5 avril 1992 précisément par le coup de feu d’un “sniper” embusqué dans le vieux cimetière juif de la ville, aux innombrables tombes portant des poèmes en “spaniole” et aux quelques tombes achkenazes, évoquant des noms hongrois, autrichiens ou bohémiens. Plus tard, l’artillerie des assiégeants s’y arcboutera pour pilonner la ville. Pour empêcher tout assaut contre les pièces, le cimetière a été miné. Il a fallu six mois à une association norvégienne pour enlever les mines. La guerre de Bosnie, et la guerre de 1999 contre la Serbie, qui s’ensuivit, ont donc éradiqué une communauté ancienne, détentrice d’une certaine mémoire d’Espagne transplantée en terres balkaniques. Des 1500 juifs de Sarajevo, 750, les plus jeunes, ont quitté définitivement la ville. Un témoin issu de cette communauté judéo-spaniole, officier instructeur de l’aviation militaire yougoslave, ingénieur et concepteur de drônes avant la lettre, témoigne du départ de tous les jeunes et dit de lui: “Je ne suis pas Israélien, pourquoi donc irais-je en Israël? Je ne suis pas Américain, pourquoi irais-je maintenant en Amérique ... pour y mourir?”.

 

Gauss tire la conclusion: toutes les factions belligérantes s’étaient mises d’accord pour évacuer les Juifs de Sarajevo sous la protection de l’ONU. Ce ne fut donc pas une nouvelle forme d’antisémitisme mais bien un mode nouveau de “philosémitisme” qui porta la responsabilité de cette éradication ethno-communautaire. Le témoin, Moshe Albahari, est clair: il n’y avait pas d’antisémitisme en Yougoslavie ni au sein des factions qui s’entretuaient dans la guerre inter-yougoslave des années 90. Toutes ses factions entendaient protéger la communauté sépharade: elles se haïssaient tellement, qu’il n’y avait plus de place pour d’autres haines en leurs coeurs, précise Albahari. Mais la Bosnie indépendante et divisée, née des conflagrations inter-yougoslaves, est une “entité à drapeaux”, des drapeaux particularistes, à laquelle Albahari, sépharade, ottoman et yougoslavo-titiste, ne peut s’intéresser. Question: ces “drapeaux particularistes” n’ont-ils pas été, paradoxalement, voulu par les théoriciens de l’universalisme pour installer à terme —car tel était le but véritable de la manoeuvre— l’armée américaine dans les Balkans, plus précisément au Kosovo, autre entité étatique nouvelle à idéologie “particulariste” (islamo-albanaise)? Par voie de conséquence, ces idéologies universalistes, tant prisées par les intellocrates et les médiacrates de la place de Paris, y compris les intellocrates sionistes ou judéophiles, ne sont-elles pas les premières responsables, avec leurs commanditaires de Washington, de la disparition de la vieille communauté sépharade de Sarajevo, en dépit du fait que ces intellocrates chantaient les louanges du modèle unificateur et polyethnique de la ville? Une ville qui deviendra essentiellement musulmane, non pas selon un islam ottoman (et tolérant), au sens ancien du terme, mais, comme le souligne Gauss (p. 42), sur un mode néo-islamiste, djihadiste, financé par les Wahhabites saoudiens qui n’ont pas la moindre affinité avec l’islam “spaniole” en exil. Nous touchons là à l’un des paradoxes les plus tragiques de la dernière décennie du 20ème siècle.

 

Les Allemands du Gottschee

 

Pendant 600 ans, une communauté allemande a défriché la forêt du “petit pays”, le Gottschee, 850 km2, et l’a transformé en terres arables et fertiles. Il n’a pas fallu cinquante ans pour que la forêt reprenne tous ses droits et que les villages, jadis florissants, soient devenus inaccessibles derrière un écran touffu d’arbres et de sous-bois. Le Gottschee n’est pourtant pas loin: il se trouve en Slovénie dans le district administratif de Kocevje, à une heure de route de la capitale Ljubljana (Laibach). Le village de Verdreng, comme beaucoup d’autres, a aujourd’hui disparu, à une ou deux maisons près, où vivent encore une poignée d’Allemands, vestiges humains d’un passé totalement révolu.

 

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Leur communauté, réduite aujourd’hui au minimum du minimum, s’était constituée au 14ème siècle et, à force de défricher une forêt particulièrement dense, avait fini par bâtir 171 villages agricoles où la culture des céréales et des fruits ainsi que l’élevage du bétail étaient pratiqués. Ces paysans venaient de Carinthie ou du Tyrol oriental; il étaient surtout des cadets de famille, condamnés, en d’autres circonstances, à la domesticité ou au mercenariat: s’ils cultivaient leurs terres pendant neuf ans et un jour, elles leur appartenaient définitivement. Une aubaine dont tous voulaient profiter. Après la grande peste de 1348, qui décime la moitié de la population, le recrutement de nouveaux venus s’effectue en des régions germaniques plus lointaines: le reste du Tyrol, la Franconie et même la Thuringe. En 1492, l’Empereur Frédéric III leur accorde le privilège de devenir marchands itinérants dans la zone alpine, ce qu’ils sont restés jusqu’au lendemain de la seconde guerre mondiale, participant ainsi au désenclavement de leur communauté et en lui apprenant les choses du vaste monde, en modernisant leur allemand médiéval. Leur manière de commercer est demeurée la même au cours de ces cinq siècles: elle était basée sur la seule force physique du colporteur, qui avait sur le dos un “kraxn”, dispositif de bois permettant de porter une charge, un peu comme celui des Franc-Comtois qui transportaient loin vers la Bourgogne, la Champagne ou le Lyonnais des pendules fabriquées à Morteau ou dans les villages du “Pays horloger”. Les natifs du pays de “Gottschee” partaient peut-être au loin mais ils restaient fidèles à leur site d’origine, au “là” de leur Dasein, pour parler comme le Souabe Heidegger.

 

Cette communauté de Gottschee, théoriquement libre, souffrira considérablement du pouvoir des familles qui prendront misérablement le relais des Ortenburg, qui les avaient fait venir en Slovénie, dans l’arrière pays du diocèse d’Apulée, et leur avaient accordé le droit de devenir pleinement libres au bout de quelques années de labeur à peine. Pire: quand les armées ottomanes ravageaient la région, elles pillaient les réserves et emmenaient les paysans allemands en esclavage pour les faire trimer en Anatolie et les y dissoudre dans une population hétéroclite et bigarrée qui n’avait qu’un seul dénominateur commun: l’esclavage. En 1640, les Comtes d’Auersperg héritent du pays et décident de le développer: l’âge d’or du pays de Gottschee vient alors de commencer pour se terminer au lendemain de la Grande Guerre. Au 18ème siècle, les idées éclairées de l’Impératrice Marie-Thérèse et de l’Empereur Joseph II contribuent au développement de ces Allemands de souche exclavés, vivant de leur agriculture traditionnelle et autarcique et de leur commerce réduit à l’aire alpine et véhiculé à dos d’homme. Au 19ème siècle, cette communauté isolée envoie tant de ses enfants en Amérique qu’il y aura plus de “Gottscheer” au-delà de l’Atlantique en 1920 que dans le pays lui-même. Le premier Etat yougoslave commence une politique de “slovénisation” et de “dégermanisation” forcée, tant et si bien que lorsque les autorités nationales-socialistes rassemblent la population pour la déplacer à l’intérieur des frontières du Reich, les jeunes gens du pays ne parlent quasiment plus l’allemand: leur langue natale est si mâtinée de slovène que leurs voisins autrichiens ne les comprennent plus.

 

Pendant l’hiver 1941/1942, Hitler —qui, ici, ne se fait pas le défenseur des communautés allemandes excentrées— donne en effet l’ordre de déplacer la population locale allemande (13.000 habitants) pour offrir le terrain aux Italiens, en passe d’annexer cette partie de la Slovénie; simultanément, les partisans communistes slovènes s’emparent de la région et commencent l’épuration ethnique contre le millier de germanophones qui avaient décidé de rester, en dépit des ordres de Berlin. Quand les Italiens s’emparent d’un village tenu par les partisans, ils le rasent. Quand les partisans chassent les Italiens, ils font sauter toutes les maisons, désormais vides. On estime à 650 le nombre de “Gottscheer Deutsche” qui demeureront en Slovénie au lendemain de la seconde guerre mondiale. Tous contacts avec les “Gottscheer Deutsche” émigrés (de force) vers l’Allemagne ou l’Autriche sera formellement interdit par les autorités titistes jusqu’en 1972.

 

Ni les Allemands ni les Italiens ni les Slovènes ne tireront bénéfice de ces confrontations fratricides entre Européens: 80% de la région sont redevenus forêt. Cette régression est due aussi, explique Gauss (p. 58), à l’idéologie communiste: aucune famille paysanne, d’aucune nationalité que ce soit, n’était prête à se retrousser les manches pour redonner vie au pays, s’il fallait bosser selon les directives d’apparatchiks ignorants. Pire, le gouvernement titiste-communiste ordonne que la moitié de la région, désormais désertée, devienne une zone militaire, d’où les derniers Slovènes sont à leur tour expulsés en 1950. La “vox populi” chuchote que la nomenklatura avait décrété la militarisation de cette micro-région, non pas pour des motifs de défense nationale, mais pour qu’elle soit une réserve de chasse et de pêche exclusive, au bénéfice des apparatchiks, ou une zone de ramassage des meilleurs champignons, fins des fins de la gastronomie slovène et carinthienne.

 

L’ère titiste est désormais définitivement close. Le projet du nouvel Etat slovène et des financiers eurocratiques est de transformer la micro-région, auparavant germanophone, en une zone vouée au tourisme écologique, aux citadins randonneurs et aisés, aux chasseurs d’ours, aux amateurs de kayak sur petites rivières à débit rapide. La région ne retrouvera donc pas son charme d’antan. Après l’effondrement de la Yougoslavie dans les années 90 du 20ème siècle, la Slovénie post-communiste organise un sondage qui demande aux habitants du nouvel Etat à quelle nationalité ils s’identifient: 191 Slovènes se déclareront de nationalité autrichienne, 546 de nationalité allemande et 1543 se définiront comme “germanophones”. Ces quelques deux mille Slovènes germanophones ne sont toutefois pas tous des “Gottscheer Deutsche”, car la Slovénie abritait d’autres minorités allemandes. La répartition des “nationalités” effectives —que l’on distinguera du ridicule concept franco-jacobin de “citoyenneté” (où le citoyen est alors un être totalement désincarné et sans substance, un être fantômatique et zombifié, que tous peuvent devenir par simple déclaration, fussent-ils originaires des antipodes)— est extrêmement complexe dans la région, explique Gauss: Maribor/Marburg, aujourd’hui en Slovénie, comptait 80% d’habitants germanophones en 1910, alors que Klagenfurt/Celovec, aujourd’hui ville autrichienne de Carinthie, comptait bien plus que 20% de slovénophones à la même époque. En 1991, année du sondage slovène sur les nationalités effectives du pays, deux associations regroupant les germanophones de la micro-région de Gottschee se créent pour encadrer vaille que vaille le reste bien chiche d’une population qui avait compté environ 70.000 Allemands. Pourtant, la modestie de cette communauté germanophone résiduaire a fait paniquer les Slovènes qui entrevoyaient tout à coup le retour offensif des Autrichiens et des Allemands, après le départ des Fédéraux yougoslaves et des Serbes. Entretemps, 60.000 citoyens des Etats-Unis se déclarent originaires du “Ländchen” de Gottschee, plus qu’il n’en vivait là-bas, en Slovénie, à l’âge d’or de cette communauté.

 

Les Arbëreshe de Calabre

 

Nous sommes à 250 km de Naples dans le village de Civita, 1200 habitants, pour la plupart de souche albanaise. On les appelle les “Arbëreshe” parce qu’ils ont quitté la région d’Arbënor dans le sud de l’Albanie, il y a 500 ans. Le village semble peuplé de vieux hommes, revenus au pays après avoir bossé partout dans le monde, où leur descendance est dispersée. La Calabre compte une trentaine de villages albanophones, dont les habitants sont allés travailler en Italie du Nord, en Allemagne, en Suisse, en Belgique ou en Scandinavie. Au soir de leur vie, ils reviennent au pays de leurs ancêtres. Ceux-ci sont arrivés en Italie du Sud en 1468, par bateaux entiers, l’année où leur héros national, Gjergj Kastriota, alias Skanderbeg, meurt au combat, invaincu, face aux armées ottomanes. Les réfugiés qui arrivent au 15ème siècle en Italie sont ceux qui refusent l’ottomanisation et l’islamisation. Ils repeupleront les villages de Calabre, ravagés par la peste, la guerre, les séismes. Leur religion est marquée par les formes byzantines que l’Eglise catholique italienne accepte bon gré mal gré d’abord, sans réticence ensuite: même un Paul VI, qui a voulu balancer aux orties toutes les formes traditionnelles, finit par accepter les dérogations cultuelles accordées aux catholiques albanais de rites byzantins. Les prêtres catholiques des “Arbëreshe” sont mariés (mais non leurs évêques); ils donnent du pain et non des hosties à la communion; seule différence: ils reconnaissent tout simplement l’autorité du Pape romain, qui protègeait jadis leur nouvelle patrie contre toute offensive ottomane.

 

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Le Roi espagnol des Deux-Siciles leur accorde des privilèges en Sicile, en Calabre, en Apulie et dans le Basilicat où leur mission est de refertiliser des terres laissées en friche. Sept vagues successives, en deux cents ans, amèneront un demi million d’Albanais en Italie. Ils sont venus en même temps que des Grecs, qui, eux aussi, ont gardé leurs rites orthodoxes, de “Schiavoni” slaves et d’“Epiroti” (d’Epire). L’ancien royaume des Deux-Siciles était certes majoritairement italien mais il comptait aussi de fortes minorités italo-albanaises et italo-grecques, parfaitement intégrées tout en demeurant fidèles à leurs racines et à leur langue. Dans les troupes de Garibaldi, de nombreux Italo-Albanais ont combattu vaillament, au point que le nouvel Etat leur a d’emblée autorisé à créer des écoles où l’on enseignait les deux langues, l’italien et l’albanais. Les Arbëreshe sont donc des “doubles patriotes”, écrit Gauss (p. 106): ils sont albanais par la langue, qu’ils refusent d’oublier, et italiens par patriotisme envers la terre qui les a accueillis jadis. Dans les armées de Garibaldi et dans celles de Mussolini, les Albanais de l’ex-royaume des Deux-Siciles ont répondu “présents”!

 

Gauss a rencontré un certain Emanuele Pisarra qui lui a déclaré: “Nous ne sommes pas les meilleurs des Albanais, nous sommes les vrais Albanais!” Pourquoi? Parce que le stalinisme d’un Enver Hoxha a malheureusement transformé les fiers “Shkipetars” d’Albanie en égoïstes indignes, oublieux de leurs véritables traditions, uniquement soucieux de posséder une belle auto et une télévision, quitte à s’affilier à un réseau mafieux. Le stalinisme, pour Pisarra, avait pris le relais d’un islam ottoman, déjà annihilateur de véritable “albanitude”, de fierté nationale et d’esprit de liberté. En 1991, quand l’Albanie se dégage de la cangue communiste et que des bateaux bourrés de réfugiés abordent les côtes italiennes, Pisarra fut un des premiers à tendre la main à ces compatriotes d’au-delà de l’Adriatique, à proposer des cours, à chercher à favoriser leur intégration: il a vite déchanté. Les réfugiés islamisés et stalinisés ne veulent recevoir aucune formation, n’ont aucune empathie pour l’histoire de leurs frères albanais d’Italie méridionale. Ils veulent devenir vite riches dans le paradis capitaliste. Pire, déplore Pisarra, ils ne parlent plus la belle langue albanaise que les Arbëreshe ont cultivée pendant cinq siècles en dehors du pays d’origine: la langue s’est appauvrie et abâtardie. “Ils ont désormais une autre religion, une autre langue, d’autres valeurs, ils sont différents”, déplore Pisarra. Ils ne partagent pas la vraie culture albanaise. A l’exception, sans doute, des “Arvénites” albanophones de Grèce, qui n’avaient pas traversé la mer au 15ème siècle mais s’étaient dirigés vers le Sud grec-orthodoxe. Les “Arvénites” orthodoxes de Grèce, tout comme les “Arbëreshe” catholiques d’Italie, sont atterrés par le comportement matérialiste de ceux qui quittent l’Albanie ex-communiste ou le Kosovo pro-atlantiste pour venir embrasser de façon si obscène la “civilisation du Coca-Cola et du frigidaire de Tokyo à San Francisco”.

 

La culture albanaise (la vraie!) connaît cependant une réelle renaissance en Italie depuis quelques années. D’abord parce que l’Italie accepte ses propres minorités et promeut le bilinguisme partout où il s’avère de mise. Pour Gauss, le bilinguisme des minorités constitue, au sein de la nouvelle culture italienne, une sorte d’avant-garde capable d’être pleinement et naturellement “diversifiée” et “diversificatrice”, au sens de ce pluralisme ethnique non politisé qui a toujours fait le charme de l’Europe, avec des minorités qui passent avec une aisance stupéfiante d’une langue à l’autre dans les conversations de tous les jours. Le train de lois votées en Italie en 1999 reconnaît aux Albanais le statut de minorité, le droit d’enseigner la langue dans les écoles et d’être servis en “Arbëreshe” dans les services publics. Le temps des jacobinismes est bel et bien terminé en Italie. Un exemple pour d’autres!

 

Les Sorabes d’Allemagne

 

La région s’appelle la Lusace. Elle est longue d’une centaine de kilomètres, à cheval sur les “Länder” du Brandebourg et de la Saxe, à proximité des frontières polonaise et tchèque. Elle englobe les villes de Cottbus, Hoyerswerda et Bautzen, et de nombreux villages pittoresques. Elle est peuplée d’une ethnie slavophone: les Sorabes, dont le parler est proche du tchèque voire du polonais. Les Sorabes résiduaires, les plus ancrés dans leurs traditions, sont catholiques dans un environnement germano-sorabe majoritairement protestant; ils sont fidèle au culte marial, notamment lors des pèlerinages de Rosenthal. Tous les Sorabes portent deux noms: un nom allemand (pour l’état civil), un nom slave (pour la vie quotidienne). Exemples: Lenka Rjelcec est Elisabeth Rönschke, Jan Mlynk est Hans Müller. C’est comme ça. Depuis quelques siècles. Et personne ne s’en formalise.

 

sprachgebiet.jpgEn 805, les armées de Charlemagne s’ébranlent pour convertir les païens saxons et slaves (les “Wenden”), les inclure dans l’Empire franc afin qu’ils paient tribut. Seuls les Sorabes résistent et tiennent bon: de Magdebourg à Ratisbonne (Regensburg), l’Empereur est contraint d’élever le “limes sorbicus”. Assez rapidement toutefois, la tribu est absorbée par le puissant voisin et connaît des fortunes diverses pendant 1200 ans, sans perdre son identité, en dépit des progressistes libéraux du “Kulturkampf”, qui entendaient éradiquer la “culture réactionnaire” et des nationaux-socialistes qui suppriment en 1937 tout enseignement en sorabe et envisagent le déplacement à l’Est, en territoires exclusivement slaves, de cette “population wende résiduaire” (“Reste des Wendentums”).

 

Gauss constate que les éléments sont nombreux qui ont permis à cette identité sorabe de subsister: la langue, bien sûr, mais aussi les coutumes, les pèlerinages et les processions (équestres, mariales et pascales), les costumes traditionnels. Le plus spectaculaire de ces éléments demeure indubitablement la procession équestre de Pâques, à laquelle des milliers de Sorabes prennent part. La RDA communiste, slavophile par inféodation à Moscou, au Comecon et au Pacte de Varsovie, n’a pas interdit ce folklore et cette “chevauchée pascale” (“Osterritt”), au nom du matérialisme dialectique et de l’athéisme officiel, mais les chevaux disponibles s’étaient considérablement raréfiés, vu la collectivisation du monde agricole. Peu de Sorabes possédaient encore un cheval personnel. Des coutumes païennes immémoriales ont survécu en Haute-Lusace, comme celle du “mariage des oiseaux” (“Vogelhochzeit”), où l’on sacrifie des animaux aux ancêtres avant de les consommmer collectivement, ou celle de la “décapitation des coqs” (“Hahnrupfen”), où les garçons doivent décapiter un gallinacé avant de pouvoir danser avec l’élue de leur coeur sur la place du village. Comme dans les Alpes et à Bruxelles, les Sorabes plantent aussi l’“Arbre de Mai”. Ce folklore, marque indélébile de la “culture réactionnaire” des “Wendes résiduaires”, attire cependant de plus en plus d’Allemands, lassés des religions officielles anémiées et “modernisées”. Tous, même s’ils n’allaient plus à l’église ou au temple, y redécouvrent la vraie religion populaire. La messe ou l’office dominical(e) n’épuise pas la religion: celle-ci vit bien davantage dans les pèlerinages ou les processions, expression de la religion vraie et fondamentale, en dépit du vernis chrétien.

 

Les Sorabes ont donc résisté au progressisme du 19ème siècle, au national-socialisme et à sa politique de germanisation totale, au communisme de la RDA. La Lusace est le pays de la lignite, matière première nécessaire à la construction de “la première république allemande des ouvriers et des paysans”. L’industrialisation forcée, tablant en partie sur l’exploitation de ces gisements de lignite, devait englober tout le pays, jusqu’à ses coins les plus reculés. La collectivisation communiste de la Haute-Lusace s’accompagne de drames, d’une vague de suicides sans précédent. Les propriétaires de petites fermes modestes, transmises de père en fils depuis des siècles, se pendent quand les milices communistes viennent saisir leurs patrimoines immobiliers pour les inclure dans le système néo-kolkhozien. Ou quand les camions viennent chercher leurs avoirs pour transplanter leurs familles dans les clapiers des nouvelles banlieues: le parti a veillé à tout, ils ont désormais un centre culturel, une salle de sport et des jardins d’enfants. Mais, ils n’ont plus de terroir, de glèbe. La RDA a certes donné l’autonomie culturelle à ses citoyens sorabes mais l’exode forcé hors des villages vers les clapiers d’Hoyerswerda a contribué à les germaniser avec plus d’efficacité que la politique répressive des nationaux-socialistes. Quant à la RFA, après la réunification, elle a reproché aux Sorabes germanisés par les communistes de s’être insurgés contre le parcage dans leurs villes de vrais ou faux réfugiés politiques venus d’on ne sait où, pour bénéficier des avantages du système social allemand. Ces cibles du national-socialisme, soucieux de se débarrasser enfin des “résidus du ‘Wendentum’”, sont du coup devenus de la graine de néo-nazis, que l’on fustigeait à qui mieux mieux avec le zèle hystérique de la prêtraille médiatique!

 

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Résultat: s’il y avait 200.000 Sorabes recensés au 15ème siècle, et 300 villages bas-sorabes au 18ème, il n’y a plus aujourd’hui que quelques communes sorabes autour de Cottbus; elles sont principalement catholiques, les protestants, majoritaires et moins enclins à pratiquer les rituels ruraux qui donnent aux traditions sorabes tout leur lustre, ayant été rapidement germanisés par les pasteurs, qui, souvent, n’acceptaient que des enfants germanophones pour les préparer à la confirmation.

 

Les Aroumains de Macédoine

 

Les Aroumains sont une ethnie sans terres compactes, dispersée dans une quantité impressionnnante d’isolats semi-urbains ou ruraux ou dans les grandes villes des Balkans méridionaux, essentiellement dans l’actuelle République post-yougoslave de Macédoine. Au départ, ces locuteurs d’une langue romane proche du roumain avaient pour fonction, dans le Sud de la péninsule balkanique, d’escorter les caravanes qui pèrégrinaient entre Venise et Byzance. On évalue leur nombre à un demi-million d’âmes. Seule la Macédoine les reconnaît comme minorité. Au moyen âge, ce peuple de marchands et d’intermédiaires était réputé, hautement apprécié: on le connaissait en Europe du Nord, où ses ressortissants venaient acheter des marchandises, et son centre névralgique était Moschopolis, une ville aujourd’hui en ruine, totalement abandonnée, située en Albanie. Ce peuple porte aussi d’autres noms: le terme français “aroumain” dérive en droite ligne de l’appelation qu’ils se donnent eux-mêmes, les “armâni”; les Albanais les nomment “Remeri”, les Grecs, les “Vlaques”, les Serbes, les “Vlassi”. D’autres noms circulent pour les désigner, comme les Çobanë, la Macedoneni, les Kutzowlachen ou les “Zinzars” (Tsintsars). Les communautés aroumaines ne vivent pas en vase clos, rappelle Gauss, car ils ont participé à tous les mouvements d’émancipation nationaux-populaires dans les Balkans, depuis les temps héroïques de la révolte grecque chantée par Lord Byron, qui rencontrera d’ailleurs bon nombre de “philhellènes” qui étaient en réalité des Vlaques aroumains. Ne désirant pas perdre tout crédit au sein de cette population jugée intéressante, le Sultan turc Abdoul Hamid reconnaît leur nationalité dans un firman de 1905. Cependant, la phase finale des guerres de libération balkaniques s’achève en 1913, quand la Sublime Porte doit abandonner toutes ses possessions européennes, sauf la Thrace entre Andrinople/Edirne et Istanbul. Du coup, les Aroumains sont répartis sur quatre Etats nouveaux qui veulent absolument faire coïncider ethnicité et citoyenneté, ce qui n’est possible que par un alignement inconditionnel et assimilateur sur l’ethnie majoritaire. Les Bulgares et surtout les Grecs seront les plus sévères à l’égard des Aroumains: ces locuteurs d’un parler roman qui sont orthodoxes comme les Roumains auront été finalement mieux reconnus par les Ottomans d’Abdoul Hamid que par leurs frères orthodoxes, aux côtés desquels ils avaient combattu les Turcs!

 

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Leurs revendications actuelles, finalement fort modestes, correspondent tout simplement à ce qu’Abdoul Hamid était prêt à leur accorder le 20 mai 1905: cette date du 20 mai est devenue celle de la fête nationale de tous les Aroumains. La déréliction que vivent les Aroumains, sauf en Macédoine, a fait naître auprès de leurs conteurs une mythologie nationale grandiose: ils seraient les descendants directs des Pélasges préhelléniques et Alexandre le Grand aurait été un des leurs. De ce fait la langue “macédono-aroumaine” n’est pas une forme de néo-latin, née après la romanisation d’une partie des Balkans et surtout de la Dacie: elle est bel et bien la langue originelle de la région, à peine mâtinée de latin d’Italie.

 

Sur le plan politique, les Aroumains regrettent l’ère titiste en Yougoslavie, car le régime les avait autorisés à avoir des associations culturelles propres. Ils reprochent toutefois à Tito d’avoir été un communiste car cette idéologie ne leur permettait plus d’exercer leur fonction traditionnelle de négoce. Aujourd’hui, ils se félicitent des dispositions bienveillantes que leur accordent les autorités macédoniennes mais se méfient de l’albanisation croissante de cette république ex-yougoslave car en Albanie, où les Aroumains sont la minorité la plus importante, ils ne sont nullement reconnus. Au Kosovo, nouvel Etat né par la grâce de l’idéologie américaine et “droit-de-l’hommarde”, les Aroumains sont persécutés par les bandes de l’UÇK, au même titre que les Serbes ou les Roms. En Macédoine, ils peuvent à nouveau “aroumainiser” leurs patronymes. Le peintre aroumain Martin s’est en effet appelé Martinovic en Serbie et Martinov en Bulgarie, avant de devenir Martinovski en Macédoine. Les Aroumains ont certes été respectés pour leur savoir-faire et pour leur niveau culturel élevé mais, dans les Etats ethno-nationaux des Balkans, ils ont toujours été considérés comme “suspects”: les Albanais les prennent pour des “Grecs déguisés” cherchant à arracher le Sud de l’Albanie pour la livrer aux Hellènes. Les Grecs, eux, les considérent comme un reliquat pré-hellénique au niveau de civilisation fort bas ou comme des “agents macédoniens”. Les Bulgares les accusent d’être des “Macédoniens yougoslavistes” refusant de participer à la création d’un “saint royaume bulgaro-macédonien” englobant une bonne part de l’actuelle République de Macédoine. Dans le contexte européen actuel, ces suspicions ne sont évidemment plus de mise.

 

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En Grèce, la plupart des Aroumains/Vlaques vivent dans un isolat de la région des Monts Pindos mais sont soumis à une politique d’assimilation forcenée: le terme qui les désigne, “Vlaque”, est devenu synonyme, en grec, de “primitif”, d’”homme des bois”, d’”inculte”, d’”idiot”. Cette propagande négative incessante fait que bon nombre de Vlaques, aussi pour éviter la déportation vers d’autres régions ou vers des îles arides de l’Egée, abandonnent leur identité romane, ne la transmettent plus à leurs enfants, phénomène navrant que l’on a vu se produire ailleurs en Europe aussi, le jacobinisme français n’ayant pas fait de cadeaux aux Bretons celtophones, jugés “arriérés” comme Bécassine, le britannisme anglais ayant également traité les sujets irlandais de leurs rois et reines de “primitifs” et le système belge ayant considéré parfois sa majorité (!) flamande de la même manière, au nom d’on ne sait trop quelle “excellence”. L’ingénieur “grec” Vasile Barba, de souche aroumaine, lutte pour la survie de son peuple en Allemagne, où il anime un “Zentrum für aromunische Studien” à Fribourg-en-Brisgau. Il est une voix très écoutée et très respectée dans les communautés aroumaines éparses de Grèce, de Bulgarie et de Macédoine.

 

Le sort des minorités aroumaines nous permet de formuler quelques suggestions: 1) la mémoire balkanique ne peut se passer de la mémoire “aroumaine”, d’autant plus qu’elle est romane au beau milieu d’un monde slave, hellénique et illyrien-balkanique; cette spécificité doit donc être protégée; 2) on s’aperçoit que l’immixtion américaine au Kosovo a déjà fortement ébranlé le patrimoine serbe-orthodoxe, suite aux vandalisations des monastères et des bibliothèques par les milices atlanto-wahhabites stipendiées par Washington; le travail de Gauss nous apprend que les communautés aroumaines, parce qu’orthodoxes, subissent là-bas le même sort au nom de l’idéologie des droits de l’homme et du fondamentalisme saoudien. Il est temps, pour les esprits lucides, de dénoncer, au nom du droit concret des minorités et au nom de la défense du patrimoine mondial, cette collusion malsaine que les médias véreux camouflent soigneusement car il est bien entendu que l’Oncle Sam a, pour ces mercenaires, le droit inaliénable de s’allier avec n’importe qui, avec n’importe quel ramassis d’iconoclastes, pour pouvoir à terme disposer de sa grande base au beau milieu de la province serbe du Kosovo afin de contrôler étroitement l’espace pontique, la péninsule balkanique, l’Anatolie et le bassin oriental de la Méditerranée (avec le Canal de Suez).

 

Robert Steuckers.

(février 2014).


Gilbert Sincyr

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Robert Steuckers:

En souvenir de Gilbert Sincyr (1936-2014), Premier Président européen de “Synergies Européennes”

3076329118.jpgJ’ai rencontré pour la première fois Gilbert Sincyr à l’Ecole des Cadres du G.R.E.C.E. de 1980, baptisée “Promotion Thémistoklès Savas”, du nom d’un camarade grec, tué quelques mois plus tôt dans un accident de moto, alors qu’il sillonait les routes étroites et sinueuses des montagnes de l’Epire. Cette “Ecole des cadres” était rondement menée par Philippe Marceau qui, plus tard, sous son vrai nom, animera les structures des “Identitaires” avant de s’en dissocier récemment pour aborder d’autres activités. Marceau était cadre d’entreprises et abordait les choses de manière pragmatique: il avait notamment fait activer une caméra qui nous filmait alors que nous devions prononcer un bref exposé ou répondre à des questions critiques venues d’un public certes fictif mais dont les interpellations étaient bel et bien calquées sur celles que formulaient les participants aux activités du G.R.E.C.E. qui vivait alors sa période de gloire, bien ancré qu’il était dans le monde médiatique grâce au “Figaro Magazine”. Dans ces exposés filmés, pas question de se gratter le nez, de jouer avec un stylo à billes, de se tordre les paluches car le film montrait combien de tels gestes inconscients étaient ridicules: immense leçon de modestie et de maîtrise de soi! Marceau avait aussi prononcé un exposé d’une clarté limpide sur les types de personnes à recruter pour animer des cercles locaux, des antennes régionales, etc.: je m’en suis toujours souvenu! On était loin du pilpoul que d’aucuns ont reproché au G.R.E.C.E. quelques années plus tard, après que Marceau eût tiré sa révérence.

Sur les crêtes du Lubéron

Cette “Ecole des cadres” avait prévu, comme d’habitude dans toutes les activités du G.R.E.C.E. en Provence, une longue promenade sur les crêtes du Lubéron. Gilbert Sincyr était dans mon équipe et jouait le rôle du serre-file derrière les plus jeunes, dont Patrick Bouts, Stefano Sutti Vaj et moi-même, qui gambadions comme des cabris. Sincyr m’a alors dit qu’il venait de fêter ses 44 ans et qu’il avait beaucoup “crapahuté” (terme militaire qu’il m’a appris!) en Algérie pendant le conflit qui avait opposé la France au FLN. Gilbert Sincyr, originaire de Picardie, de la région d’Abbeville, avait en effet servi en Algérie de 1958 à 1961 comme conscrit dans une unité de combat particulièrement efficace et y avait gagné une citation. Il s’était ensuite installé dans la région de Toulouse. Après l’“Ecole des cadres” de 1980, j’ai revu Gilbert Sincyr en Provence, à Roquefavour, en juillet 1984, où il était accompagné de son fils. C’était à l’occasion d’un séminaire spécial organisé par Guillaume Faye, à l’époque infatigable animateur du département “Etudes et recherches” du G.R.E.C.E. Nous avons eu quelques conversations banales, sur la famille, les études, le quotidien, réalités prosaïques sur lesquelles Gilbert Sincyr a toujours voulu demeurer branché, avec raison, car elles sont le socle incontournable de toutes nos actions (et Heidegger ne l’aurait pas démenti...). Gilbert Sincyr m’a aussi parlé, au cours de ces journées, de ses activités de délégué syndical au sein de son entreprise, qualité inhabituelle en milieux néo-droitistes à l’époque.

Deux ans plus tard, Gilbert Sincyr remplace Jean-Claude Cariou au poste de Secrétaire-général du G.R.E.C.E. Tâche ardue et ingrate car l’éviction de Cariou, à cause des manigances abjectes d’Alain de Benoist et de sa clique de séides infréquentables, a été une page fort sombre de l’histoire du G.R.E.C.E, sur laquelle je me suis déjà exprimé (*). C’est bien sûr une époque où le G.R.E.C.E. ne dispose déjà plus de “fenêtres” dans le monde médiatique, celui qui compte vraiment dans l’Hexagone: ses équipes ont été exclues du “Figaro Magazine” et l’entreprise ambitieuse d’Alain Lefèbvre, “Magazine Hebdo”, a également capoté au bout de deux années, étouffée par le refus des publicitaires d’acheter des pages dans ce “news” d’un non-conformisme finalement assez ténu. Par ailleurs, les options trop “droitistes” de ces organes de presse ne cadraient plus exactement avec l’évolution intellectuelle et critique du mouvement, où l’on avait décidé, dorénavant, de mettre l’accent sur une défense des valeurs historiques européennes contre les non-valeurs imposées par le soft power de la “Communauté atlantique”, sur la nécessité d’une déconnexion par rapport à l’O.T.A.N. et aux institutions économico-financières de l’Occident, toutes positions que le public de droite, giscardien ou chiraquien, n’était pas prêt à accepter. Gilbert Sincyr devait alors gérer son secrétariat dans un espace où s’accumulaient les porte-à-faux. Quand Sincyr était Secrétaire Général du G.R.E.C.E., je n’ai pratiquement jamais eu affaire à lui, l’année 1986 ayant été la plus dynamique et la plus active du groupe E.R.O.E. (“Etudes, Recherches et Orientations Européennes”), qui, au départ de Bruxelles, travaillait très étroitement à l’époque avec ses amis britanniques du groupe IONA et allemands du “Gesamtdeutscher Studentenverband” (GdS), ainsi que dans un cadre belge bien bilingue, grâce notamment aux efforts d’Erik Van den Broele, de Bruges, et du regretté Reinhard Staveaux, de Ternat, décédé prématurément quelques années plus tard. A cette époque, où je ne passais presque plus à Paris, je n’ai eu qu’une très brève conversation avec Sincyr dans les locaux du G.R.E.C.E., rue Charles-Lecocq dans le XVème. Manifestement, de Benoist, inquiet et jaloux du succès, finalement fort modeste, de l’E.R.O.E. avait raconté à Sincyr pis que pendre à notre sujet —car tous ceux qui lui déplaisaient étaient toujours décrits comme de “dangereux extrémistes” ou des “terroristes potentiels”— et le Secrétaire général du G.R.E.C.E., qu’était devenu Sincyr, prenait alors des airs fort soupçonneux en me posant des questions sur nos activités.

Un secrétariat général très difficile

Mais tout en prêtant l’oreille aux médisances fielleuses d’Alain de Benoist, heureusement contrebalancées par les analyses plus rationnelles de la situation que posait Guillaume Faye à l’époque, Sincyr s’apercevait que le navire prenait eau de toutes parts. Cariou laissait derrière lui un grand vide, d’autant plus que le prestigieux Président, le Prof. Jean Varenne, indianiste de réputation internationale, avait été écoeuré et atterré par le comportement inique des hommes de mains français et vietnamiens d’Alain de Benoist, lors du “procès” interne intenté contre Cariou, viré illico pour avoir osé demandé un salaire décent pour Faye, à l’époque principal animateur de la revue “Eléments”. Varenne avait définitivement quitté les locaux de la rue Charles-Lecocq, sans mot dire et sans plus jamais donner de nouvelles. D’autres avaient fondé une association parallèle, l’I.E.A.L. (“Institut Européen des Arts et des Lettres”), qui appuyait l’E.R.O.E. dans ses initiatives françaises ou franco-belges (et c’est surtout cela qui inquiétait de Benoist...). Ensuite, au printemps de l’année 1987, Faye prend définitivement congé du G.R.E.C.E, en rédigeant une lettre très pondérée et équilibrée aux amis de son combat métapolitique, puis anime, dans un premier temps, les cercles bretons de Paris avec son ami de toujours, Yann-Ber Tillenon, avant de disparaître pendant une douzaine d’années dans l’univers très différent du show-bizz. Au bout de dix-huit mois, Sincyr est bien forcé de s’apercevoir, à sa grande désolation, que la baraque est vide, sauf bien entendu le bureau capharnaümesque de l’intrigant-en-chef, flanqué de son bougre-à-tout-faire que j’aimais à surnommer “Vlanparterre”, loueur de microphones et recruteur de tirailleurs tonkinois (on me comprendra...). C’est alors au tour de Sincyr, désabusé, de tirer sa révérence, de retourner à Toulouse et de dresser le bilan avec ses amis de la région, fort nombreux, au départ, à avoir été séduits par le combat métapolitique du G.R.E.C.E. Ces personnalités du pays toulousain, du Languedoc et du Bordelais vont alors, autour de Sincyr, réfléchir à d’autres possibilités de réamorcer un combat métapolitique efficace sans qu’il ne soit, cette fois, handicapé par l’irrationalité puérile et malfaisante de personnalités narcissiques, de vieux gamins immatures à problèmes irrésolus, et sans véhiculer un flou artistique permanent et désorientant quant au message à transmettre. C’est fort de ce repli, de ce “withdrawal” introspectif, que Sincyr me recontactera cinq ans plus tard.

En attendant, onze ans se sont écoulés depuis notre première rencontre en Provence: Sincyr a désormais 55 ans. A l’automne 1988, Charles Champetier, qui n’a que dix-neuf ans, a pris contact avec le G.R.E.C.E. moribond, végétant autour de de Benoist et de son drôle de zouave de Vlanparterre. Champetier donne réellement une impulsion nouvelle à l’association qui, grâce à ses très jeunes recrues, va connaître une renaissance vigoureuse dans les années 1989 et 1990. Le G.R.E.C.E. est désormais flanqué d’une structure modeste mais efficace que l’on a appellé “Nouvelle Droite Jeunesse” (N.D.J.). Elle publie un bulletin, “Metapo”, que je fais imprimer à Bruxelles.

Universtié d’été 1991

Début 1991, après une épuration de cette structure, à l’instigation du grand comploteur habituel, le G.R.E.C.E.-N.D.J. se rétrécit, perd quelques fortes personnalités jeunes (issues des milieux néo-gaullistes ou gaullistes de gauche) et s’aligne sur la politique erratique des “aggiornamenti” constants et quotidiens, sur la fébrilité touche-à-tout d’Alain de Benoist qui prend un malin plaisir à choquer et à désorienter ses propres vieux amis, au lieu de leur expliquer calmement, avec bienveillance, la nécessité qu’il y a parfois (mais pas toujours...) à adapter le discours sans renoncer à l’essentiel. Champetier, malheureusement, fasciné au mauvais sens du terme par son “Maître”, embraye sur cette politique néfaste, croyant bien faire et n’ayant plus rien à perdre car son militantisme trop zélé l’a conduit à rater ses études: il est désormais un jouet aux mains de son manipulateur retors. L’Université d’été du G.R.E.C.E. de 1991 est une catastrophe, alors que celle de 1990 avait été un franc succès. Sous l’impulsion de Maurice Rollet et d’Arnaud Hautbois, les veillées, en cette campagne isolée de l’arrière-pays aixois, comprenaient, faute d’autres distractions, des libations diverses mais surtout des sketches amusants, imités, le plus souvent de ceux de Thierry Le Luron, vedette du show-bizz à l’époque. Hautbois était un virtuose de ce genre de spectacle et un bon imitateur de Le Luron. Pendant que Hautbois se démenait sur la scène improvisée, le lugubre de Benoist était au fond de la salle, l’air sinistre, la trogne grimaçante, le cul pincé, la lippe nicotinée prête à éructer, et désapprouvait l’humour (faculté dont il est effectivement dépourvu) des animateurs. L’un d’eux, ami de Guillaume Faye, E.L., avait émis quelques blagues en chantant dans une fausse langue soi-disant “vieille-slavone”. Ces histoires drôles et ces contrepèteries étaient peut-être un peu lourdes mais je ne me souviens pas de leur teneur tant elles étaient somme toute anodines, en marge des sketches de Hautbois. Aussitôt, de Benoist ordonne qu’E.L. soit jugé par un tribunal composé à la hâte, présidé par le nouveau Secrétaire Général Xavier Marchand. Les “juges” s’installent alors à une grande table disponible dans une pièce annexe et le “prévenu” doit s’installer sur un vieux siège avant de Peugeot 403, au tissu complètement élimé, sans pieds, ce qui le place automatiquement très bas —les longues jambes de cet homme de haute taille étant pliées, avec les genoux à hauteur de son menton— par rapport à ceux qui vont, dans ce tribunal de sotie, prononcer sa condamnation avec toute la sévérité voulue. J’étais effaré du spectacle mais le prévenu n’était guère impressionné: il répondait en rigolant et augmentait ainsi la fureur de ses interlocuteurs, qui fulminaient des imprécations “logorrhiques” sans rien entendre. Maurice Rollet était bien embêté et aurait voulu éviter cet incident grotesque. Je regardais la scène par une fenêtre et je m’esclaffais, incapable de retenir un rire homérique en zyeutant les tronches courroucées de Benoist et de Marchand. A côté de moi, une militante du Périgord, qui avait suivi la ligne de retrait préconisée par Sincyr et ses amis des pays occitans, qui était venue espionner les néo-grecistes, me dit que ce type de comportement n’est pas d’esprit “communautaire” comme il faudrait l’entendre et que les déviances idéologiques boîteuses et fumeuses émises depuis l’épuration récente de la N.D.J. ne faisaient que jeter le désarroi et la confusion dans les esprits. Elle me signale qu’une structure alternative a été construite à la manière d’un “second échelon” et que ce second échelon aurait bien besoin de mes compétences.

J’entendais tout de même respecter mon serment de rester fidèle à la structure de départ, sans doute parce que je suis naïf et candide comme Tintin, ou du moins que je l’étais encore à l’époque, où je n’avais que 35 ans. De toutes les façons, il fallait que je montre à autrui, amis comme adversaires, une bonne cohérence dans mes engagements, faute de quoi j’aurais eu l’air ridicule. Mais je ne contestais pas la nécessité de corriger le tir, vu que l’association, qui avait pourtant connu une renaissance entre 1989 et début 1991, repartait de plus belle en quenouille, sous la fausse direction d’une parfaite marionnette comme Xavier Marchand, nouveau “Secrétaire général” et, par là, successeur de Sincyr. Des paroles de la jeune dame du Périgord, je retenais donc avec satisfaction qu’il existait un “second échelon” capable, éventuellement, de mieux fonctionner, composé d’hommes et de femmes formés au G.R.E.C.E. des temps héroïques, peu enclins à varier selon les humeurs et les dernières lectures ou propos commensaux d’Alain de Benoist. Marchand avait cependant surpris mes conversations avec la militante périgourdine et répéré une de nos escapades en Mini Morris vers le bureau de poste de Ventabren, afin de pouvoir causer à la terrasse d’un bistrot local sans craindre les oreilles indiscrètes. Aussitôt Marchand m’a soupçonné (et son patron avec lui) de faire partie du “second échelon”. Plus tard, à Paris, Marchand, la mine coléreuse, m’apostrophe en me parlant de ce “second échelon”: je fais le bête parce que je n’en sais finalement pas grand’chose, la militante périgourdine ayant été très vague comme il se doit; Marchand enchaîne, me décrit parfaitement ce que cette structure encore inconnue représente en réalité et me déclare tout de go que ce “second échelon”, véritable incarnation du mal pour de Benoist, dispose désormais de plus de militants et de fonds que son propre G.R.E.C.E.! Ce n’était pas tombé dans l’oreille d’un sourd! Quelques semaines plus tard, une voix venue du “second échelon” me précise au téléphone qu’une fidélité au G.R.E.C.E. n’est pas incompatible avec une participation discrète aux séminaires du “second échelon”. Je participe à l’un d’eux et c’est là que je revois Sincyr qui me dit être l’un des principaux hommes-orchestre de ce “second échelon” et que son intention avait toujours été de poursuivre le combat métapolitique qu’il avait promis de mener, comme moi, quand il était au G.R.E.C.E.: la déréliction dans lequel celui-ci était plongé empêchait tout un chacun de travailler de manière cohérente à une oeuvre métapolitique donc de respecter son serment.

Ce n’est qu’après le colloque du G.R.E.C.E. de décembre 1992 que je romps définitivement avec le petit club gravitant autour d’Alain de Benoist, qui avait mené tout au long de l’année, sous la houlette de Marchand et à l’instigation de Benoist himself, de véritables cabales contre ma personne, notamment parce que je collaborais à la revue de Michel Schneider “Nationalisme & République” et, bien sûr, parce que j’étais désormais considéré comme une “taupe” du “second échelon”. C’était peut-être amusant de démonter les intrigues à deux sous de ce jeune sot de Marchand mais les plus courtes étant les meilleures, cela devenait fatigant à la longue, d’autant plus que le seul garçon chaleureux et jovial de la bande, Arnaud Hautbois, venait d’être viré sous des prétextes futiles, poursuivi par la haine de son concurrent, Arnaud Guyot-Jeannin, qui ne rêvait que d’une chose: prendre sa place, remplacer sa truculence et sa jovialité par un guénonisme de Prisunic. Cependant, dans mes conversations avec Sincyr, j’avais bien précisé que notre combat métapolitique devait être public et surtout visible, au nom de la notion de “visibilité” que préconisait Carl Schmitt, sans doute inspiré, catholique rhénan qu’il était, par le verset évangélique qui dit que l’on ne peut cacher un luminaire sous un boisseau.

Sortir le luminaire du boisseau

L’occasion de sortir le luminaire du boisseau se présente en janvier 1993. Après avoir entendu les arguments des uns et des autres suite à mon départ définitif du G.R.E.C.E., j’ai fini par estimer, avec Christiane Pigacé et Thierry Mudry, qui collaboraient tous deux à “Nationalisme & République” comme moi, que les rencontres provençales d’été devaient être maintenues et entretenues sans les vaudevilles organisés par Rollet (qui faisait dans le burlesque) et de Benoist (qui avait fait dans le fouquier-tinvillisme de carnaval). Grâce à Philippe Danon, ancien cadre d’Alcatel, ami des Mudry, nous avons pu disposer d’un gîte rural de haute qualité en Provence. Sincyr était enthousiasmé: il voulait lui aussi sortir le luminaire du boisseau et nous lui offrions là une occasion rêvée, un projet cohérent et bien étayé. Il crée alors la F.A.C.E. (“Fédération des Activités Communautaires en Europe”), structure formelle qui sort partiellement le “second échelon” de l’informalité et du silence. Ce sera donc la F.A.C.E. qui organisera les deux premières universités d’été provençales (1993-1994), organisées sous la quadruple houlette de Christiane Pigacé, Thierry Mudry, Alessandra Colla et moi-même et sous le patronnage de Julien Freund. Plusieurs associations, groupes d’amis, structures modestes et informelles avaient mis leurs efforts en commun grâce à l’appui de Sincyr. Cette première université d’été fut donc un succès. Inespéré au départ!

 

covnew10.jpgAu printemps 1994, nous décidons, à Munkzwalm en Flandre orientale, de mettre sur pied “Synergies Européennes”, dont Sincyr sera le premier Président européen. Ce fut une aventure formidable qui durera une bonne dizaine d’années et qui ressuscitera en 2007 sous la forme d’un blog, alimenté chaque jour par des articles de fonds ou des vidéos, désormais connu sur la planète entière. En 1995, l’Université d’été connait un nouveau succès remarquable, alors qu’en 1994 elle avait été moins fréquentée. A partir de 1996, elle se tient en Italie, d’abord à Madesimo près du Splügenpass, très haut dans la montagne, où Sincyr et moi partagions une chambre dont la fenêtre offrait une vue imprenable sur la vallée. En 1997, elle se tiendra à Varese. En 1998 dans le Trentin. Plus tard, elles se tiendront à Pérouse et à Gropello di Gavirate, sur les bords du Lac de Varese, avec vue sur le Monte Rosa (ou Lyskamm) dont Julius Evola avait escaladé la face nord. Ensuite, de 2001 à 2003, elles se tiendront en Allemagne, à Vlotho im Wesergebirge. Entre les universités d’été, de nombreux séminaires s’organiseront en France, en Allemagne, en Italie, en Espagne, en Autriche, au Portugal, etc. Comment ne pas se souvenir de notre voyage commun à Lisbonne, début novembre 1993, où nous devions inaugurer une antenne? Comment oublier ce passage au Cabo da Roc, point le plus occidental du continent européen, où nous avons grelotté sous un vent très froid venu du grand large?

1998: année fatidique

Rétrospectivement, je regrette que l’année 1998 ait provoqué notre rupture pour des raisons finalement indépendantes de nos volontés. Je vais m’expliquer. D’abord la fusion fin 1997 entre la D.E.S.G. (“Deutsch-Europäische StudienGesellschaft”) de Hambourg et “Synergies Européennes” donne un poids plus lourd au pôle allemand et, par ricochet, au nouveau Président de “Synergies Européennes-France”, le Professeur Jean-Paul Allard, brillant germaniste, qui prend la parole au Château de Sababurg en Hesse lors de la journée d’étude, organisée pour sanctionner la fusion entre les deux associations, journée mémorable appuyée par la présence du Croate Tomislav Sunic et d’une forte délégation autrichienne. Allard et moi estimions que nos activités ne pouvaient opérer un retour en arrière, c’est-à-dire servir de prélude à une réconciliation hypothétique avec le G.R.E.C.E., sur base d’un travail assidu dont nous aurions dû donner le meilleur exemple et impulser de la sorte une dynamique entraînante. Sincyr avait toujours cultivé l’illusion qu’une telle réconciliation “pan-néo-droitiste” lui aurait permis de demeurer fidèle à tous ses serments de combattant métapolitique et de voir l’avènement d’un mouvement plus vaste, regroupant dans l’unanimité tous ceux et celles qui partageaient nos valeurs. Allard lui avait démontré l’impossibilité d’une telle réconciliation, vu les intrigues permanentes de Benoist et d’autres personnages peu reluisants, et ce fut là l’objet majeur de leurs conversations dans les avions qui les avaient menés de Lyon à Hanovre et retour. Allard ne percevait pas l’utilité non plus de revenir au “repli” qui avait permis l’éclosion du “second échelon”. Sincyr, qui n’était pas a priori germanophile (bonne chose car il faut se méfier des dérives saugrenues de bon nombre de Français germanophiles qui ne parlent pas l’allemand), qui avait simplement conservé une admiration sincère pour des légionnaires allemands sacrifiés en Algérie à ses côtés, s’est-il méfié de cet apport germanique prestigieux qui aurait pu déplaire à certains de ses amis, peu soucieux, à juste titre, de singer des germanophiles infréquentables de la place de Paris ou d’ailleurs dans l’Hexagone? On peut émettre l’hypothèse. Mais la D.E.S.G., fondée en 1964, a toujours été d’un européisme positif et n’a jamais basculé dans un nationalisme anti-démocratique et hystérique. Elle était le meilleur interlocuteur dont on pouvait rêver en Allemagne. Il suffit de consulter la collection des cahiers “Junges Forum” qu’elle éditait.

Malgré les succès des séminaires de “S.E.-Ile-de-France” sur l’Allemagne et sur la Russie, Sincyr sera déçu par la faible affluence lors d’un troisième séminaire parisien sur le thème de “Littérature et rebellion” où Marc Laudelout, du “Bulletin célinien”, et Nicole Debie, célinienne historique, avaient pris la parole aux côtés du philosophe futuriste et heideggerien Jean-Marc Vivenza. Le sentiment d’être supplanté par Allard qui, de surcroît, partageait ma politique de “visibiliser et de pérenniser la rupture”, et la déception suite au séminaire parisien si peu fréquenté du printemps 1998 sont, à mes yeux, les deux raisons majeures qui vont conduire Sincyr à désespérer de notre propre création, lancée au début des années 90. J’aurais aimé avoir avec lui une conversation rétrospective sur cette année 1998, où il semble avoir perdu espoir, alors même que des horizons nouveaux s’ouvraient à nous, notamment grâce aux contacts pris lors de la journée d’hommage à Julius Evola, à l’occasion du centième anniversaire de sa naissance. Cette journée avait rassemblé à Vienne, dans les locaux de la “Burschenschaft Olympia”, des amis venus d’horizons divers, d’Italie, de Hongrie, d’Allemagne, d’Autriche, de Grande-Bretagne, de Suisse et de Belgique. Les questions que j’aurais voulu poser à Sincyr sur ses réticences de 1998 demeureront pour toujours sans réponse et je le regrette vivement. Comme je regrette qu’une maladie foudroyante ait mis un terme prématuré à la carrière du Prof. Jean-Paul Allard, qui n’a plus pu exercer ses fonctions de Président de “Synergies Européennes-France”.

Nos contradictions

Le décès de Gilbert Sincyr le 6 février 2014, et l’hommage qui lui est dû pour sa fidélité constante et inébranlable au combat métapolitique, ne doit pas nous amener à nous voiler la face. Il y avait entre lui et moi des contradictions accumulées —qui ont atteint en 1998 une intensité difficilement gérable— et les dévoiler dans cet hommage n’a pour but que de servir l’histoire authentique (et non trafiquée) de nos initiatives (dont certains ont déjà la nostalgie, à commencer par moi-même) et, plus essentiellement encore, de montrer des ambigüités qui ne doivent plus jamais se répéter; elles doivent plutôt servir à éclairer ceux qui, jeunes et ardents, s’engagent, aujourd’hui, dans un combat métapolitique, quel qu’il soit mais dont les modèles auront peut-être été les nôtres, parmi de nombreux modèles possibles. L’année 1998 a sanctionné la rupture entre Sincyr et moi; elle reposait sur trois faisceaux de motifs: 1) la définition du paganisme; 2) les ambigüités dans l’attitude à adopter vis-à-vis du G.R.E.C.E. et 3) l’attitude qui consiste à écouter ou à ne pas écouter les sirènes séductrices de tiers mal intentionnés ou de pseudo-camarades trop timorés, en l’occurrence ceux qui se présentent comme amis mais veulent la disparition de votre structure, parce qu’elle est perçue comme concurrente ou comme dangereuse (pour leur confort personnel ou leur quiétisme paresseux). Précisons ces trois points. 1) Sincyr cultivait une vision naïve du paganisme qui, à mon humble avis, risquait de discréditer le mouvement si elle s’exprimait de manière trop visible. Pour moi, pour Vivenza ou pour Allard, le “paganisme” était un retour aux Grecs, aux racines classiques de notre culture européenne, par le biais de la philosophie contemporaine, notamment Heidegger. Nous étions conscients également de la nécessité d’une liturgie basée sur le rythme des saisons, comme l’avait préconisé David Herbert Lawrence (**) dans son petit livre intitulé “Apocalypse” ou sur la nécessité de renouer avec les idées religieuses rénovatrices de l’époque qui avait immédiatement précédé la “révolution conservatrice” (***). Mais qui dit liturgie ne doit pas nécessairement s’ingénier à inventer de nouveaux rituels, détachés de tout contexte, qui peuvent trop aisément s’assimiler à de la parodie. Ces nouveaux rituels et ces quelques ornements ou objets pseudo-sacerdotaux, auxquels Sincyr tenait beaucoup, expliquent notamment l’attitude dubitative de nos amis espagnols et, par voie de conséquence, l’enlisement de S.E. en Espagne.

Ensuite, 2) il y avait l’ambigüité que cultivait Gilbert Sincyr face au G.R.E.C.E., auquel comme moi, il avait prêté serment. Mais un serment à mes yeux crée une “Eidgenossenschaft” qui doit impérativement fonctionner dans les deux sens. Au G.R.E.C.E., après les départs de Marceau et de Cariou, les valeurs —qui devraient nécessairement structurer toute “communauté du serment”— ont été systématiquement piétinées par de Benoist, être incapable de s’aligner sur des vertus fortes et admirables comme la fidélité et incapable aussi de percevoir la sacralité que revêt tout serment, en dépit des pensums qu’il a gribouillés à tours de bras, au début de sa carrière, sur la fidélité des anciens Germains ou autres ancêtres réels ou imaginaires. Aucune société alternative, contestatrice d’un quelconque ordre établi, ne peut cependant fonctionner sans de telles vertus et sans hommes capables de les incarner. Une société alternative n’est pas un parti politique en place, bien établi, où ce genre d’intrigues est monnaie courante, comme nous l’apprennent les actualités, chaque jour qui passe. J’étais donc partisan de bien visibiliser la rupture entre S.E. et le G.R.E.C.E., en la soulignant, dans chaque numéro de nos revues, au détour de quelques phrases sarcastiques ou moqueuses, de manière à ne jamais être assimilé au pandémonium greciste, à ne jamais avaliser les évictions iniques qui avaient marqué l’histoire trouble du mouvement, surtout dans les années 80. Sincyr, plus âgé et certainement d’un tempérament plus conciliateur que moi, voulait “oublier” ces dérapages qu’il jugeait certes navrants mais non rédhibitoires pour façonner un (très) hypothétique futur néo-droitiste unanimiste et consensuel. Personnellement, j’estimais que ce “modus operandi” greciste et benoistien, tissé d’intrigues glauques et d’évictions iniques, était indéracinable et, par voie de conséquence, les “oublier” revenait à s’y exposer une nouvelle fois, ultérieurement, avec le risque de faire capoter de bonnes initiatives où de Benoist n’aurait pas été la seule, l’unique, l’incontournable vedette et surtout, où il n’aurait pas pu bénéficier de toutes les ressources de la caisse. Gommer le passé, l’oublier, est un stratagème de “Big Brother” dans le “1984” d’Orwell: notre option nous mène à percevoir l’histoire telle qu’elle est, sans tenir compte des travestissements imposés par le “Parti” ou par “Big Brother” ou par une quelconque instance censurante. Ce doit être vrai pour l’histoire des peuples comme pour l’histoire des structures où nous avons été actifs. Point à la ligne. Pas question de transiger sur ce principe.

Sincyr n’aimait pas mes petits “poulets”, mes allusions, mes sarcasmes, dont je ponctuais parfois la longue rubrique des “activités communautaires en Europe” qui paraissait dans presque chaque numéro de “Nouvelles de Synergies européennes”. Il estimait que c’était des “attaques personnelles”. Je rétorquais que mes “attaques” étaient bien moins perverses, n’étaient pas aussi vicieuses que les tentatives permanentes de dénigrer nos activités, de faire pression sur les personnes qui nous louaient ou nous prêtaient salles et locaux, nous accordaient leur patronage, participaient à nos activités comme orateurs. Qui plus est, je faisais remarquer à Sincyr, qui, au nom de son unanimisme consensuel, ne me croyait pas, ne voulait pas me croire, que toutes ces attaques venues de Paris le prenaient aussi grossièrement pour cible, le traitaient de “beauf” et de “boeuf”, tandis que moi, évidemment, j’étais le “Grand Satan”, le “Belge” (Benoist étant sur ce chapitre le meilleur disciple de Coluche, tant et si bien qu’on pourrait, en ce qui nous concerne, lui ôter le label de “ND”, qu’il n’aime pas, sans doute à juste titre, pour le remplacer par “NC” ou “Nouveau Coluchisme”, ce qui le ferait culbuter dans les rangs d’une certaine gauche, le lavant ainsi, enfn, de tout soupçon d’infâmie...). Dans une lettre de novembre 1998, je dressais à Sincyr la liste quasi complète des pressions exercées par le G.R.E.C.E. ou ses séides contre nos initiatives, dont une des dernières en date avait été de téléphoner au propriétaire d’un château en Lorraine, qui nous avait prêté une salle pour tenir un colloque géopolitique où deux “bêtes noires” de de Benoist prenaient la parole: le politologue Alexandre Del Valle et moi-même. C’est malheureusement par cette lettre de novembre 1998 que nos relations se sont terminées, du moins provisoirement jusqu’en octobre 2012: Sincyr avait achevé son quinquennat de président et son poste était passé à Alessandra Colla de Milan. Il ne voulait apparemment plus tenir un rôle dans un espace “néo-droitiste” français (ou assimilable), déchiré par ce qu’il percevait comme une “guerre civile”. Pour moi, il fallait garder raison et oeuvrer dans un espace propre et assaini, débarrassé d’intrigues ineptes, pour exprimer sans détours des vérités politiques, métapolitiques, culturelles, philosophiques, toutes pertinentes “hic et nunc”, sans devoir me référer et me soumettre à des cercles de vieux copains, certes fidèles les uns aux autres, ce qui est bien, mais incapables d’accepter de nouvelles fidélités, des combattants plus jeunes et surtout de les conserver dans leurs rangs. Attitude négative et incongrue que l’on ne peut évidemment reprocher à Sincyr, qui a tout fait, dans la mesure de ses moyens, pour échapper à ce type d’impasses dans le réseau associatif néo-droitiste. Ensuite, pour moi, pas question d’exporter dans toute l’Europe les querelles suscitées par les atermoiements, les jalousies, les ressentiments, les intrigues et les caprices de de Benoist. Dans ma lettre de novembre 1998, j’exprimais mon point de vue à Sincyr en lui expliquant que sa fidélité au seul “camp” (mot dont je contestais l’usage!) de la ND historique le faisait chavirer dans une forme de recrutement endogame, conduisant forcément à un ressac permanent voir à la sclérose et à la dégénérescence, alors que le but de toute manoeuvre de recrutement est de pratiquer l’exogamie pour pouvoir disposer en permanence de ressources humaines neuves et combattives. “Synergies européennes” ne pouvant en aucun cas devenir une “gérontocratie”.

“Grand Nuisible” et “bathyscaphistes”

Enfin, 3) Sincyr a trop écouté les voix de ceux qui nous dénigraient en jouant sur sa fibre consensuelle, expression d’une naïveté admirable car, en effet, il vaut mieux être un naïf qu’un intrigant: c’est plus propre, c’est plus sain, c’est plus honorable. Parmi ces voix, il y avait évidemment le “Grand Nuisible” habituel qui promettait à Sincyr, sans avoir la moindre intention de tenir ses promesses, de lui donner de nouvelles responsabilités dans une structure fusionnée, unanime et enfin consensuelle, à la condition bien sûr que le “Grand Méchant” pondeur de poulets sarcastiques, c’est-à-dire moi, l’adepte de la “thérapie du miroir”, soit éliminé de la danse. Je ne pense pas que Sincyr ait vraiment cru à ces promesses mais il a peut-être pensé, oui, que j’étais un élément perturbateur dans la classe et qu’il fallait m’isoler pour que je ne trouble plus le consensus qui allait revenir très bientôt, allelouïa, d’autant plus que 1998 a été l’année du retour de Guillaume Faye dans l’espace métapolitique néo-droitiste (ou assimilé, Faye n’ayant pas la manie des étiquettes). Gilbert Sincyr a certainement été l’un de ceux qui avaient espéré le plus ardemment ce retour. Faye débarque à Bruxelles à la fin de l’hiver 97-98 et m’annonce, dans une ambiance de liesse aux tables de la taverne “Le Cent Histoires”, qu’il reprend le combat et que de nouveaux livres sont prêts à être mis sous presse. Il accepte de participer à notre Université d’été du Trentin, à la grande joie de nos correspondants allemands de l’ex-D.E.S.G., devenue “Synergon-Deutschland”, et de Tomislav Sunic, tous présents à Bruxelles, le jour du retour de Faye. Champetier interviewe le “fils prodigue” de la ND historique pour “Eléments”. Sincyr aurait dès lors pu croire à une fusion rapide grâce au retour de Faye. La clique autour de de Benoist, elle, a craint une alliance Faye/Synergies qu’elle aurait difficilement pu contenir. Je ne saurais malheureusement jamais comment Sincyr a perçu ce remaniement dans le paysage associatif néo-droitiste, nouvelle donne qui n’existait pas au moment où il construisait patiemment son “second échelon” et participait aux activités publiques et visibles de la F.A.C.E. et de “Synergies européennes”. Le retour de Faye, mes positions intransigeantes pour préserver l’autonomie de S.E., comme Jean van der Taelen et moi avions préservé l’autonomie d’E.R.O.E. à Bruxelles, la rage irrationnelle et délirante d’Alain de Benoist à vouloir briser toute autonomie soustraite à son contrôle erratique et capricieux avaient désespéré Sincyr. Il jette l’éponge. Il ne reviendra pas au G.R.E.C.E. D’autres amis, trouillards, lui disent —et il m’avait rapporté leurs paroles— qu’il faut procéder à une “immersion profonde”, soit se soustraire à toute visibilité. A Bruxelles, moqueurs, nous les appellions les “sous-mariniers” ou les “Commandants Cousteau” ou les “bathyscaphistes”, ou encore les “scaphandriers cyclistes”, le langage coloré étant notre marque favorite, zwanze et gouaille obligent.

Du silence à l’écologisme pratique et localiste

Sincyr restera silencieux pendant la guerre de Yougoslavie en 1999, où Laurent Ozon déploie son mouvement “Non à la guerre”, avec l’énergie qu’on lui a toujours connue. Il ne dira mot non plus lors de la cabale menée par de Benoist et Champetier contre Faye en 2000, où ces deux brillants sujets dénoncent leur ancien ami —qu’ils avaient pourtant interviewé pour “Eléments” en 1998— dans la presse italienne et envoient des communiqués condamnant ses positions à une liste impressionnante de journalistes du “Monde”, de “Libération” et du “Nouvel Observateur”, dans le fol espoir d’apparaître comme de braves nouveaux gauchistes soft face à un méchant Faye hard pourfendant les idéologies et les lubies dominantes, au risque de se faire crosser par un jugeaillon parisien (ce qui fut fait...). Champetier, maladroit, envoie ce courriel avec les adresses lisibles par tous, parce qu’envoyées en mode “CC” et non “CCI”. Par cette maladresse informatique, il tombe le masque, et fait tomber celui de son chef, mais il est à son tour évincé fin 2000. Sa servilité et sa veulerie n’ont servi à rien. Son commanditaire était plus veule que lui, et surtout plus retors, et n’avait cure de cette fidélité que son féal disciple avait toujours montrée sans faiblir jusqu’à participer à une délation particulièrement sordide mais qu’il croyait juste de commettre pour assurer le triomphe de son vil Maître, pour les siècles des siècles, et où il aurait reçu un petit morceau de sa gloire, une portion congrue et, sans doute, une entrée dans les dictionnaires de noms propres. La série noire des évictions a donc continué... Ce comportement suscite alors la réaction d’un “Cercle Gibelin” qui lance sur la grande toile des “manifestes dextristes” en préconisant, comme le voulait d’ailleurs Sincyr au départ, une réconciliation des pôles de la ND (G.R.E.C.E., T&P et S.E.), sous les auspices d’une personnalité non contestée (Mabire ou Venner). Sincyr n’intervient pas dans le débat. Je ne saurais jamais ce qu’a pensé Sincyr de tous ces soubresauts de l’année 2000.

A partir de décembre 1998, Gilbert Sincyr n’opte pourtant pas pour un retrait total, pour la stratégie étonnante que préconisaient les “bathyscaphistes” de ses amis. Il était un amoureux de la nature. Il admirait Paul-Emile Victor et le Commandant Cousteau. Il avait été séduit, au début de l’aventure de “Synergies européennes” par les travaux de Laurent Ozon et par la revue de son équipe, “Le Recours aux Forêts”, surtout par les deux numéros exceptionnels sur l’urbanisme et la “bonne alimentation” que l’écologiste le plus original de France avait publiés suite à son passage chez les Verts d’Antoine Waechter et à sa lecture méticuleuse des théories d’Edward Goldsmith. Gilbert Sincyr va donc s’occuper d’écologie dans un mouvement local qu’il baptise “D’abord Vert”, actif surtout dans la périphérie toulousaine. On verra alors Sincyr renouer avec son passé écologiste, avec l’admiration qu’il vouait à Paul-Emile Victor, en inaugurant des marchés de Noël, des foires aux produits régionaux, en plantant des arbres avec les enfants des écoles. Sincyr était devenu un “localiste” très actif dès le début de la première décennie du 21ème siècle. Nos chemins étaient séparés: pour moi, les années 2002 et 2003 ont été très difficiles, vu que le Ministère de la Justice, sous la brillante gestion d’une ministresse aussi incompétente que prétentieuse, ne payait plus ses experts, vu que la Région bruxelloise ne payait plus les bureaux d’architecture qui me confiaient des travaux, j’ai dû faire le gros dos, laisser passer l’orage et, en décembre 2003, j’apprends que ma mère est atteinte d’un mal incurable, que son grand âge (89 ans) va permettre de ralentir, toutefois après une opération très meurtrissante et un recul général de ses facultés mentales. Fils unique, elle est dès lors à ma seule charge. Je la maintiendrai chez elle, en ses foyers, jusqu’en février 2008, alors que les médicastres et les Diafoirus de l’hôpital Saint-Jean voulaient l’enfermer dans un “mouroir”. Elle rendra l’âme en décembre 2011. Les revues “Nouvelles de Synergies européennes” et “Au fil de l’épée”, émanations de “Synergies européennes” et créées sous les auspices de Sincyr, paraissent jusqu’en 2002 et 2004, année où je rencontre Ana, ma deuxième femme flanquée de son petit chien “Gamin”, avec qui j’ai entamé une nouvelle série de voyages à travers l’Europe. A partir de janvier 2007, nous lançons à Bruxelles, le blog http://euro-synergies.hautetfort.com qui sera suivi plus tard par http://vouloir.hautetfort.com et http://archieveseroe.eu , animés tous deux par une équipe parisienne. La dynamique était relancée et je ré-amorçais en Europe mes tournées de conférence, en bénéficiant finalement d’une logistique mise en place dans les années 90 par “Synergies européennes” et appuyée cette fois par la notoriété qu’a acquise le blog au fil de ces sept dernières années. Eh oui, le petit Belzébuth de Bruxelles n’est pas mort malgré les trente ans de guerre qu’on a menées contre lui. Espiègle à l’instar d’Uilenspiegel, il continuera à adresser ses pieds-de-nez aux sots qui se prennent pour des phares de l’humanité.

Des Mérovingiens aux Pippinides

51CVkipR9zL._SY300_.jpgFin de la première décennie du 21ème siècle, Gilbert Sincyr, lui, se lance dans la rédaction de plusieurs ouvrages: sur le paganisme, son violon d’Ingres, où il recevra, prix de consolation, une maigre préface d’Alain de Benoist, mais aussi et surtout sur une période de l’histoire européenne et gauloise-française finalement peu connue et négligée par notre mouvement de pensée: la période qui va de la disparition de l’Empire romain, avec Aetius, à l’émergence de la Gaule mérovingienne et à la réaction austrasienne face aux rezzous maures venus d’Espagne occupée. Philippe Randa aura la bonne idée d’éditer tous ces ouvrages historiques de Gilbert Sincyr et, ainsi, d’occuper un créneau vide dans l’historiographie néo-droitiste. Créneau qu’il s’agit encore de compléter d’apports nouveaux. Sincyr a ouvert la voie, modestement: à ses successeurs, d’où qu’ils viennent, de poursuivre sur la sente qu’il a commencé à tailler pour nous tous. Nous participons ensuite tous les deux à un ouvrage collectif, “Force et Honneur”, sur les grandes batailles qui ont marqué l’histoire européenne, mais sans nous rencontrer.

Ce fut un deuil qui nous a permis de renouer nos relations rompues en 1998. Je possédais l’adresse électronique de Sincyr mais ne lui envoyais rien car il ne m’avait rien demandé. J’apprends en octobre 2012 le décès du politologue italien Mariantoni, qui avait participé à quelques-unes de nos universités d’été. Ce spécialiste du Proche et du Moyen Orient vivait en Suisse et était l’un de nos fidèles. J’envoie le faire-part à Sincyr qui me répond, le 24 octobre 2012: “La mort de Mariantoni est une grande perte. Son combat restera pour nous un exemple”. Phrase simple qui exprime une gratitude sincère. Ensuite Sincyr se réconcilie avec moi, en une seule phrase concise, et termine son courriel par la formule, très importante à ses yeux, “Que les Dieux te soient propices!”. Le 12 novembre 2012, il me transmet des nouvelles d’un ami toulousain. Le 21 janvier 2013, il écrit, tristement, suite à l’envoi de mon hommage à Yves Debay, camarade d’école, tombé en Syrie, à Alep, dans le cadre de son métier de reporter de guerre: “Les rangs de nos amis s’éclaircissent”. Le 22 mars 2013, il me remercie de lui avoir envoyé le texte d’une de mes allocutions à Nancy, sur la notion de “patrie charnelle”, qui lui tenait fort à coeur. Le 24 avril, je lui écris pour lui dire que je ne pourrai pas être présent à Paris pour le lancement de l’un de ses livres. Il me répond: “C’est dommage que tu ne puisses pas venir, cela aurait fait une occasion de nous revoir”. Et sûrement de remettre beaucoup de choses sur le tapis. Je n’ai jamais revu Gilbert Sincyr. Je me promettais de le revoir à Toulouse en août 2014, lors de mon retour annuel d’Espagne. La Camarde en a décidé autrement. Adieu donc, camarade, mais sans toi, l’histoire de notre aventure commune, celle de “Synergies européennes”, demeurera toujours incomplète. Je vais écouter les “Oies sauvages” et le “J’avais un camarade”, que tu as dû murmurer en Algérie, face aux corps sans vie de quelques-uns de tes camarades de combat et de ces légionnaires allemands et européens que tu as un jour évoqués dans une conversation. Je sais que cela te fera un immense plaisir car tu es allé les rejoindre. Ne t’inquiète pas: nous te rejoindrons tous, quand nos heures seront venues. En attendant, nous continuons le combat en pensant à la phrase finale de ton éditorial du n°2 de “Nouvelles de Synergies européennes” (juillet 1994): “On dit que la vie est un combat. Pour nous c’est une chance: nous aimons l’une et l’autre”.

Robert Steuckers.

Forest-Flotzenberg, 15 février 2014.

Notes:

(*) Cf. sur le site http://robertsteuckers.blogspot.com l’article “L’apport de Guillaume Faye à la Nouvelle Droite et petite histoire de son éviction” (qui a servi de préface à une nouvelle édition italienne de son livre “Le Système à tuer les peuples”) et l’entretien accordé à Pavel Tulaev, Président de “Synergies Européennes-Russie”, intitulé “Answers to Pavel Tulaev”, mis en ligne en février 2014.

(**) Cf. Robert Steuckers, “Le visionnaire Alfred Schuler (1865-1923), inspirateur du Cercle de Stefan George”, in Vouloir, n°8 (nouvelle série), automne 1996 (conférence prononcée à Madesimo, été 1996, Université d’été de “Synergies Européennes”; consultable aujourd’hui sur http://robertsteuckers.blogspot.com ) & Robert Steuckers, “Paganisme et philosophie de la vie chez Knut Hamsun et David Herbert Lawrence”, in Vouloir, n°10 (nouvelle série), printemps 1998 (conférence prononcée à Madesimo, été 1996, Université d’été de “Synergies Européennes”; consultable aujourd’hui sur http://robertsteuckers.blogspot.com ).

(***) Cf. Robert Steuckers, “Eugen Diederichs et le Cercle Sera”, in Vouloir, n°10 (nouvelle série), printemps 1998 (consultable sur: http://robertsteuckers.blogspot.com ).

Mégalithisme

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Mégalithisme et tradition indo-européenne

 

par

 

Ex: http://www.centrostudilaruna.it/

 

1. L’espace, le temps, la mesure dans le monde indo-européen

 

L’expression des notions d’espace et de temps est manifestement récente dans les langues indo-européennes, mais les notions elles-mêmes, et celle de leur mesure conjointe — base de l’architecture sacrée — certainement anciennes.

 

  • 1.1. Les noms de l’espace et du temps dans les langues indo-européennes

 

L’expression des notions d’espace et de temps diffère d’une langue à l’autre, sauf quand elle a été empruntée, et surtout les termes qui les désignent présentent initialement une autre signification. C’est le cas pour le français temps. Il se retrouve certes dans l’ensemble des langues romanes, mais le latin tempus auquel il remonte est isolé en indo-européen. D’autre part, comme le montrent les formes tempête, tempérer, température, intempéries, le “temps qui passe” est initialement lié au “temps qu’il fait”, que distinguent les langues germaniques.

 

Il n’y a pas non plus d’ancien nom de l’espace, souvent désigné à partir d’une forme qui signifie “espace libre” comme le latin spatium ou la forme germanique d’où est issu l’allemand Raum. Certaines de ces formes peuvent s’appliquer au temps, comme le latin spatium et le français espace. Les seules désignations anciennes sont celles de l’espace libre, notamment la base sur laquelle reposent le latin rûs (campagne) et l’allemand Raum.

 

  • 1.2 Espace et temps dans le système grammatical

 

Espace et temps ont une expression grammaticale. L’espace dans les compléments de lieu (lieu où l’on est, où l’on va, d’où l’on vient, par où l’on passe), dont certains sont à l’origine de cas grammaticaux comme l’accusatif d’objet, le temps dans les compléments de temps (instant ou durée), et les propositions subordonnées correspondantes. De plus, le temps s’exprime dans la conjugaison: le verbe indo-européen a un présent, *esti«il est» (grec esti, latin est), un prétérit ou imparfait *êst (grec ê), un futur, dit aussi “subjonctif” *eseti (latin erit). Au futur correspondent, dans le nom, le datif “prospectif” et les adjectifs correspondants, qui expriment la destination, la possibilité, l’obligation. Les 3 temps sont également à la base d’énoncés formulaires du Véda (le géant cosmique Prajâpati est aussi «ce qui fut» et «ce qui sera»), de l’Avesta (qui joue sur les temps du verbe être pour évoquer le présent, le passé et l’avenir, ou les vivants, les morts et les enfants à naître); selon l’Illiade, le devin Chalcas connaît «le présent, le passé et l’avenir»; et, à en juger par leurs noms, les 3 Nornes scandinaves Yrd, Verdandi, Skuld ont été mises en rapport avec les 3 temps. Le verbe indo-européen a de plus un “intemporel” *est (il est) employé pour les procès qui ne se situent pas dans le temps, comme les vérités générales.

 

  • 1.3 La mesure de l’espace et du temps

 

Il existe une racine qui désigne la mesure de l’espace, “arpenter”, et du temps, “viser”, 2 procès dont la réalité physique diffère, mais dont le but est identique, et, par extension, diverses activités et diverses situations homologues comme “être en mesure de”, “prendre des mesures”. Elle possède 3 formes liées entre elles par des formes intermédiaires: *meH-, d’où *mê-, *met-, mêt-, *med-, *mêd-. Cette morphologie singulière indique une haute antiquité.

 

La première forme *meH-, conservée dans le nom hittite du “temps” (mehur) mais qui a évolué en *mê- dans les autres langues indo-européennes, est à la base du nom de la lune (conservé dans les langues germaniques, mais remplacé en latin par lûna) et du mois, que le français conserve aussi dans ses formes “savantes” (empruntées au latin) mensuel, trimestre, semestre. Elle l’est aussi dans le nom des mœurs, issu du latin môrês, pluriel de môs.

 

La deuxième forme *met-, mêt- est représentée en français par l’emprunt savant au grec mètre avec ses dérivés métrique, métrer, et ses composés diamètre, symétrie, géomètre, et certains composés en métro-: métrologie, métronome. Elle l’est également dans le nom de la mesure, et dans les formes savantes en mens- — immense, dimension, (in)commensurable, mensuration — qui se rattachent au participe passé mênsus du verbe latin mêtîrî: “mesurer” et “parcourir”. On note que cette forme comporte un n comme le nom de la lune (anglais moon, allemand Mond) et du mois (anglais month, allemand Monat).

 

Dans les langues baltiques, cette forme réunit les notions: “mesurer, en général” (lituanien matas: “mesure”), “mesurer le temps” (lituanien metas: temps, année), mais aussi “viser”, d’où “lancer” (lituanien mesti: “lancer”, d’où “jeter”) et “regarder” (lituanien matyti). Nous reviendrons ci-dessous § 2 sur cette indication significative.

 

La troisième forme *med-, *mêd-, est représentée en français par divers substantifs qui se rattachent directement ou non au latin modius (boisseau) comme muid, moyeu, trémie, moule ainsi que les invariants comme, comment, combien, qui se rattachent au latin quômodô, et les formes savantes en med-, médecin, remède, méditer, et en mod-, mode, modèle, module, modérer, modeste, moderne, modique. Cette troisième forme est également à la base du verbe “mesurer” des langues germaniques, allemand messen. Dans plusieurs langues, l’un de ses dérivés désigne le destin et, en vieil-anglais, le Dieu chrétien. S’y rattache aussi le perfecto- présent *môt (allemand müssen, anglais must) qui signifie initialement “avoir la place”, d’où “pouvoir”, puis “devoir”.

 

On voit par là que l’arpentage et la mesure du temps par visée, qui s’expriment par cette même racine, sont dans le monde indo-européen des activités à la fois anciennes et exemplaires. Or la mesure du temps est spatiale. Avant l’invention du sablier et de la clepsydre, qui permettent de mesurer directement une durée, on a mesuré le temps à partir des cycles temporels. Le cycle quotidien et le cycle mensuel s’observent directement, l’un par la place du soleil dans le ciel du jour, l’autre par l’aspect de la lune, et leurs extrémités sont directement saisissables. Mais la mesure du cycle annuel est moins aisée. On emploie à cet effet un instrument nommé gnomon.

 

2 – Le gnomon

 

La mythologie védique rend compte de la création de l’espace, ou plus précisément des 3 mondes, par les 3 pas de Vishnou, dieu mineur, mais qui deviendra l’un des 3 grands dieux des temps ultérieurs: son premier pas crée l’espace terrestre, son deuxième pas l’espace intermédiaire (ce que nous nommons l’atmosphère), son troisième pas le ciel. De la provient la fréquente identification de Vishnou au soleil. Mais comme le montre clairement le mythe de la décapitation de Vishnou, c’est la tête du dieu que l’Inde védique identifie au soleil, non le dieu lui-même. Reprenant une hypothèse antérieure, Falk (1987) a identifié Vishnou au gnomon. Le gnomon est l’artefact qui, dès l’époque védique, remplace l’arbre du soleil du stade antérieur de la mesure du temps. Avant de diviser le jour en sous-unités, les peuples primitifs ont cherché à déterminer les solstices. À cet effet, ils ont pris comme points de repère (que l’on vise, *met-) des sommets de montagnes ou des arbres: d’où par ex. l’arbre du Soleil (féminin) Saule, des Chansons mythologiques lettonnes (Jonval 1929 : 65 et suiv.). Ainsi la strophe 227:

 

Un tilleul touffu aux branches d’or
Pousse au bord de la mer, dans le sable;
Sur la cime est assise la Fille de Saule
Saule elle-même sur les branches d’en bas.

 

Un passage de la Taittirîya Samhitâ conserve le souvenir de cette notion. Après avoir indiqué que celui qui désire la splendeur doit offrir une vache blanche à Sûryâ (Soleil féminin, comme Saule, dont le nom est apparenté), et que le poteau sacrificiel doit être en bois de l’arbre bilva, le texte poursuit: «l’endroit d’où le soleil d’en haut naquit, c’est là que s’éleva l’arbre bilva. Le sacrifiant gagne la splendeur grâce au lieu d’origine du soleil». Ce “lieu d’origine” du soleil est manifestement l’arbre qui servait à déterminer le terme de sa course annuelle, comme l’arbre du soleil des chansons mythologiques lettonnes. Mais l’arbre du soleil a pu servir ultérieurement à subdiviser le jour, d’abord par la mesure de l’ombre portée, puis par sa place sur un cadran. Or c’est à partir de l’arbre que s’interprète l’image de la décapitation. Le soleil rouge du soir ou du matin qui s’éloigne de l’arbre pris comme repère peut être assimilé à une tête coupée qui se détache du tronc. Le gnomon en conserve parfois le souvenir: ainsi celui que décrit Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, 36, 72-73: sa pointe était surmontée d’une boule dorée assimilée à une tête humaine.

 

À partir de ces considérations, j’ai proposé une nouvelle interprétation de la comparaison effectuée antérieurement par G. Dumézil entre la décapitation de Vishnou et celle du géant Mimir de la légende scandinave, ainsi qu’une étymologie du nom de Vishnou (Haudry 2001).

 

3 – Mégalithes et cycle annuel

 

Nombre de constructions mégalithiques d’Europe ont été édifiées sur la base du cycle annuel, comme le rappelle Vadé (2008 : 9 et suiv.):

 

«On sait depuis longtemps que Stonehenge n’est pas un monument isolé. Ce n’est que l’exemple le plus considérable d’une série de constructions circulaires de l’époque néolithique, soit en pierres, soit en bois, dont on trouve des vestiges depuis l’Europe du Nord jusqu’au Proche-Orient. En France, les enclos circulaires de plus de 100 m. de diamètre découverts à Étaples (Pas-de-Calais) et dépourvus de toute trace liée aux fonctions d’habitat présentent de fortes similarités avec les henges d’outre-Manche. Leur destination cultuelle, notent prudemment les archéologues, “ne semble pas totalement exclue”.

Mais c’est surtout en Allemagne qu’on a retrouvé de semblables constructions. La plus notable est le cercle de Goseck en Saxe-Anhalt, énorme ensemble tumulaire de 75 m. de diamètre, daté du début du Ve millénaire. Il comporte 3 cercles concentriques de terre et d’épieux et s’ouvre par 3 portails, dont l’un est orienté au nord et les 2 autres, au sud-est et au sud-ouest, correspondant au lever et au coucher du soleil au solstice d’hiver. Ensembles analogues au Portugal, avec les cercles de pierres de l’Alentejo également datés du Ve millénaire. Sensiblement à la même époque, en Nubie, l’important champ mégalithique de Nabta Playa, à une centaine de kilomètres à l’ouest d’Abou Simbel, comporte des alignements marquant le nord, l’est et le lever du soleil au solstice d’été ainsi qu’un petit cercle de pierres dont les couvertures correspondent également à l’axe nord-sud et à l’axe solsticial».

 

Il conclut :

 

«On est loin d’avoir fini d’établir la liste des lieux d’Europe comportant des “portes solsticiales” dûment aménagées. Une exposition récente [hiver 2006] sur L’Or des Thraces au Musée Jacquemart-André donnait l’occasion d’en découvrir plusieurs. Le plus spectaculaire est peut-être le monument mégalithique de Slantcheva Vrata dominant la “Vallée des rois thraces” près de Kazanlak. Plusieurs blocs empilés de main d’homme figurent une véritable porte, d’où l’on embrasse du regard tout le territoire sacré des rois odryses. Au moment du solstice d’été, le soleil passe par l’ouverture.

Il faudrait parler encore du site de Kokino en Macédoine (à 75 km environ de Skopje). L’archéologue Jovica Stankovski y a découvert en 2002, au sommet d’une colline de plus de 1.000 m. d’altitude, “un observatoire” daté d’environ 1800 avant notre ère. Selon l’astronome Gjorgii Cenev, de l’observatoire de Skopje, on y observait les solstices et les équinoxes, ainsi que la constellation des Pléiades, depuis d’énormes “trônes” de pierre face à l’horizon de l’est, où des repères marquaient les directions remarquables».

 

Mohen (2008 : 48 et suiv.) en cite quelques autres:

 

Newgrange (co. Meath, Irlanda).

Newgrange (co. Meath, Irlanda).

«L’un des plus beaux exemples de cette intention précise est constituée par le couloir du grand tumulus dolménique de Newgrange (Co. Meath) en Irlande. Le fouilleur, M. Herity, constata en1963 qu’un linteau décoré, placé au-dessus et en arrière de la dalle de couverture de l’entrée du couloir, était en réalité le sommet d’une ouverture qui permaittait à un rayon du soleil levant de parcourir le couloir jusque dans la chambre. L’angle de cette ouverture, appelé roof-box, laissant passer le rayon lumineux rectiligne du soleil levant, le jour du solstice d’hiver, illuminait le fond du dolmen de plan cruciforme. Ainsi, comme le niveau du sol à l’entrée du couloir était à 2 m., en-dessous du sol de la chambre, lieu funéraire sacré, l’ouverture de la lucarne située au-dessus des 2 m., à l’entrée du couloir, permettait au rayon d’éclaircir la chambre. Impressionnés par cette précision, et le rôle du soleil solsticial, les archéologues ont pensé que les motifs spiralés ornant les grandes dalles disposés devant et à l’arrière du tumulus ou encore au pourtour de nombreux tumulus irlandais, dont ceux de Knowth ou de Dowth dans la même région irlandaise orientale, étaient peut-être en relation avec le mouvement perpétuel du soleil.

L’autre exemple qui prouve que l’observation des constructeurs préhistoriques de mégaliques pouvait être d’une précision extrême est celui de la dernière phase du monument de Stonehenge, système de fossés circulaires et de pierres dressées, délibérément orienté à partir d’un aménagement des trilithes disposés en U, entourant l’observateur situé au centre du dispositif en cercle, et visant à travers 2 pierres rapprochées l’endroit exact où le soleil apparaît à l’horizon, le jour du solstice d’été. Si cet axe de la phase 1, antérieure aux trilithes, reste approximatif en cadrant un angle entre 27°N et 24°N, le nouvel aménagement est très précis et juste; il est celui de la quatrième et dernière phase, contemporaine de l’implantation de 2 nouveaux menhirs laissant passer exactement la ligne d’observation allant du centre du site au point d’apparition du solstice d’été, selon l’axe principal de 24°N. Cette troisième phase est datée de 2250 à 1900 avant notre ère. C’est elle qui est encore, de nos jours, le cadre des célébrations contemporaines du solstice d’été».

 

Il mentionne également les alignements de Carnac, dont l’étude a permis à Alexandre Thom de déterminer l’unité de mesure utilisé, le “yard mégalithique” valant 0,829 m., et observe à ce propos:

 

«Il semble bien que le fait de dresser des monolithes réponde à un besoin de concrétiser un repère spatial que la lumière révèle, d’où l’attention particulière à l’emplacement topographique de la pierre dressée, d’où aussi les déplacements fréquents des pierres depuis les gîtes géologiques. L’endroit choisi pour l’implantation de la pierre est donc sans doute minutieusement choisi. La notion d’espace est de la même manière minutieusement calculée et se retrouve dans l’aménagement du territoire que les recherches archéologiques peuvent, dans le meilleur des cas, révéler. La place des mégalithes y est essentielle» (p. 51).

 

4 – Interprétations

 

Les mégalithes font l’objet de multiples interprétations, dont la conclusion de Mohen (p. 53) donne un aperçu: «Ces mégalithes et monuments sont des indicateurs pour ceux qui les mettent en œuvre. Ils reflètent des visions cosmiques de ces premiers agriculteurs mais aussi des préoccupations ancestrales et topographiques, liées sans doute à la légitimité du terroir et à la protection des aïeuls». Une précédente étude parue dans cette même revue (Haudry 2007-2008) fait écho à la théorie récente de Mahlstedt (2004), qui permet de donner un contenu à l’image indo-européenne du “ciel dans la pierre”, mais on s’en tiendra ici à leurs rapports avec le cycle annuel.

 

Le fait que les mégalithes apparaissent au Néolithique a suggéré une interprétation des rapports de leur disposition avec cycle annuel [cf. Culture mégalithique et archéoastronomie, Y. Verheyden, in Nouvelle École n°42, 1985]: ils auraient constitué un premier calendrier agricole. Cette utilisation est une possibilité qui ne peut être écartée. Elle est confirmée à l’âge du bronze par la présence, sur le disque de Nebra et à Kokino (Macédoine), comme on l’a vu ci-dessus, des Pléiades, dont Hésiode rappelle que leur lever et leur coucher constituait des signaux pour l’agriculteur:

 

«Au lever des Pléiades, filles d’Atlas, commencez la moisson, les semailles à leur coucher. Elles restent, on le sait, quarante nuits et quarante jours invisibles ; mais, l’année poursuivant sa course, elles se mettent à reparaître quand on aiguise le fer. Voilà la loi des champs» (trad. Paul Mazon).

 

Mais elle ne constitue sûrement pas la motivation initiale, comme l’observe Vadé (2008 : 12) :

 

«A-t-il fallu attendre l’agriculture, comme on le pense généralement, pour repérer les bornes de la course du soleil et en tirer parti pour le choix de certains lieux? Autrement dit, à défaut de structures d’observations construites, des orientations solaires privilégiées ne pourraient-elles être repérées dès le Paléolithique supérieur, à l’époque du grand art pariétal? Il semble bien, grâce aux recherches de Chantal Jègues-Wolkiewiez, que l’on puisse répondre par l’affirmative. On sait que cette chercheuse indépendante a provoqué une certaine sensation au cours de l’année 2000 en présentant au Symposium d’art préhistorique en Italie une communication sur la vision du ciel des Magdaléniens de Lascaux. On continue à discuter sur les interprétations qu’elle a proposées des peintures de la grotte.

Retrouver des constellations définies beaucoup plus tard et parler de zodiaque primitif ne va pas de soi. Mais ce qui n’est guère contestable, c’est la coïncidence de l’orientation de l’ancienne entrée de la grotte et de la direction du soleil couchant au solstice d’été. Il s’ensuit qu’à cette date le fond de la grande salle se trouve éclairé comme à aucun autre moment de l’année par les rayons du soleil vespéral. À partir de cette constatation, la chercheuse s’est demandé si d’autres grottes à peintures présentaient des particularités analogues. Elle a ainsi engrangé une moisson de résultats dont elle nous donne ici un échantillon concernant la grotte de Commarque — avec une étude parallèle sur la chapelle du château, où des fenêtres dissymétriques répondent au même souci de faire entrer la lumière solsticiale, tant cette préoccupation semble permanente dans les cultures restées traditionnelles».

 

Cette interprétation “traditionnelle” postule une continuité ininterrompue du Paléolithique au Moyen Âge comme l’indique Jègues-Wolkiewiez (2008 : 25) dans le résumé de son étude:

 

«Dans le sanctuaire magdalénien de Commarque, comme à Lascaux, le coucher solsticial d’été pénètre la grotte ornée par des artistes paléolithiques. À 50 mètres de distance dans l’espace, mais à douze millénaires de distance dans le temps, au Moyen Âge, les bâtisseurs de la chapelle Saint Jean du château de Commarque ont non seulement mis en valeur le coucher solsticial d’été, mais aussi le lever de l’hiver. Les rayons solaires pénètrent par les fenêtres situées de part et d’autre de l’autel et éclairent celui-ci.

Ces deux temps forts de l’année sont mis en valeur sur le territoire français par l’ornementation préférentielle des grottes ornées paléolithiques. Ce phénomène cyclique partageant l’année en deux temps avait non seulement été remarqué mais aussi exploité par les Paléolithiques. On peut se demander si la mise en scène des rayons de lumière du “roi du ciel”, lors de ces deux moments clefs de calcul du temps par les constructeurs catholiques du Moyen Âge ne relève pas du même concept que celui des païens du Paléolithique? »

 

Les conceptions sur lesquelles se fonde cette pratique remontant au Paléolithique supérieur ne sont pas attestées directement, faute de textes. Mais la continuité matérielle constatée rend admissible une continuité de la signification qui toutefois ne peut être précisée, et qui n’exclut pas la possibilité d’utilisations et de réinterprétations. La probabilité de la continuité est renforcée par ce que nous savons des courants traditionnels au sein du christianisme tels que les a mis en évidence Paul-Georges Sansonetti dans le numéro précédent de cette revue.

 

5 Mégalithisme et tradition indo-européenne

 

  • 5.1 Conception et réinterprétation

 

Il n’est évidemment pas envisageable d’interpréter l’ensemble des données mentionnées ci-dessus par la tradition indo-européenne: certains lui sont extérieurs, notamment ceux du Proche-Orient et d’Afrique du nord, d’autres, comme l’orientation des grottes paléolithiques, lui sont antérieurs. Mais on peut déterminer les significations qui leur ont été attribuées, même s’il s’agit de la réinterprétation d’édifices conçus et mis en place par une population antérieure qui lui attribuait une autre signification.

 

  • 5.2 Le symbolisme social de la “concordance”

 

La proximité formelle entre le nom indo-iranien du “moment propice”, du “temps fixé pour une activité” — *r(a)tu-, terme qui désigne par ailleurs le “modèle”, le “représentant idéal” —, et celui de la “vérité”, (a)rta-, suggère un rapport entre les 2 notions. Ce rapport est confirmé et précisé par le troisième représentant de la base *(a)rt-, l’adverbe grec arti, qui signifie à la fois “justement”, “récemment” et en premier terme de composés “convenablement”, “correctement”. Cet emploi est à la base d’une concordance formulaire que j’ai signalée jadis (en dernier lieu: Haudry 2009 : 84, 119, renvoyant à un travail antérieur) entre 3 composés grecs et leurs correspondants indo-iraniens, reflétant la triade héritée pensée, parole, action. Il semble que les Indo-Européens aient considéré la régularité des cycles temporels comme l’image cosmique de leur valeur suprême, la vérité, c’est-à-dire essentiellement de la “fidélité”, concordance entre ce que l’on dit (notamment ce que l’on promet) et ce que l’on fait. Les Yârya avestiques, génies des 6 saisons de l’année, sont des “modèles de vérité”, ashahe ratavô.

 

  • 5.3 Concordance et retour annuel de la lumière

 

L’interprétation à partir de l’image cosmique de la vérité vaut pour la période récente de la période commune, celle dans laquelle les rapports sociaux se sont diversifiés et complexifiés, exigeant loyauté mutuelle entre les clans potentiellement rivaux, voire ennemis. Mais dans la phase la plus ancienne, on est encore loin de cette conception. La “concordance” entre l’événement humain, rassemblement, fête, sacrifice, et la manifestation cosmique, l’arrivée de la lumière solsticiale dans l’ouverture de l’enclos (initialement de la grotte), est l’essentiel. La concordance entre l’événement humain et l’événement cosmique avait sa signification en elle-même, et non par référence aux rapports sociaux. Dans la part de la tradition qui prend son origine dans le Grand Nord (Haudry 2006), le but du rite était d’assurer la régularité du cycle des saisons, et notamment le retour annuel de la lumière.

 

* * *

 

De: Hyperborée magazine n°10/11, 2011.

 

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Bibliographie

 

FALK Harry, 1987: Vishnu im Veda, Festschrift für Ulrich Schneider: 112 et suiv.
JEGUES-WOLKIEWIEZ Chantal, 2008: Paléoastronomie à Commarque, VADÉ 2008: 23-45.
JONVAL Michel, trad., 1929: Les chansons mythologiques lettonnes, Paris: Picart.
HAUDRY Jean, 2001: Mimir, Mimingus et Vishnu, Festschrift für Anders Hultgård: 296-325.
HAUDRY Jean, 2006: Les Indo-Européens et le Grand Nord, Hyperborée, 3: 5-10.
HAUDRY Jean, 2007-2008: Du ciel de pierre au ciel dans la pierre, Hyperborée, 5 (2007): 18-24; 6 (mai 2008): 37-42; 7 (nov. 2008): 9-15.
HAUDRY Jean, 2009: Pensée, parole, action dans la tradition indo-européenne, Milan: Archè.
MAHLSTEDT Ina, 2004: Die religiöse Welt der Jungsteinzeit, Darmstadt: Wissenschaftliche Buchgesellschaft.
MOHEN Jean-Pierre, 2008: Mégalithes européens de la préhistoire et orientations remarquables, in VADÉ 2008: 46-54.
VADÉ Yves (éd.), 2008: Étoiles dans la nuit des temps, L’Harmattan.

Latin

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Le latin, langue de l’Europe

par Claude BOURRINET

 

Le problème qui nous occupe ne peut se présenter pour l’heure que comme un questionnement permanent, en attendant mieux. Celui de l’Europe étant loin d’être résolu, il est peut-être prématuré de se préoccuper de sa langue future. Pourtant, dans le combat que mènent les partisans d’une Europe unie et consciente de son identité, l’interrogation qui porte sur le vecteur par excellence de l’expression, de la pensée, de l’émotion et plus largement du rapport au monde est cruciale.

 

Qu’est-ce en effet qu’une langue, si l’on écarte le postulat a minima qui veut la réduire à une fonction uniquement communicationnelle (ce qu’est devenu, au demeurant, le basic-englishdans le contexte de globalisation actuel) ? Un rapport de force ? Une expression identitaire ? Un matériau à partir duquel on crée de l’imaginaire et de la pensée ? L’esprit même de création d’un peuple ?

 

Nécessité d’une langue commune

 

L’être de l’anglais est commercial et impérialiste. Il est l’affirmation d’un état de chose et d’une volonté. Les jeunes Anglo-Saxons, qu’ils soient anglais, américains, australiens ou néo-zélandais, étudient rarement une autre langue que la leur. Pourquoi « perdraient »-il un temps qu’ils peuvent consacrer à l’apprentissage du mercantilisme ? C’est d’ailleurs, en deçà de la Manche, l’argument suprême qui place l’anglais à la première place dans l’enseignement des langues, aux dépens des autres langues, jugées superfétatoires.

 

L’adoption de l’anglais comme langue européenne serait un acte d’allégeance au Diktatéconomico-civilisationnel anglo-saxon, et l’abdication devant la suprématie mondiale de la troisième fonction, celle des producteurs, des marchands et des matérialistes.

 

Ces remarques ne remettent nullement en cause la légitimité de l’anglais comme expression d’un génie particulier, qui a accru la richesse culturelle commune, en nous offrant des Shakespeare, des Kerouac, des Ezra Pound.

 

L’erreur qu’il faut éviter est d’abord de penser une hypothétique langue européenne en termes communicationnels, uniquement destinée à mettre en rapport des locuteurs, dans une sorte de neutralité technique qui nierait les racines et les spécificités (ou qui les comprendrait comme couleurs locales). Cette langue, manifestement, ne serait pas européenne (au sens identitaire), mais celle de l’ennemi, car ce serait l’anglais – efficacité oblige. Tout l’argument relatif à l’adoption d’une langue ou de plusieurs en Europe se réduit pour l’heure à des considérations malthusiennes d’économie – mais on voit bien que nous avons affaire à un véritable choix idéologique, qui va parfois contre le vou des familles.

 

Faisons-nous cependant l’avocat du diable. L’anglais pourrait-il devenir la langue de la communauté, comme le latin fut celle de l’Empire romain dans sa partie occidentale (avec le grec dans la partie orientale), ou comme il l’est de factodans l’Empire indien, à la suite d’un colonialisme autrement plus stérile que ne l’a été celui des Latins ?

 

Que nous apporte la civilisation anglo-saxonne ? Rome nous offrait sa haute culture, ses écrivains, en même temps que la civilisation grecque. Et, malgré notre dure défaite, nous, les Celtes, nous avons été vaincus par des hommes qui nous étaient assez proches (pour toutes sortes de raisons, qui tiennent à la langue, au substrat indo-européen, aux vertus louées dans les deux camps).

 

Certes, mais il se peut malgré tout que par là aussi les Anglo-Saxons nous soient «proches»…

 

L’Empire romain s’est instauré en plaçant dans son orbe des sociétés dont il respectait la personnalité, donc la langue, et, last but not least, en maintenant un ordre du monde encore largement conditionné par la Tradition, par la déférence à un cosmos immuable qui régissait les hommes, la nature et les dieux. L’Imperiumromain était constructeur en même temps que conservateur, mais il n’était pas destructeur (même s’il a exterminé les druides pour des raisons politiques).

 

Lorsqu’on envisage une langue, il faut nécessairement prendre en considération sa portée historique, le destin qu’elle traduit. Elle est ce qui éclaire notre chemin, derrière et devant. L’avenir appartient au peuple qui aura la plus longue mémoire, dit Nietzsche.

 

Or, actuellement, adopter l’anglais comme langue européenne, c’est nous suicider en tant que civilisation, c’est adopter une épistémèdestructrice qui nie toutes les valeurs fondant l’Europe métahistorique.

 

À mon sens, la seule langue qui signifie quelque chose par rapport à ce que nous désirons être, à ce que nous devons être, c’est le latin. Les Juifs ont ressuscité l’hébreu et en ont fait leur langue nationale et les musulmans ont gardé l’arabe classique comme langue religieuse et culturelle.

 

Techniquement, il n’existe aucune difficulté à restituer à nos écoles la tâche d’enseigner la langue (modernisée) de nos ancêtres, langue qui est restée vivante chez les doctes et les ecclésiastiques, même de langue germanique ou slave, jusqu’à la fin du XVIIIesiècle, et qui facilitait les échanges entre peuples de l’Europe (1).

 

Il ne s’agit pas ici du reste de louer le latin comme simple outil pédagogique, favorisant la rigueur et l’attention, et comme propédeutique à un certain nombre de connaissances linguistiques, culturelles ou historiques. Il est bien question du latin comme langue de civilisation européenne.

 

Persistance vitale des langues nationales

 

L’Europe, en tant qu’entité géopolitique, culturelle et religieuse (la Chrétienté) a disparu comme telle, déchirée par les poussées nationalistes du XVIesiècle, dont la Réforme a été l’expression et l’occasion. Les monarchies européennes les plus puissantes, confortées par la montée de la bourgeoisie commerçante et administrative, se sont appuyées sur le renforcement des langues nationales pour asseoir leur pouvoir et illustrer le rayonnement culturel de royaumes où le sentiment patriotique s’enracinait progressivement.

 

L’histoire de chaque langue nationale révèle l’existence de disparités dont les causes sont complexes, dues tout aussi bien aux aléas de l’Histoire (l’absence de conquête par Rome de la Germanie, d’une grande partie de la Bretagne ou de l’Irlande, par exemple) ou de caractères intrinsèques (d’ordre ethnique, géographique, territorial – par exemple, la proportion de populations préceltiques dans certaines régions, les contraintes favorisant telles activités économiques, la proximité ou la coexistence (due parfois à une conquête, à une occupation, comme celle des gallo-romains par les Francs). Le modelage d’un idiome appartient aussi à cette part de mystère qui entoure la constitution du génie d’un peuple. Qu’une langue, par des sonorités propres, le façonnage d’une personnalité même des mots du lexique, leur couleur, leur épaisseur, leur ombre, présente comme un être vivant une physionomie reconnaissable entre toutes, que le rythme lié à l’enchaînement de la syntaxe, aux accents, aux longueurs des syllabes, suscite une chanson propre, identifiable même par ceux qui en ignorent le sens, voilà qui est certes miraculeux (au sens d’admirable, digne d’être remarqué comme l’une des beautés de l’être humain) et suffit à expliquer qu’un tel terroir linguistique, pour peu qu’il ait été labouré, ait pu engendrer ces monuments que sont les ouvres littéraires, la poésie, le théâtre, le roman, etc.

 

La langue d’une nation est devenue ce que nous avons de plus intime en nous, et ce n’est pas pour rien qu’on l’appelle la langue maternelle, puisqu’elle porte en elle les premiers sons que nous ayons entendus sur la Terre, dès notre naissance. L’enfant, l’adolescent, l’être mûr en sont nourris. Elle nous est comme une seconde nature. C’est par elle qu’un individu ou une communauté exprime ses certitudes, ses hésitations, ses souffrances, ses espoirs, et tous les accents de la beauté, de l’amour, de la haine ont été proférés avec ce qu’elle nous octroyait de substance.

 

Loin de déplorer la disparité linguistique dans le monde en général, et en Europe en particulier, il faut s’en réjouir, car elle a permis l’affirmation de sensibilités diverses, de visions du monde différentes.

 

Une langue ne s’épanouit pas seulement dans la clarté glorieuse des productions artistiques. Elle irrigue la vie la plus banale. Bien qu’Européen, je ne peux me savoir autrement que français, traversé par ma langue, une langue si charnelle que j’ai l’impression qu’elle a fait mon corps autant que ma sensibilité; et lorsque je parle de corps, je le conçois aussi généreusement absorbant et restituant que les géants rabelaisiens, dont la nourriture provient autant des mots habitant un paysage (à tel point que les noms de fleuves – Garonne, Rhône – sont souvent originaires d’une langue et d’une civilisation disparues, comme le mot Sindhu– Indus – est attribué à la langue buruski, qui serait l’unique descendante de la langue harappéenne parlée vers 1800 av. J.-C.), nommant une occupation humaine, traçant (tatouant ?) une Histoire, même fantasmée, sur la peau terrestre, que précipitent sur le monde des envies impérieuses avec un estomac, un sexe, une curiosité intellectuelle jamais rassasiés, car vivants.

 

La langue est liée à l’être qui la jette au monde comme l’inscription de sa propre nécessité et en reçoit sa confirmation.

 

Les langues dites nationales (on inclura dans cet ensemble les langues dites « régionales », comme le catalan, le basque, le breton, l’occitan, le corse etc.) ne sauraient disparaître sans que n’anéantisse notre rapport profond à la vie. Il est impensable de les remplacer par une langue continentale, car ce serait éradiquer non seulement nos racines, mais aussi arrêter la sève qui provient de la Terre pour nourrir notre être-au-monde.

 

Le système langagier européen doit donc être pluriel, ce qui ne signifie pas qu’il se présente sur un même plan.

 

Le latin, langue administrative, politique et hiératique

 

L’Europe sera autant un acte de la volonté que la résultante naturelle d’une longue Histoire. Comme Alexandre en Phrygie, face au noeud gordien, il faudra trancher. Nous ne sommes pas devant un cas de figure où une langue impériale serait le véhicule et la traduction de l’hégémonie d’un peuple, ou dans celle où elle serait commune naturellement, depuis des siècles, à un ensemble, comme le grec l’était de l’Empire byzantin (ou du moins de son élite).

 

Une fois admise la nécessité de maintenir (voire d’encourager) les langues « nationales », il s’agit de se demander ce que le latin occuperait comme fonction dans l’Europe unifiée et indépendante que nous appelons de nos voeux.

 

À mon sens, elle serait ce qu’ont été le mandarin en Chine et le sanskrit en Inde, c’est-à-dire d’une part une langue de l’administration et, de l’autre, une langue sacrée.

 

Il n’est pas impossible qu’à la longue, au bout de plusieurs générations, si l’enseignement d’une langue qui a été nôtre dans le passé est prodigué sérieusement (c’est là le coup d’épée auquel il été fait allusion précédemment), le latin parvienne à produire des ouvres aussi profondes que celles qui ont éclos sous l’emprise des langues nationales. Seul l’avenir peut en témoigner. Avant cette heureuse assomption, il est tout à fait possible, et nécessaire en ce qui concerne la première tâche, d’instituer le latin comme langue administrative et politique de l’Europe, et, pour ce qui est de la deuxième tâche, comme langue sacrée.

 

Dans le premier cas, on peut s’appuyer sur l’exemple de la Chine, qui a forgé son homogénéité par l’instauration d’une administration élitaire, dont le sommet était l’Empereur. L’intégration dans cette bureaucratie hiérarchisée se faisait par des concours extrêmement sévères, reposant sur des épreuves culturelles, où la poésie et les arts n’étaient pas omis. Cette sélection avait pour vertu de consolider une langue riche, sophistiquée, comme le ciment d’un ensemble géopolitique extrêmement hétérogène (l’Empire du Milieu), où des poussées centripètes se faisaient sentir de façon permanente. La caste des scribes, dotée d’une éthique et une philosophie solide (le confucianisme) portait sur ses épaules la destinée de l’Empire.

 

Dans le cas du sanskrit, nous avons une langue qui était, est encore, l’expression d’un savoir sacré immémorial, véritable « empire de la pensée » (Michel Angot) transmis par la caste des brahmanes. La sanskrta vac (« la parole ajustée ») est une fixation volontaire et en partie artificielle de l’ancien parler indo-ârya, qui cohabite avec environ cinq cents langues (les prakrits), idiomes vernaculaires parfois issus de langues dravidiennes. Il n’est pas rare en Inde de maîtriser plusieurs langues, y compris dans leur pratique savante.

 

L’exemple du sanskrit n’est pas sans nous poser des problèmes, notamment parce qu’il transmet un corpus mystique, ésotérique, exotérique, littéraire, philosophique, scientifique etc., et que le latin n’est plus en mesure d’en proposer un, d’autant plus que la cassure anthropologique (toute relative cependant) qu’a constitué le christianisme a rompu le fil avec la Religion originaire de l’Europe. Il n’est pas envisageable, sans doute, de réactiver tel quel le paganisme de l’Antiquité, ce qui serait d’ailleurs ridicule. L’approche païenne du monde se module en fonction des circonstances historiques et se traduit par des expressions aussi riches et variées qu’est le monde. C’est aux générations nées de la Révolution européenne de résoudre cette question. Néanmoins, il n’est pas impensable que le latin devienne aussi la langue sacrée des Européens dont la fraction la plus sensible à une approche mystique du monde s’emparerait pour créer une nouvelle « théologie » (dans un sens antéchrétien) (2).

 

Préparer l’Europe latine

 

Il n’est certes pas improbable que finalement ce soit l’anglais, aussi pauvre et commercial soit-il, qui l’emporte, et que son adoption finale par l’Europe des marchands, très active actuellement, achève le processus actuel qui conduit à la perte de notre indépendance.

 

Cependant, comme la fin du Kali Yuga (3) n’est pas perceptible à vue humaine, et que nul ne saurait en saisir la date, ni le commencement de sa négation, il est préférable de remplir, dans la mesure de nos forces et de nos possibilités, notre Dharma(4). Notre Devoir est donc d’inscrire nos enfants dans les cours de latin, de nous mettre nous-mêmes au travail, de l’apprendre et de l’approfondir. Cela à titre individuel. Sur le plan métapolitique, il serait judicieux de créer une association européenne de promotion du latin comme langue de la communauté, et d’intervenir de façon permanente dans ce sens.

 

Bien sûr, un tel projet semblera très modeste (peut-être trop décalé) en regard de combats politiques (voire métapolitiques) plus ambitieux et exaltants, dans la mesure où il redouble des pratiques qui existent déjà dans les familles ou au sein du monde de l’éducation. Pourtant, il s’agit de bien saisir l’importance de ce qui est en jeu. L’impression domine depuis quelques années, malgré l’existence d’un courant critique vis-à-vis de l’héritage de deux mille ans de christianisme, et face à la nécessité de susciter une Europe renouant avec son être, qu’un certain enlisement, un ressassement certains de thèmes et de discours nous amènent à désespérer de l’avenir. C’est comme si nous manquions en même temps de point d’attaque, et de levier pour soulever la masse qui nous barre le chemin. Ajoutons à cet état affligeant les divisions qui paralysent le mouvement européen identitaire. Or, si l’on se fixait un objectif consensuel tel que la défense et l’illustration du latin comme langue communautaire, avec un souci réel de réussir à fédérer les volontés (au-delà de nos « frontières » nationales, cela va de soi), d’approfondir la signification métapolitique d’un tel choix, de travailler ce qui concerne le génie propre de cette langue, en identifiant tout ce qu’elle nous apporte et nous apporterait, quitte à la moderniser (c’est une affaire de spécialistes, et il doit en exister chez nous), de sensibiliser les familles et les jeunes générations à cette tâche, nous serions peut-être en mesure de tenir là un moyen de parvenir à un résultat concret (évaluable). Nous aurions par ailleurs un excellent prétexte à rencontres, à débats, à éclaircissement riches et variés (car une langue ouvre des perspectives infinies). Sans compter l’écho qu’aurait, par delà les limites de notre camp, une telle affirmation culturelle, qui intéresserait beaucoup de monde (à commencer par les latinistes et les hellénistes).

 

Pour finir, essayons de nous rappeler combien de peuples ont conquis leur indépendance en engageant une grande partie de leur combat sur la question de la langue.

 

Claude Bourrinet

 

Notes

 

1 : Rien n’empêche d’ailleurs les peuples de l’Est de garder une langue slave comme le Russe, ce qui serait légitime d’un point de vue civilisationnel.

 

2 : Bien entendu, le grec et le sanskrit seraient considérés comme des langues « sacrées », peut-être étudiées dans des sortes d’« écoles cathédrales » païennes ou d’ashrama(communautés « religieuses » et philosophiques indhoues).

 

3 : Selon les Hindous, l’univers connaît, comme chez les Grecs, différents âges (yuga), dont l’évolution suit une courbe déclinante, jusqu’à l’âge du chaos (« l’âge de fer », l’âge de la déesse Kali, la déesse de la destruction). Selon certains, cette décadence est inévitable, et comme son achèvement ne peut aboutir qu’à un renouveau, un rétablissement de l’ordre cosmique, il est préférable non seulement de ne pas réfréner ce qui ne manquera pas de chuter, mais aussi de hâter cet effondrement.

 

4 : « Dharma désigne ce qui soutient et élève. Donc le principe fondamental à la base de toutes les manifestations de la vie est, au sens réel, le dharma. Ce principe est ce que nous appelons Dieu ou Vérité. Dharma signifie donc la connaissance de la grande Vérité qui soutient toutes choses. C’est seulement à la lumière de cette connaissance que la vie d’un être humain peut être harmonieusement ajustée dans ses aspects les plus divers. Ainsi le but du dharma est d’infuser dans toutes les activités de la vie la splendeur, la béatitude et la paix de la réalité divine. » ( Swâmi Râmdâs, « Présence de Râm », in Jean Herbert, Spiritualité hindoue, Albin Michel, coll. « Spiritualités vivantes », 1972, p. 117). « Du point de vue scientifique, le Dharma est la propriété caractéristique; du point de vue moral et légal, c’est le devoir; du point de vue psychologique et spirituel, c’est la religion, avec tout ce qu’elle doit impliquer; d’un point de vue général, c’est la justice et la loi; mais par-dessus tout, c’est le Devoir. » (Bhagavan Das, « The Science of Social Organisation», Ibid.)

 

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Robert Keil

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Robert Steuckers:

En souvenir de Robert Keil (1935-2014), homme d’une fidélité inébranlable

J’ai fait la connaissance de Robert Keil lors d’une activité du G.R.E.C.E. tout au début des années 90. C’était en Provence. Quand Robert Keil est venu me saluer pour la première fois, c’est avant tout un large sourire qui s’est avancé vers moi, un visage qui exprimait la joie de vivre et entendait la communiquer à tous. Keil était né bilingue comme moi, à la charnière des mondes roman et thiois, là où le lorrain d’oïl se mêle au dialecte mosel-fränkisch. Il était un homme de l’espace lotharingien capable de comprendre les sentiments profonds des uns et des autres, capable aussi de rire de bon coeur des travers humains ou de fustiger avec acidité joyeuse les snobs de tous acabits. Sa famille, au sens large, était lorraine, sarroise, luxembourgeoise et allemande, dispersée sur trois ou quatre nationalités, sans compter une assez forte proportion d’émigrés vers l’Amérique, sur lesquels il avait rassemblé une documentation en anglais, qu’il m’avait un jour demandé de traduire, découvrant ainsi un lointain cousin pionnier de l’aviation civile et proche de Lindbergh. Né Français le 9 avril 1935, il devient Allemand en 1940, peu avant d’entrer à l’école primaire, redevient Français en 1944, quand il n’a pas encore quitté celle-ci. Les souvenirs de sa tendre enfance étaient tout à la fois français et allemands, comme l’atteste son cahier d’écolier de 1943, qu’il aimait me montrer et où il avait dessiné un bombardement américain sur Metz, dessin d’enfant où l’on reconnaissait bien la belle cathédrale de la ville lorraine. Cette double appartenance a fait de lui un véritable Européen comme bon nombre d’Alsaciens-Lorrains qui, autour de Robert Schuman, ont voulu faire l’Europe dès la fin de la deuxième guerre mondiale, afin que les carnages des deux guerres mondiales ne se reproduisent plus jamais. C’est cette noble aspiration qui l’avait amené à fréquenter des cercles qui se proclamaient “européistes” ou qui l’étaient vraiment.

Amateur d’art, hôte exceptionnel, caricaturiste caustique

Robert Keil était aussi un amateur d’art au goût très sûr, bien que différent des engouements à la mode pour les happenings et les tachismes de toutes natures. Avec son épouse Elizabeth, Keil était un homme qui savait recevoir chez lui à Metz avec tout l’art de la table et toutes les saveurs qui l’accompagnent: de toute ma vie, jamais je n’ai goûté mets plus fins à une table d’hôte. Etre invité à la table de Keil était un privilège que même un ascète fruste comme moi a apprécié, de toute la force du péché de gourmandise, et en gardera un souvenir éternel. Ma compagne Ana, qui fera connaissance avec les Keil en 2006, garde un souvenir émerveillé de cette table magnifiquement dressée, où des mets d’une formidable délicatesse nous ont été offerts. Comment ne pas oublier cette réception de Nouvel An, dans les années 90, où j’ai eu une conversation très féconde avec sa belle-mère, dont les jugements sur le demi-siècle qui venait de s’écouler était d’une précision d’entomologiste, d’une rigueur sans appel et d’un non-conformisme tonifiant. Enfin, dernière qualité de Keil: il était à ses heures un excellent caricaturiste. S’il avait voulu peaufiner ce talent, il aurait bien égalé Alidor, le caricaturiste de “Pan” et de “Père Ubu” à Bruxelles, l’ancien compagnon d’Hergé au “Vingtième Siècle”. Quand un politicard moisi ou véreux commettait une forfaiture quelconque, Keil, espiègle, prenait son crayon et fignolait une belle caricature caustique qu’il envoyait là où il le fallait, pour faire jaser ou enrager. Il a d’ailleurs un jour croqué mon portrait, assis sur un siège de jardin, d’après une photo prise à Vlotho en 2002, et m’a affublé d’une couronne, d’un sceptre et d’un vieux pistolet de pirate. Je conserve religieusement ce dessin dans mes archives.

Grâce à Keil, Metz est devenu pour nous, avant même la création de “Synergies Européennes”, un centre d’activités métapolitiques intenses. C’est probablement la ville où j’ai le plus souvent pris la parole en public, notamment dans le centre culturel de la Rue Saint-Marcel et dans quelques hôtels. Les thèmes de ces conférences ou colloques étaient la géopolitique, l’oeuvre politologique de Carl Schmitt, la polémologie, la philosophie de l’histoire, la partitocratie, la perspective eurasienne, la philosophie tout court, etc. Il faudrait retracer l’histoire de ce “Cercle Hermès”, essentiellement animé par Keil et le Dr. Cuignet, qui puisait ses orateurs parmi les cadres et les stagiaires de “Synergies Européennes”. Je sais que Keil a tenu un journal très précis et très complet des activités du Cercle Hermès: j’espère que ce sera l’occasion d’écrire très bientôt un article sur “Robert Keil et le Cercle Hermès de Metz”.

Une succession ininterrompue d’activités

Mais en ne me référant qu’aux seuls documents qui me sont accessibles dans le bureau où je rédige cet hommage à ce travailleur (trop) modeste et opiniâtre que fut Robert Keil, je redécouvre les traces de plusieurs activités qu’il a patronnées ou rendues possibles: les 5 et 6 aôut 1995, le Cercle Hermès (CH) organise une sortie sur le site archéologique alsacien de Mackwiller, qui recèle un “Mithraum”, avec pour guide le Prof. J.J. Hatt, conservateur honoraire du Musée Archéologique de Strasbourg. Le 3 février 1996, le CH me donne la parole pour parler des “néo-communautariens” américains et de la notion sociologique de “communauté” (Ferdinand Tönnies). Le 16 mars 1996, c’est au tour de la brillante germaniste française Isabelle Fournier de parler de l’oeuvre d’Ernst Jünger. Le 7 juin 1996, le philosophe et musicologue Jean-Marc Vivenza s’adresse au public du CH pour leur parler de l’avant-garde futuriste, appuyé par un magnifique diaporama car toute l’Europe s’intéressait à l’époque au futurisme (une exposition se tiendra plus tard à Bruxelles, début des années 2000, au Musée d’Ixelles). Le 22 septembre 1996, les sympathisants du CH visitent le champs de bataille de Verdun sous la direction de l’historien Philippe Conrad, aujourd’hui directeur de “La Nouvelle Revue d’Histoire”.

Le 25 janvier 1997, je prends une nouvelle fois la parole à la tribune du CH pour retracer l’histoire de la redécouverte des paganismes depuis la renaissance italienne et, plus particulièrement, depuis la traduction du “Germania” de Tacite par l’humaniste Piccolomini, futur chancelier de l’Empereur Frédéric III et futur Pape Pie II. Le 24 mai 1997, le “Cercle Europa”, soutenu par Keil, anime une réunion consacrée au philosophe et écrivain germano-balte Hermann von Keyserling, et projette le film de Volker Schlöndorff, “Le coup de grâce”, tiré du livre éponyme de Marguerite Yourcenar. Le 31 mai 1997, le géopolitologue Alexandre Guido Del Valle vient énoncer ses thèses prémonitoires, aujourd’hui partagées par d’innombrables observateurs de l’échiquier international, sur l’alliance des Etats-Unis et de l’islamisme contre l’Europe. Le 21 juin 1997, le CH invite le géopolitologue franco-russe Viatcheslav Avioutsky pour parler de la “renaissance cosaque” en Russie. On doit aujourd’hui à Avioutsky de nombreux ouvrages didactiques sur le Caucase, la Tchétchénie, les révolutions colorées, etc., qui font autorité. Fin juin 1997, Robert Keil réunit, grâce à l’appui du CH, des étudiants pour une projection du film biographique de Paul Schrader sur l’écrivain japonais Yukio Mishima. Le 13 décembre 1997, Dominique Venner, à l’époque directeur de la revue “Enquête sur l’histoire”, présente son ouvrage sur les armées blanches pendant la guerre civile russe.

Huntington, Brzezinski, Clausewitz, Jomini, de Pange, Heidegger, Rougemont, Jouvenel, etc..

Le 26 septembre 1998, le CH organise dans le château du Comte de Pange en Lorraine un colloque sur un éventail de questions politologiques, où Marc d’Anna prend la parole sur les thèses de Samuel Huntington et de Zbigniew Brzezinski, Laurent Schang sur l’oeuvre du Comte Jean de Pange, fédéraliste européen, et moi-même sur la notion de partitocratie, telle qu’elle avait été théorisée par le grand politologue espagnol Gonzalo Fernandez de la Mora, directeur et fondateur de la revue “Razon española”. Cette liste ne constitue qu’un aperçu succinct des innombrables activités du CH, toute de haute qualité et de grande tenue intellectuelle: comment oublier les interventions du haut fonctionnaire européen André Wolff, de Pierre Bérard (animateur du “Cercle Kléber” de Strasbourg), le colloque sur la polémologie (Clausewitz, Jomini, etc.), avec la participation de mes compatriotes Diaz et Banoy, le colloque sur les visions de l’histoire dans le monde anglo-saxon, avec les interventions magistrales du Liégeois Xavier Hottepont (sur Huntington) et du Bordelais Eddy Marsan en 2003, le colloque philosophique animé par l’heideggerien Desmons, les Lorrain Thull (sur le penseur suisse Denis de Rougemont) et Schang (sur Bertrand de Jouvenel) et moi-même (sur le scepticisme grec)? Et la soirée sur la notion géopolitique d’Eurasie en 2009, où j’ai été amené à présenter ma préface au livre du géopolitologue croate Jure Vujic? Tout cela a été possible parce Keil, qui avait du flair et de l’instinct, a toujours invité des orateurs qu’il estimait personnellement pertinents, sans jamais écouter les sirènes intrigantes qui entendaient gérer seules toutes les activités métapolitiques de notre sensibilité dans tout l’espace inter-sidéral de notre galaxie.

On le voit à cet échantillon pourtant très succinct: les activités positives et désintéressées de Robert Keil ont touché tous les sujets essentiels de la pensée. Robert Keil n’a jamais manqué aucune université d’été de la F.A.C.E. (“Fédération des Activités Communautaires en Europe”) ou de “Synergies Européennes”. Il a toujours répondu “Présent!”. Depuis la première université d’été de Lourmarin en Provence à la dernière à Vlotho en Basse-Saxe, Robert Keil a toujours été le premier à s’inscrire, à donner un coup de main, à véhiculer les inscrits non motorisés ou les étudiants impécunieux. On le voit sur les photos: accablé, comme moi, par la canicule méditerranéenne à Lourmarin en 1993 ou en grande conversation avec un professeur portugais; attablé à Varese avec les autres convives français, autrichiens, italiens; en excursion dans la montagne, à la découverte de traces archéologiques préhistoriques dans les Alpes lombardes; en promenade le long du Lac Majeur avec d’autres stagiaires, dont l’Autrichien Gerhoch Reisegger; à l’écoute de Guillaume Faye dans le parc de la demeure qui nous abritait à Vlotho ou du guide sur le site des Externsteine. Mais ce n’est pas tout: Robert Keil n’a jamais manqué un séminaire de “Synergies Européennes”, à Paris (sur l’Allemagne, la Russie ou la pensée rebelle), dans le Périgord (où nous logions dans la même demeure), au Crotoy en Picardie, où nous avons eu le bonheur de goûter aux fruits de la mer, dans l’estuaire de la Somme. De là, il m’a ramené à Dinant pour que je prenne le train de Bruxelles. Nous avons traversé la Thiérarche à la tombée de la nuit pour arriver à Chimay, où il tenait absolument à consommer une bonne bière d’abbaye, avant de reprendre la route vers sa chère Lorraine. Fin novembre 2005, Bruxelles est bloqué sous une épaisse couche de neige: impossible de démarrer la voiture; je saute dans un train pour Metz, où il n’a pas neigé, d’où Keil, toujours prompt à servir la cause de la culture, m’amène en voiture à Nancy, pour un colloque géopolitique de l’association “Terre & Peuple” du Prof. Pierre Vial. Le 10 mars 2012, quand je prononce devant quelques amis de longue date une conférence sur la notion de “patrie charnelle”, tirée de l’oeuvre du philosophe des Lumières, Johann Gottfried Herder, Keil est évidemment présent au dîner-débat. Nous avions projeté d’organiser, suite au décès du Prof. Piet Tommissen en août 2011, un colloque sur le grand politologue alsacien Julien Freund, plus apprécié en Belgique (UCL et VUB confondues!) qu’en France, si l’on excepte, bien sûr, les efforts méritoires et exceptionnels, mais récents, de Pierre-André Taguieff. Malheureusement, ce projet d’un colloque en hommage à Freund ne se concrétisera sans doute jamais.

Keil hébergeait tous les orateurs du CH dans un charmant hôtel de Metz, où le veilleur de nuit, d’origine italienne, était un fervent lecteur de “Nouvelles de Synergies européennes” et de “Vouloir”.

“Recours aux Forêts” et “Antaios”

En avril 1994, à Munkzwalm en Flandre, Robert Keil participe à la réunion qui conduira à la fondation de “Synergies Européennes”, sans demander aucune fonction, tant sa modestie était proverbiale. Ce fut, le soir, dans le quartier gastronomique de la “petite rue des Bouchers” à Bruxelles, une cène amicale qui a scellé durablement notre amitié et surtout notre complicité “inter-lotharingienne”. Robert Keil ne limitait pas ses intérêts aux seules activités de “Synergies Européennes”: il suivait avec passion les travaux de l’écologiste Laurent Ozon et de sa revue “Le recours aux Forêts”. Son épouse, d’ailleurs, fine gastronome, avait lu avec grande attention le numéro consacré à “la bonne alimentation”. De même, Robert et Elizabeth Keil lisaient et soutenaient la revue “Antaios” de l’Ixellois Christopher Gérard, qu’ils surnommaient malicieusement “Méphisto”, et qui avait composé d’excellents dossiers sur le mithraïsme ou sur l’hindutva indienne, actualisation de l’immémoriale tradition hindoue. Ce directeur d’“Antaios”, philologue classique issu de l’ULB, prendra aussi la parole dans les salons messins réservés par le CH. Plus tard, Gérard-Méphisto allait amorcer, début de la décennie 2000, une carrière d’écrivain, grâce à l’appui initial de Vladimir Dimitrijevic, le regretté directeur des éditions “L’Age d’Homme” qui sera aussi le promoteur d’un autre orateur de prédilection de Keil, Alexandre Guido Del Valle. Keil et Dimitrijevic partageaient assurément une vertu commune, le flair, bien qu’ils aient été des hommes foncièrement différents, venus d’horizons totalement divergents.

Inoubliable André Wolff

Outre le Cercle Hermès, Keil, notamment à l’instigation de Gilbert Sincyr, le premier Président de “Synergies Européennes”, cherchait à animer des structures plus modestes, mais à ambitions très vastes, comme l’UFEC, qui deviendra vite le “Club Minerve”, qui éditera, pendant un certain temps, un bulletin “Res Publicae Europeae”, où oeuvrera le géopolitologue français Louis Sorel dont on retrouvera plus tard la signature, sous son vrai nom, dans quantité de revues de haute gamme, sur papier glacé. Dans le cadre de ces activités annexes au CH et à “Synergies Européennes”, il va rencontrer un autre enfant de Metz, le Dr. André Wolff, haut fonctionnaire de la CECA puis des CEE, dès leurs débuts, dans les années 50. André Wolff était un “européiste” convaincu, parce que Lorrain comme Keil; bilingue de naissance lui aussi, il ne pouvait souffrir l’existence inutile de frontières hermétiques, d’inimitiés bétonnées, sur le territoire de l’ancienne Lotharingie.

Né peu après la première guerre mondiale, Wolff était devenu Allemand en 1940, puis redevenu Français en 1944, pour suivre, après cette deuxième grande conflagration fratricide en Europe, la piste lancée par Robert Schuman, celle d’une construction européenne efficace, animée par la ferme volonté de renforcer le poids de notre continent dévasté. Devenu l’un des premiers fonctionnaires européens en place à Bruxelles, Wolff avait fait une carrière brillante, maîtrisant l’allemand, le français et l’italien à la perfection. Il habitait à Laeken. Il y jouissait d’une retraite bien méritée, commencée fin des années 80. Keil le rencontrait très souvent. Personnellement, je n’osais guère déranger cet homme vénérable, d’un âge déjà avancé, doux et affable, gentil mais déterminé, toujours tiré aux quatre épingles, au savoir politique accumulé depuis les temps héroïques de la CECA. Jamais je n’ai osé lui réclamer des articles ou des communiqués, alors qu’il l’aurait bien voulu, je pense. C’était donc Robert Keil qui organisait, depuis Metz, des réunions avec Wolff et moi dans une taverne danoise à l’ombre de la Basilique de Koekelberg, quand notre fonctionnaire en retraite était à Bruxelles car il résidait chaque année pendant de longs mois dans un village italien d’où son épouse était originaire. Comme auparavant avec Keil, le courant entre Wolff et moi est passé tout de suite: fraternité silencieuse des Lotharingiens, des hommes d’entre-deux, de tous ceux qui refusent les enfermements monoglottes.

André Wolff rédigeait tous les communiqués de “Minerve”, avec une précision remarquable, utilisant le langage équilibré de l’UE pour faire passer un message proche du nôtre. Il demeurait une voix écoutée dans les arcanes de l’UE mais, hélas, non suivies d’effet car l’esprit européiste pionnier a bel et bien cédé la place à un mondialisme faussement mièvre, insidieux, foncièrement méchant dans sa volonté impavide de tout homogénéiser, un mondialisme sans aucune assise territoriale et culturelle. Wolff prendra la parole à mes côtés à la tribune du Cercle Hermès en 2009, pour introduire ma conférence sur la notion géopolitique d’Eurasie. Il avait 89 ans. Il mourra à Bruxelles dans sa 93ème année, suite à une mauvaise grippe. Keil en était profondément attristé. En m’annonçant au téléphone le décès de Wolff, sa voix était troublée par un sanglot, que j’avais envie de partager, tant la disparition de cet homme doux et convaincu a été finalement une grande perte pour tous ceux qui, dans les coulisses du Berlaymont à Bruxelles, entendaient maintenir une véritable “conscience européenne” de carolingienne et de lotharingienne mémoire. La voix de Wolff, toujours précise en dépit des ans, s’est hélas éteinte et, sans doute avec lui, l’esprit profondément européiste des fondateurs honnêtes de l’unité européenne, aujourd’hui galvaudée par des pitres politiques ou des canailles néo-libérales ou des valets au service d’un impérialisme étranger qui veut notre mort et la guette, la prépare, à tout moment par satellites-espions interposés.

Notre dernière rencontre

J’ai rencontré Keil pour la dernière fois dans la capitale française en septembre 2013 lors du colloque de “Maison Commune” organisé par Laurent Ozon, avec le concours du philosophe Jean-François Gauthier, auteur, récemment, d’un ouvrage didactique sur les messianismes politiques, paru chez Ellipses à Paris. Keil était heureux de voir deux de ses orateurs favoris fraternellement réunis après tant d’années de séparation. Keil était assis en face de moi pendant tout le colloque, affichant son éternel sourire si chaleureux, tout à la fois complice, espiègle, heureux et satisfait que la machine tournait toujours en dépit du temps qui passe, de l’acharnement des adversaires de tous horizons. En écrivant ces lignes d’hommage, c’est ce visage de Keil à Paris que j’ai en tête et que je n’oublierai jamais plus. Ana aussi, quand elle a appris la disparition de cet ami, a dit, spontanément, que c’est ce visage qu’elle gardera  toujours en tête, en souvenir de celui qui, avec son épouse, l’avait si bien accueillie en août 2006. Mais Keil, je le voyais bien, était épuisé d’avoir tant parcouru l’Europe en voiture en tous sens pendant tant d’années. Ensuite, il se plaignait qu’une cécité partielle le menaçait. Sur une charmante terrasse du 16ème, nous avons partagé le repas du soir en commun, avec les autres orateurs et organisateurs du colloque, ainsi que de jeunes écologistes provençaux, venus tout spécialement de Manosque, la ville de Giono, pour nous écouter. Keil était assis trois sièges plus loin à ma gauche si bien que je ne pouvais guère lui parler. Il a quitté la table, fatigué, bien avant les autres convives et tenait à me voir le lendemain matin avant son départ de la Gare de l’Est. Notre hôtel était à l’autre bout de Paris et il nous a été impossible d’arriver à temps dans le quartier de la Gare de l’Est pour prendre le petit déjeuner avec Keil. Nous avons donc raté notre dernier rendez-vous.

Robert Keil, incarnation du “triple C”

Robert Keil s’est éteint le 19 février 2014, treize jours après Gilbert Sincyr, premier Président de “Synergies Européennes”. Pour nous, c’est une catastrophe car il a été, avec Wolff, le seul à avoir réellement compris, dans ses chairs, dans toutes les fibres de son enveloppe charnelle, la dynamique transfrontalière et véritablement européenne que nous avons voulu impulser, parfois envers et contre l’incompréhension des “Français et des Allemands de l’intérieur”. Ensuite, il faut aussi le remercier pour cette bonne humeur constante et ce désintéressement qu’il a montré à tous moments. Quand Sincyr et moi rédigions la Charte de “Synergies Européennes” en 1994, nous avions tous deux décidé de placer nos activités à l’enseigne d’un “triple C”, pour “communauté”, “convivialité” et “courtoisie”. Dans un espace métapolitico-culturel difficile, comme celui que nous allions devoir côtoyer à notre corps défendant, ce “triple C” était un défi: trop de psycho-rigidités, d’affects inutiles, de raideurs rédhibitoires, de poses ridicules, de nullités prétentieuses exhibant leur “quant-à-soi”, d’inconsistences intellectuelles le refusaient implicitement, instinctivement, le prenaient pour une position inadéquate pour ceux qui, très suffisants, prétendaient constituer une sorte de “camp des saints”. Mais on ne bâtit pas une communauté réelle sans cette fibre transrationnelle, cette fibre charnelle, sans la convivialité que Keil et son épouse créaient lors des événements culturels qu’ils patronnaient, sans la courtoisie qui consiste à respecter le rythme et l’idiosyncrasie d’autrui quand il s’exprime par oral ou par écrit, à écouter les récits qui relèvent de son vécu. Je puis le dire et l’écrire: Keil a été le seul, l’unique, à incarner le “triple C”. C’est pourquoi son “départ” est une catastrophe anthropologique car qui remplacera cette incarnation lorraine du “triple C”? Je ne vois rien se pointer à l’horizon. Comme Ozon vient de l’exprimer par un courriel, “ce départ l’emplit d’une profonde tristesse”. Moi aussi. Car nous avons perdu un ami, de meilleur il n’y en avait pas. Il va falloir se battre pour lui, à sa place, en son créneau aujourd’hui vide, mais pourrons-nous en avoir la force? La force de réorganiser chaque mois des activités d’un tel niveau, avec un tel rythme et une telle constance? Avec une aisance sans pareille, avec une bonhommie qui conquiert tous les coeurs?

Merci, Papa Keil, pour ta bonne humeur, pour ta constance, pour ta fidélité. J’ose croire que tu as rejoint ce cher André Wolff dans le monde dont on ne revient pas. Réserve-nous une bonne table, comme tu le faisais à la taverne danoise de Koekelberg.

Robert Steuckers.

(Forest-Flotzenberg, 21 février 2014).

Le Miel de Slobodan Despot

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Le Miel de Slobodan Despot
 
Un voyage initiatique
 
Claude Lenormand
Ex: http://metamag.fr

sloboban-despot-xenia-roman-miel-cover.jpg« Il est des pays où les autobus ont la vie plus longue que les frontières» et aussi « Chacun de nos gestes compte». Première et dernière phrases du premier roman de Slobodan Despot publié chez Gallimard dans la prestigieuse collection blanche. Embarquement immédiat pour un grand livre.


Dès les premiers mots nous rentrons en écriture comme on rentre dans une forêt ou comme on aborde un paysage de montagne. Une écriture souple, douce comme celle du chat qui avance à pas comptés ; une écriture dense aussi, et le chat se fait félin de grande taille, non pas agressif mais interrogateur et d’abord sur lui-même. Par le bercement des mots (mais pas de pathos, toujours au plus près de l’histoire) l’auteur nous fait cheminer à ses côtés comme des amis devenus proches. Cheminer en territoire dangereux car la Krajina serbe occupée par les croates après les guerres yougoslaves n’est pas un endroit recommandé pour un apiculteur serbe et son fils. Un apiculteur oublié par sa famille dont le cadet devra le retrouver. 


Nous croiserons des russes, des hongrois, des croates, des serbes. Presque tous sont à l’aune de ce moment de l’histoire, compliqués, vénaux, pillards, parfois amicaux voire franchement comiques « des forces de la nature et des êtres tourmentés » comme la famille de l’apiculteur oublié. Sortant de la guerre « dans l’odeur de boucherie et de désinfectant », les adultes ont été contaminés, « le malheur de cette terre était contagieux ».


Mais pas tous. L’apiculteur est une nature contemplative (comme l’auteur lui-même auteur d’un Valais Mystique dont le titre indique la tonalité). Il « passait tout son temps à ausculter les essaims et à contempler leur danse chargée de sens ». Les insectes ont plus de bon sens que les humains dans leurs guerres fratricides. Sans dévoiler l’intrigue, le lecteur rencontrera la magnifique Véra, la guérisseuse, l’herboriste traditionnelle, figure de la Grande Mère et de  la magicienne. C’est elle qui sauvera le vieil apiculteur. Elle aussi, la consolatrice qui saura soigner le témoin (l’auteur) auquel elle raconte l’histoire. Le miel est aussi ce qui guérit, cicatrise, soigne. Dans ce premier roman Slobodan Despot soigne peut-être aussi ses propres blessures, parvient à une sorte de rédemption personnelle et littéraire. Oui, chacun de nos gestes compte, chacun des mots de ce roman compte. Un premier roman qui oblige Slobodan Despot à son devoir d’écrivain. Montez dans l’autobus, le voyage commence. 

Le Miel, de Slobodan Despot, décembre 2013, Gallimard, 13,90€.


ENTRETIEN REALISE PAR CLAUDE LENORMAND POUR METAMAG


Le miel a t-il une signification mythique ou mythologique pour vous?

Pour qui n'en aurait-il pas? Depuis la "terre du lait et du miel" de la Bible, il est symbole d'abondance, de santé, voire d'éternité. Cela dit, dans le corps de mon récit, le miel exerce une fonction tout à fait concrète, entre baume, monnaie d'échange et pierre d'achoppement.


Quelle est la part de souvenirs personnels dans le livre?

Comme dans tout roman, on investit beaucoup de soi-même dans un récit. Par-delà les faits et les personnages évoqués, l'interprétation, la tonalité, l'atmosphère sont souvent profondément influencées par le vécu personnel. Cela dit, la trame de cette parabole qu'est le «Miel» est essentiellement fondée sur une histoire vraie que j'ai recueillie auprès d'une personne qui m'a soigné.


Comment concilier son métier d'éditeur et celui d'écrivain?

Comment? Je suis en train de le découvrir. Nombre d'écrivains sont aussi éditeurs — au sens où ils lisent, sélectionnent et accompagnent les textes des autres. Qu'on songe, en particulier, aux grands éditeurs de la NRF. Ma position est toutefois différente. Dans ma petite structure, je suis à la fois l'«editor» et le «publisher», l'entrepreneur. Les obligations pratiques et les soucis d'un patron de PME ont tendance à envahir tout son temps et à peupler en permanence sa conscience. Il faudra bien cloisonner tout cela...


Quelles sont vos références littéraires? Vos grands auteurs?

Vaste question! Je me rends compte sur le tard que le cours de ma vie a été influencé de manière prépondérante par mes lectures littéraires, et non par les idées ou les situations sociales. Et que j'ai été stupide de croire que d'autres choses pouvaient avoir plus d'importance.J'ai toujours préféré les grandes gestes à la littérature nombriliste, les sentiments généreux à l'encre de fiel et les histoires bien narrées aux exercices de style et à l'écriture pour l'écriture. Les auteurs de ma jeunesse m'ont accompagné jusqu'à ce jour, de Melville à Hugo et de Tolstoï à Hardy. La tradition littéraire serbe, très riche et fondée sur des valeurs épiques, a toujours occupé dans ma bibliothèque une place éminente. En particulier Milos Tsernanski (Miloš Crnjanski), l’аuteur de «Migrations», à la prose incroyablement musicale, évocatrice et poétique, que j'ai eu le bonheur de traduire, ou Andrić à l'austère et sage élégance.


A cela j'ajouterai, comme un trait un peu excentrique, une passion pour les créateurs d'atmosphères, quel que soit le genre où ils s'ébattent. Je pense par exemple à Modiano, Proust ou Simenon. Et pour les démonologues comme Huysmans, les sœurs Brontë ou Léonid Andréiev. Et pour les visionnaires qui ont cartographié le suicide de l'humanité, comme Philip K. Dick ou le C. S. Lewis de la «Trilogie cosmique». Et pour les fantastiques, explicites comme Lovecraft et Jean Ray ou sous-entendus comme Henry James. D'une manière générale, le haut du panier, dans ma bibliothèque idéale, est tenu par les ouvrages parcourus de part en part par une passion ardente et totale. Si je pouvais déployer, même dans une nouvelle, l'énergie titanesque qu'Emily a insufflée aux cinq cents pages des «Hauts de Hurlevent», je considérerais mon destin comme accompli. Le sien l'a du reste été, pour l'éternité, grâce à ce seul livre.


Vos projets littéraires maintenant?

Trois romans, une biographie, une pièce burlesco-philosophique et un essai curieux et éclectique sur la Serbie. L'entrée en littérature m'a enjoint, pour la première fois, de ménager ma santé.

EJ - déchiffreur et moraliste

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Ernst Jünger, déchiffreur et mémorialiste
 
par Luc-Olivier d'Algange
 
Ex: http://anti-mythes.blogspot.com
 
L'œuvre d'Ernst Jünger s'étend sur une période exceptionnellement longue. Entre les premiers écrits tels qu’Orages d'Acier, ou Le Cœur aventureux, « version 1929 », jusqu'aux ultimes, ce sont plus de sept décennies d'écriture, de lectures, de voyages, de contemplations, de rêves qui s'offrent à notre regard panoramique. Par exception, la formule consacrée peut être utilisée à bon-escient: l'œuvre de Jünger « domine le siècle ». Elle le domine non seulement par sa hauteur, et les critiques ne manquèrent point de lui reprocher d'être hautaine, elle le domine aussi, et le plus simplement du monde par sa durée et par la profondeur que l'expérience du temps suscite dans l'entendement de l'auteur. Ernst Jünger fut, comme presque tous les grands écrivains du siècle, hanté par la question du temps.

L'expérience du temps retentit dans la profondeur du mythe. L'œuvre de Jünger poursuit, par ses propres voies, ce récitatif de l'expérience du temps. La réminiscence dans l’œuvre de Marcel Proust, la dilatation temporelle aux dimensions odysséennes d'une seule journée qu’opère James Joyce dans Ulysses, ou encore la récapitulation du monde à la fois joyeuse et apocalyptique des Cantos d’Ezra Pound ravivent dans la littérature moderne ce questionnement immémorial. Comme ceux-là, Jünger n'a cessé d'éprouver la nécessité d'aller au cœur de l'être et du temps et de trouver son propre lieu et sa propre formule pour déchiffrer le monde. Plus que d'autres, Jünger s'est tourné vers le monde pour en déchiffrer les énigmes intérieures.

Si Jünger fut dandy, comme certains persistent à l'en accuser, il faut bien reconnaître que son œuvre est la moins narcissique qui soit. Chaque page de Jünger nous apporte, comme les poèmes de Cendrars, des « nouvelles du monde ». Les paysages les plus grandioses et les aventures les plus extrêmes comme les détails les plus infimes et les circonstances en apparence les moins décisives sont portés à notre attention avec la même déférence, pour peu qu'ils soient les instruments d'une connaissance qualitative, sensible, propice aux aventures de la pensée.

Ruskin définit le véritable artiste à la fois comme « déchiffreur, chanteur et mémorialiste ». Si la part à proprement parler « lyrique » de l'œuvre de Jünger est plus sous-jacente qu'apparente (mais le lyrisme alors n'en touche que les cordes plus profondes, comme dans les dernières pages de Visite à Godenholm,) l'appellation de « déchiffreur » non moins que celle de « mémorialiste » donne immédiatement l'idée la plus juste du propos et du style de ses livres, qui paraissent, par ailleurs, échapper à tous les genres ainsi qu'à toutes les certitudes thématiques ou idéologiques.

Etre à fois déchiffreur et mémorialiste, c'est comprendre que l'œuvre saisit dans les nuances du devenir l'éclat de l'être. Le mémorialiste suit le cours du temps, la nuance du jour, la beauté et la tristesse passagère des instants livrés à l'oubli. Le mémorialiste, servant humble et déférent de Mnémosyme, recueille cette « matière première », au sens alchimique, dont le déchiffreur lui, se saisira avec cet esprit d'aventure qui caractérise les métaphysiciens et les hommes de cœur. Le mémorialiste investit le devenir de la puissance d'être de la mémoire, de la transmission, alors que le déchiffreur redonnera à la chose transmise, recueillie, sa chance de refleurir en d'autres contrées, plus subtiles et plus lumineuses. En d'autres termes, on pourrait dire que le mémorialiste construit un édifice de pensées, de réflexions, de savoirs qui permettront au déchiffreur de préfigurer le temple intérieur de la connaissance, que nous nommerons la « gnose poétique » et dont nous approchons par une connaissance de plus en plus précise, et précise jusqu'à l'éblouissement, de l'interdépendance universelle.

De livres en livres, Jünger poursuit cette œuvre de déchiffreur et de mémorialiste car loin de se soumettre à la lettre morte de ceux qui ne croient qu'au « travail du texte », sa pensée, toujours à la pointe de « l'esprit qui vivifie », cherche en toute chose, selon la formule de Nietzsche, « l'éternelle vivacité ». A celui qui voudra rendre justice à la pensée, toujours en mouvement, mais toujours exactement orientée, d'Ernst Jünger, l'occasion se présentera souvent de citer en une même phrase des auteurs, des théories, des méthodes que notre esprit compartimenteur, hérité d'une méconnaissance et d'une idolâtrie de la philosophie cartésienne, répugne à associer. Ainsi le Nouveau Testament et les « évangiles » subversifs du Solitaire d'Engadine, ou encore les références aux mondes bibliques ou païens, les méthodes scientifiques et les songeries hermétiques, la poésie et la guerre, l'aventure et l'immobilité contemplative.

Les historiographes de l'œuvre jüngérienne insistent, par exemple, sur les ruptures ou les revirements d'ordre idéologique ou politique. Certes, le nationalisme exacerbé et martial du jeune collaborateur d'Arminius cédera la place au Contemplateur solitaire, l'apologiste du Travailleur, accomplissant sa « Figure » par la technique, deviendra le critique avisé du monde moderne et l'inventeur de l'Anarque. Certes, l'intérêt pour les anciennes traditions païennes de l'Europe précède une méditation biblique. Mais aussitôt l'intelligence se dégage-t-elle de l'histoire proprement dite qu'elle voit dans ces diverses configurations se dessiner un paysage intérieur dont la cohérence et l'harmonie sont bien davantage la marque que le discord ou le chaos.

L'œuvre de Jünger, disions-nous, est l'une des moins narcissiques du vingtième siècle. Rarement tournée vers le « moi », elle est une invitation à découvrir le monde, « ce vaisseau cosmique » à bord duquel nous traversons le temps. L'aventure sociale ou psychologique tient une place infime dans cette œuvre qui est sans doute la première du vingtième siècle, au sens hiérarchique autant que chronologique, à s'être radicalement dégagée des méthodes et des théories du Naturalisme du dix-neuvième siècle, si abondamment relayé par la littérature des sciences humaines. Les groupes sociaux, la psychologie individuelle ou collective n'intéressent guère l'auteur des Falaises de Marbre ou d'Eumeswil. Bien davantage son attention est-elle requise par les rêves lorsque les rêves révèlent la nature héraldique et sacrée du monde.

Maintes fois mis en accusation, Jünger n'a jamais cherché aucune caution de « bonne moralité » politique, son œuvre se situant résolument, dans sa part la plus importante, du côté de l'intemporel. On risque fort de ne rien comprendre à son Journal si l'on ne voit pas que le temps, son temps, est toujours considéré du point de vue de l'intemporel. L'observation exacte prend place dans une vue-du-monde qui dénie au hasard et à la nécessité l'empire que la pensée moderne leur accorde.

« L'existence des choses, écrit Jünger, est donc préfigurée comme dans un sceau dont la figure imprimée dans la cire apparaît plus ou moins distinctement. » Il ne semble pas que, sur ce point, la pensée de Jünger ait varié. On songe irrésistiblement au début fameux des Disciples à Saïs de Novalis: « Les hommes marchent par des chemins divers. Qui les suit et les compare verra naître d'étranges figures; figures qui semblent appartenir à cette grande écriture chiffrée qu'on rencontre partout: sur les ailes, sur la coque des oeufs, dans les nuages, dans la neige, dans les cristaux, dans les formes des rocs, sur les eaux congelées, à l'intérieur et à l'extérieur des montagnes, des plantes, des animaux, des hommes, dans les clartés du ciel, sur les disques de verre et de poix lorsqu'on les frotte et lorsqu'on les attouche: dans les limailles qui entourent l'aimant, et dans les étranges conjonctures du hasard.. »

Les Figures, les Types, les Formes témoignent d'une pensée pour laquelle la création littéraire est un moyen de connaissance, une gnose. L'engagement héroïque des premiers temps n'est point contraire à l'engagement, plus radical encore, de l'Anarque et du Contemplateur, si l'on comprend, comme l'enseigne la Bhagavât-Gîta que la contemplation est une forme supérieure de l'action. La forme supérieure ne renie point la forme dépassée, elle la couronne, tout comme l'ontologie dont nous parle Heidegger couronne la métaphysique qu'elle dépasse. Bien plus que des ruptures, le lecteur qui entrevoit dans l'œuvre de Jünger un moyen de connaissance, sera enclin à voir des changements d'états, comme dans les « œuvres » des Alchimistes. Car si l'œuvre de Jünger est éloignée du Naturalisme de Zola, elle est, en revanche, fort proche des « philosophes de la nature » tels que Franz von Baader, qui eurent une influence non négligeable sur les Romantiques allemands d'Iéna.

Alchimistes et théosophes dans la lignée de Paracelse et de Jacob Böhme, les philosophes de la nature s'avancent dans la connaissance comme sur un chemin où se lèvent les intersignes, légers comme des cicindèles. A chaque signe, le voyageur est convié à un changement d'état de conscience qui renvoie à un changement d'état d'être. Les Figures du monde visible sont l'empreinte d'un sceau invisible et les circonstances de notre existence, en ce qu'elles ont de resplendissant, témoignent, elles aussi, de cette concordance entre les mondes qui justifie l'existence des symboles.

Dans un monde où les symboles accomplissent leur fonction pontificale, ni le hasard ni le déterminisme n'ont cours; le monde s'ordonne selon des principes qui, pour être hors d'atteinte de l'entendement humain, n'en sont pas moins à l'origine des plus pertinentes interprétations humaines. Alors que le déterministe explique l'homme et le monde comme des mécanismes, obéissant ainsi, plus ou moins à son insu, à une morale utilitaire, Jünger appartient à la tradition, largement menacée mais cependant persistante, du romantisme « roman » de Novalis qui s'adonne à l'interprétation infinie, au « buisson ardent » de l'herméneutique permanente. Dans la vue du monde esthétique et métaphysique de Jünger, le monde n'étant point soumis à l'utilité, sa valeur ne dépendant point de son usage, de même que selon une éthique chevaleresque, la fin ne justifie jamais les moyens, la finalité n'est jamais que dans le cœur secret des êtres et des choses, dans cette plus incandescente limpidité que nous laissent deviner les approches et les dialogues avec l'invisible.

La danse de la cicindèle est l'idéogramme clair de la pure présence de l'être à lui-même. Tel est le sacré, le numineux, pour reprendre le mot de Walter Otto, dont l'approche exige la plus grande délicatesse. La connaissance du monde, la gnose poétique, est avant tout une philocalie. Le sacré, le divin se révèlent dans la beauté car la beauté est l'approche du sens. Là où les choses prennent sens, la beauté transparaît. L'accusation d'esthétisme contre l'œuvre de Jünger traduit la courte vue de ceux qui la portent car la beauté est toujours, dans l'œuvre de Jünger, le signe d'une présence, d'une profondeur métaphysique, d'un autre monde, principe de profusion et de splendeur. Le monde des dieux, comme celui des fleurs et des papillons, est un monde dispendieux et imprévisible. L'homme de connaissance qui succède, dans la chronologie jüngérienne, à l'homme de puissance, s'avance dans l'assentiment à la beauté du monde comme « sceau héraldique » et dans le non moindre consentement à l'imprévisible. L'homme de connaissance est chasseur subtil. A l'affût sur l'orée, le chasseur subtil reçoit les signes qui, dans le visible, sont la marque de l'invisible, et ses rêves ont leur part, qui n'est rien moins que négligeable, dans la connaissance effective du monde.

La rupture inaugurale avec le monde bourgeois va d'emblée orienter l'œuvre de Jünger vers des régions extrêmes qui échappent à la fois à l'attention et au contrôle du monde moderne. L'exploration du monde intérieur n'est pas, chez Jünger, la complaisance narcissique de la subjectivité pour elle-même mais une traversée aussi exacte et impersonnelle qu'un voyage entomologique dans le monde extérieur. La psychologie jüngérienne ne relève pas de la « psyché » profane, larvaire, mais de la « psyché », en tant qu'âme, au sens néoplatonicien. Notre âme, dans la gnose jüngérienne, n'est pas disjointe de l'Ame du monde. L'Ame du monde et ses symboles augustes transparaissent dans l'âme humaine, sous la forme des songes, des visions, des pressentiments. Le poète est familier de l'augure qui surprend sa pensée dans l'exercice de la plus grande exactitude. La gnose jüngérienne s'exerce avec une virtuosité rare, aussi bien sur le mode de l'ampleur: les mythes, les légendes, les vastes herméneutiques de l'histoire humaine et des textes sacrés, que dans celui de l'intensité: la minuscule mais exaltante trouvaille du chasseur de papillons qui concentre dans l'infime toutes les énergies explosives de sa quête.

Dans le célèbre tableau de Caspar David Friedrich Les Falaises de Rügen, l'immensité du site, sa solennité, donnent au mode de l'ampleur l'une de ses représentations picturales les plus achevées, parce que devant la vastitude, le vide, l'espace qui s'encastrent avec violence dans le paysage, un personnage vu de dos paraît ignorer l'infini de l'ampleur qui s'offre à lui pour s'attacher à l'infini de l'intensité de sa recherche d'herboriste ou de chasseur d'insecte. L'ampleur du vaste prend sa mesure par l'intensité de l'infime. La science des lettres, la science naturaliste ou historique devient métaphysique aussitôt qu'elle parvient à unir en elle le mode d'intensité et le mode d'ampleur, la dimension horizontale et la dimension verticale, l'empreinte, dont les marques sont plus ou moins visibles, et le sceau.

La logique de la gnose est différente de la logique de la science profane, en ce qu'elle ignore la finalité effective, utile, quantifiable. La gnose est à elle-même sa propre finalité, et le monde dont elle traite est un monde de qualités. La gnose ne dénombre pas seulement le réel, elle s'avance dans le déchiffrement. Déchiffrer le monde, c'est traverser le temps dans le vaisseau cosmique, et c'est œuvrer à la révélation du sens à travers les apparitions successives du monde. Le déterminisme philosophique, autant que la théorie du hasard, détournent notre entendement de la beauté et du mystère, de telle sorte à faire de nous les dociles serviteurs du monde moderne, et de ses morales utilitaires et puritaines. La gnose poétique de Jünger est la reconquête de la puissance et de l'immortalité dont la société, placée sous le signe de l'uniformité, nous dépossède. La gnose suppose une « transvaluation de toutes les valeurs », pour reprendre la formule Nietzsche que l'on pourrait aussi caractériser comme une subversion de la subversion établie par le tiers-état, dans la mesure où la reconquête de la « vie magnifique », de la puissance est le propre de la Figure, telle que la conçoit Jünger.

Jünger distingue deux conceptions de l'individu, par les mots allemands, Einzelne et individuum. Le mot individuum désignant l'individu à la fois égocentrique et interchangeable des sociétés de masse, alors que le mot Einzelne se rapporte à l'individu en tant que singularité et originalité irréductible, en tant que Figure. A l'individu perdu dans la masse et, par cela même farouchement attaché à ce qu'il croit être ses « biens » correspond une science calculante (pour reprendre le mot de Heidegger), alors que pour l'individu en tant que Figure, la science est méditative, et, par cela, accroissement de puissance. Pour Jünger, la connaissance accroît la Figure dans sa distinction et son intensité. Les lignes deviennent plus précises et les couleurs plus rayonnantes. La gnose est poétique, au sens de l'étymologie grecque, du « faire » qui laisse l'empreinte la plus précise possible. Par la gnose jüngérienne, nous entrons dans une perspective hiérarchique, où la logique de cause et d'effet, et avec elle toutes les formes de progressisme, de déterminisme ou d'évolutionnisme sont dépassées: « L'ordre hiérarchique dans le domaine de la Figure ne résulte pas de la loi de cause à effet mais d'une loi tout à fait autre, celle du sceau et de l'empreinte ». Dans cette logique, nouvelle par rapport aux deux siècles précédents mais, nous y reviendrons, dans un sens plus profond, traditionnelle, ce qui importe n'est pas seulement ce qui nous précède et ce qui s'annonce mais, plus décisivement, ce qui nous surplombe, le sceau dont nous sommes l'empreinte.

Cette logique gnostique, et héraldique, pour célébratrice qu'elle soit de la splendeur du monde, pour approbatrice qu'elle soit de la puissance, et du rayonnement de la Figure, n'en témoigne pas moins d'une forme d'humilité essentielle. Le moderne, qui affiche partout sa modestie et son profil bas, tient pourtant farouchement à être le producteur de tout, et à cette fin, il renie Dieu et les dieux, les Muses et les messagers célestes, de sorte à n'être qu'à lui-même redevable de ses « travaux ». Cette étrange démesure, au sens exact outrecuidante, enferme l'individu en lui-même et laisse ses œuvres comme les objets aléatoires de son narcissisme navrant. Le nihilisme moderne n'est autre que la considération pathétique de cette impuissance vaniteuse à connaître le monde. Dans la perspective métaphysique propre à la théorie des signatures et des empreintes dont nous constatons la fécondité dans l'œuvre de Jünger, l'humilité consiste à reconnaître que nos idées et nos visions ne nous appartiennent pas en propre, qu'elles proviennent de l'intemporel, auquel nous donnent accès notre grandeur d'âme et notre acuité intellectuelle. La gnose poétique considère dans le singulier et dans le multiple les Figures d'éternité dont ils procèdent. Elle est dépassement du nihilisme car elle est recouvrance de la possibilité magnifique qui nous fut donnée in illo tempore, puis ôtée, d'atteindre poétiquement à la connaissance, non par projection ou reflet, mais par des actes de puissance et de beauté tels qu'ils adviennent dans Virgile, dans l'ivresse du songe de la « race d'or ». Dépasser le nihilisme, c'est aller, au pas qui ré-enchante les apparences, vers les contrées éclatantes où l'individu s'accorde à la Figure, où les pressentiments s'accomplissent, dans des œuvres qui seront la preuve de notre humilité.

Alors que le moderne se veut sans Dieu ni Maître, proclame la relativité du Vrai et du Beau non sans faire de sa médiocrité la mesure universelle, jugeant toute création superflue et toute connaissance impossible, la Figure trouve sa mesure par la création et sa connaissance par l'oubli de l'individualité, au sens quantitatif et profane. Aussitôt qu'il est question de connaissance et de poésie, il faut s'interroger sur la provenance et le destinataire de cette poésie et de cette connaissance. Tout ne s'adresse pas à n'importe qui. L'angle d'approche détermine la destination du message diplomatique, car toute métaphysique est diplomatie et les auteurs, au sens latin et étymologique, d'auctor qui se réfère à l'auctoritas, - la « vertu qui accroît », comme le rappelle Philippe Barthelet, - sont ambassadeurs entre les suavités immanentes des corolles et des parfums du jardin sous la pluie d'été au crépuscule et les contrées transcendantes où les dieux apparaissent.

Le grief le plus persistant que les modernes cultivent à l'égard de la gnose est d'être « élitiste », de ne s'adresser, selon la formule stendhalienne, qu'aux « rares heureux », de dédaigner les laborieuses et méritantes majorités. Grief inepte car il n'est rien de plus généreux, de plus disponible, de plus accueillant que le livre qui s'offre à chacun, sans jamais prétendre à contraindre le plus grand nombre. La gnose requiert des dispositions particulières, ou, disons, une orientation de l'Intellect, mais elle confère cette orientation autant qu'elle l'exige. Alors que la société, aussi « démocratique » qu'elle se veuille ne cesse de nous imposer des limites et des conditions auxquelles nous ne pouvons-nous soustraire, la gnose, et surtout la gnose dont l'humilité consiste à se traduire en œuvres, offre à qui le désire avec ardeur, l'aventure du Sans-Limite, c'est-à-dire la traversée odysséenne de la Figure à travers les ordres du monde jusqu'à sa perception la plus lumineuse, éclat d'éternité sur la surface des eaux.

La gnose, dans son exercice le plus accompli, est un privilège mais c'est un privilège offert à qui voudra bien s'en saisir, alors que nous vivons dans un monde constitué d'avantages qui sont la récompense de la cupidité et de la vilenie. Il n'est pas impossible, et nous y reviendrons, qu'il y eût aussi quelque rapport entre la gnose poétique et la philosophie politique. Les Figures du Travailleur, du Rebelle et de l'Anarque, qui se succèdent dans l'œuvre de Jünger, approfondissent, si l'on prend la peine de les considérer en perspective, une méditation sur le siècle mais aussi une méditation sur l'art de vivre, non plus de l'individu de l'ère bourgeoise mais de l'individu (Einzelne) qui cherche à conserver sa Figure au sein du monde de la technique qui, loin de s'affirmer comme l'expression de la puissance, au sens nietzschéen, comme on pouvait encore le croire au début du siècle, paraît au contraire avoir pour objectif le contrôle et l'annihilation de toute puissance libre.

Face à la technique d'une « mondialisation » dont chacun sait bien qu'elle n'est qu'une américanisation cybernétique, l'œuvre de Jünger, dans son exigence poétique et gnostique peut se lire comme un traité de résistance au nihilisme. Le Travailleur oeuvrait à vaincre le mal par le mal, selon le principe de Paracelse, et à porter contre le nihilisme les armes les mieux trempées du nihilisme lui-même. Il « travaillait » ainsi selon les périlleuses procédures de l'oeuvre-au-noir, à l'implosion d'une situation intenable, et à ouvrir la voie de la contemplation. Les sentes forestières qu'ouvrent les audaces du Rebelle et de l'Anarque seront, elles, l'initiation à d'autres couleurs. Au « noir et blanc » de l'intensité expressionniste des premières œuvres, si mal comprises, succédera le versicolore armorial des Songes et des Visions des Falaises de Marbre et de Visite à Godenholm. Le combat par le fer et le feu du guerrier cède la place aux guerres plus subtiles dont les conquêtes sont des états de conscience. L'intensité, et telle est bien la clef de voûte de la gnose poétique d'Ernst Jünger, s'accroît d'œuvre et œuvre comme une réalisation, au sens initiatique, d'une exactitude herméneutique qui perçoit, à l'apogée de la vitesse et du mouvement, le grand silence et la grande immobilité.
 
 
Luc-Olivier d’Algange
 
Extrait de Fin mars. Les hirondelles, éditions Arma Artis
 

Bardèche

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Maurice Bardèche, Européen fidèle

par Georges FELTIN-TRACOL

 

I-Grande-6153-bardeche.net.jpgAprès avoir écrit pour la même collection la biographie condensée d’Henri Béraud, de Léon Daudet, de Henry de Monfreid, de Hergé et de Saint-Loup, Francis Bergeron évoque cette fois-ci la vie d’une personne qu’il a bien connue : Maurice Bardèche.

 

On sait que Bardèche fut l’exemple-type de la méritocratie républicaine hexagonale. Ce natif d’un village du Cher en 1907 montra très tôt de belles dispositions intellectuelles pour l’étude et la littérature. Excellent élève, ce boursier se retrouve à l’École normale supérieure (E.N.S.) où il allait côtoyer une équipe malicieuse constituée de José Lupin, de Jacques Talagrand (le futur Thierry Maulnier) et de Robert Brasillach, l’indéfectible ami. « Brasillach lui fait du thé, lui offre des gâteaux catalans. Mais la culture littéraire de Brasillach date un peu; Bardèche lui fait découvrir à son tour Proust, alors qu’il vient d’obtenir le prix Goncourt, Barrès, dont les funérailles nationales datent tout juste de deux ans, et Claudel, ancien de Louis-le-Grand, dont l’œuvre est déjà reconnue (p. 16). »

 

À l’E.N.S., Maulnier et Brasillach commencent à publier dans la presse tandis que « Bardèche […] se destine réellement à l’enseignement supérieur, et […] voit son avenir dans l’approfondissement de la connaissance des grands textes et des grands auteurs (p. 20) ». À côté de sa passion littéraire, Maurice Bardèche éprouve de tendres sentiments pour la sœur de son ami Robert, Suzanne Brasillach. Ils se marient en juillet 1934 et partent en voyage de noce pour l’Espagne en compagnie de Robert qui vivra avec eux jusqu’en 1944 ! Francis Bergeron raconte qu’au cours de ce voyage, Maurice Bardèche faillit mourir dans un accident de la route. Bardèche fut trépané et conserva sur le front un « enfoncement dans le crâne (p. 26) ».

 

On ne va pas paraphraser cet ouvrage sur le talentueux parcours universitaire de Bardèche qui suscita tant d’aigreurs et de jalousie. Sous l’Occupation, si Robert Brasillach travaille à Je suis partout, Bardèche préfère se tenir à l’écart des événements et se dévoue à Stendhal et à Balzac. Or le mois de septembre 1944 marque un tournant majeur dans la destinée du jeune professeur : il est arrêté, puis emprisonné. Il voit ensuite son cher beau-frère jugé, condamné à mort et exécuté le 6 février 1945. Dorénavant, « la vie et, plus encore, peut-être, le martyre et la mort de Robert [vont] occup[er] une place centrale tout au long de l’existence de Maurice (p. 43) ». Guère attiré jusque-là par la politique, Maurice Bardèche s’y investit pleinement et va produire une œuvre remarquable, de La lettre à François Mauriac (1947) à Sparte et les Sudistes (1969). En outre, afin de publier les œuvres complètes de Robert Brasillach, il fonde une maison d’édition courageuse et déjà dissidente, Les Sept Couleurs.

 

Le respectable spécialiste de littérature du XIXe siècle se mue en fasciste, terme qu’il endosse et qu’il revendique d’ailleurs fièrement dans Qu’est-ce que le fascisme ? (1961). Dès la fin des années 1940, il se met en relation avec d’autres réprouvés européens dont les militants du jeune M.S.I. (Mouvement social italien). En 1952, il participe au célèbre congrès de Malmö qui lance le Mouvement social européen dont le bulletin francophone est Défense de l’Occident (titre ô combien malvenu, car les positions qui y sont défendues ne rappellent pas l’occidentalisme délirant d’Henri Massis – il faut comprendre « Occident » au sens d’« Europe » et de « civilisation albo-européenne pluricontinentale »). Sorti en décembre 1952, ce titre est dirigé par Bardèche. Si le M.S.E. s’étiole rapidement, miné par des divergences internes et des scissions, Défense de l’Occident devient une revue qui accueille aussi bien les nationaux que les nationalistes, les nationalistes-révolutionnaires que les traditionalistes. La revue disparaîtra en novembre 1982. Francis Bergeron n’en cache pas l’ensemble inégal du fait, peut-être, d’une forte hétérogénéité thématique visible à la lecture de ses nombreux collaborateurs.

 

Par fascisme, Bardèche soutient une troisième voie hostile au capitalisme et au socialisme. Mais son fascisme, anhistorique et éthéré, cadre mal avec les réalités historiques du fascisme. Dès 1963 dans L’Esprit public, Jean Mabire rédigeait un article roboratif intitulé « L’impasse fasciste » repris successivement dans L’écrivain, la politique et l’espérance (1966), puis dans La torche et le glaive (1994). Au-delà des blessures vives de la Seconde Guerre mondiale, « Maît’Jean » esquissait de nouvelles perspectives européennes et authentiquement révolutionnaires.

 

Déjà marqué par son fascisme assumé, Maurice Bardèche accepte d’être un paria de l’histoire parce qu’il ose un avis révisionniste sur les événements contemporains. « Ses exercices de “ lecture à l’envers de l’histoire ”, comme il les appelle lui-même, font partie des points les plus détonants de son discours. Ils démontrent son courage tranquille, et ne peuvent que susciter l’admiration. Sur le fond, il y aurait certes beaucoup à dire, explique Bergeron. De toute façon, comme l’a rappelé Bardèche lui-même à Apostrophe, on ne peut plus s’exprimer librement sur ces questions (p. 87). » Saluons toutefois sa clairvoyance au sujet de la mise en place d’une justice internationale mondialiste. Déjà prévue dans l’abjecte traité de Versailles de 1919, cette pseudo-justice planétaire se réalise à Nuremberg et à Tokyo avant de réapparaître dans les décennies 1990 et 2000 à La Haye pour l’ex-Yougoslavie, à Arusha pour le Rwanda et avec l’ignominieuse Cour pénale internationale qui veut limiter la souveraineté des États.

 

Tout en étant fasciste et après avoir prévenu en 1958 le camp national du recours dangereux à De Gaulle, Maurice Bardèche n’hésite pas à vanter le caractère fascisant des régimes de Nasser et de Castro, et à faire preuve dans Défense de l’Occident d’une grande lucidité géopolitique. « Bardèche […] faisait bouger les lignes de la vision géopolitique de son camp (p. 67). » Cet anti-sioniste déterminé encourage le panarabisme et, dès l’automne 1962, appelle les activistes de l’Algérie française à délaisser leur nostalgie et à relever le défi de la nouvelle donne géopolitique. Il est l’un des rares à cette époque à prôner une entente euro-musulmane contre le condominium de Yalta.

 

1752.jpgC’est sur la question européenne que Maurice Bardèche a conservé toute sa pertinence. Quand on lit L’œuf de Christophe Colomb (1952) ou Sparte et les Sudistes, on se régale de ses fines analyses. Bardèche réfléchissait en nationaliste français et européen. À la fin de l’opuscule, avant l’habituelle étude astrologique de Marin de Charette et après les annexes biographiques, bibliographiques, de commentaires sur Bardèche et de quelques-unes de ses citations les plus marquantes, Francis Bergeron reproduit l’entretien que lui accorda Bardèche dans Rivarol du 5 avril 1979 (avec les parties supprimées ou modifiées par Bardèche lui-même). Cet entretien est lumineux ! « Devons-nous accepter […] de ne pas nous défendre contre la concurrence sauvage, déclare Bardèche, accepter le chômage, le démantèlement d’une partie de notre industrie, la dépendance à laquelle nous risquons d’être contraints ? » On croirait entendre un candidat à l’Élysée de 2012… Le sagace penseur de la rue Rataud estime que « l’Europe qu’on nous prépare ne sera qu’un bastion avancé d’un empire économique occidental dont les États-Unis seront le centre »… Il prévient qu’« il ne faut pas que l’Europe ne soit que le cadre agrandi de notre impuissance et de notre décadence », ce qu’elle est désormais. Il importe néanmoins de ne pas rejeter l’indispensable idée européenne comme le font les souverainistes nationaux. L’Europe demeure plus que jamais notre grande patrie civilisationnelle, identitaire et géopolitique. « L’Europe indépendante constitue un idéal ou plutôt un objectif », juge Bardèche avant d’ajouter, prophétique, que « la crise économique peut nous aider à la faire plus vite qu’on ne le croit ».

 

Ce nouveau « Qui suis-je ? » est bienvenu pour découvrir aux plus jeunes des nôtres l’immense figure de ce fidèle Européen de France, ce magnifique résistant au politiquement correct !

 

Georges Feltin-Tracol

 

• Francis Bergeron, Bardèche, Pardès, coll. « Qui suis-je ? », (44, rue Wilson, 77880 Grez-sur-Loing), 2012, 123 p., 12 €.


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Answers to the questions of Pavel Tulaev

 

About my modest biography, my experiences in the French New Right Circus, etc.
 
Dear Robert Steuckers, you are among the few West European journalists or publicists who profoundly understand the history and geopolitics of Russia. We know each other now since more than fifteen years and that’s why I find this interview is important. First of all, would like to introduce yourself, to tell us about your profession, your specialisation, your titles, etc. ?
 
RS: Well, there is nothing special about me. I was born in Uccle/Ukkel in January 1956 in a quite poor family. My father was the son of a peasant having a family of seven children and came to Brussels to find a job as a servant in 1933. He didn’t want to go to school to become a schoolmaster, didn’t want to work on the farm feeding the pigs and couldn’t find a long-lasting job in his province. My mother, who died recently in December 2011 at the age of 97, was the daughter of a beer brewer and seller, who, at the age of 14, left his village, where his own father had also seven children and only one cow he had to drive along ways and paths in his village in order to let her graze as he had no meadow of his own.

 

lancier_belge.jpgIn Brussels my grand-father became the helper of abaker and then could be hired by the army to replace a rich son of a bourgeois family, who had no lust to do his military service (at that time conscription was not yet compulsory in Belgium). He served for three years in the 2nd and 4th Lancers, an elite light cavalry regiment, in which he got the noble attitude in his daily gestures he kept till his last breath, almost 87 years old. With the money he got from the rich family to do military service instead of the son of the house, he could buy and take over the small business of a retired or passed away brewer and marry my grandmother in 1908, the very year one of his sisters migrated to the United States, to Indiana, to run a farm with her husband: they too had seven children. My mother’s parents started a trade in beers and lemonades, which lasted 80 years, being taken over by my uncles in 1953. My grand-parents’ youngest son retired in 1988. My grandfather was called up in August 1914 and participated in the First World War as a sergeant in the transport units behind the Yser Front in Flanders. He swallowed mustard gas (Yperite), suffered ten years long from the effects of this nasty chemical but could recover after a terrible pneumonia, due to lung complications, in 1928. Even if he could earn a good life by selling beers to pubs and private customers, he was the model of an ascetic, eating almost no meat, only oats with milk and eggs, together with rhubarb and prunes that he cultivated in his own garden. He wanted to remain thin to mount horses in case if… but he had no horse anymore. He bought motorcars and lorries that he was never able to drive himself: this was the task of his sons. He used to say: “Modern times are preposterous: they all need a motor under their bottom even for a distance less than 500 yards”. My grandmother was even more ascetic and left me one of her often quoted saying: “Clock hours (i. e. measured time) are for fools, the wise know their time” (‘t Uur is voor de zotten, de wijzen weten hun tijd). In this sense, she was exactly in tune with the celebrated German writer Ernst Jünger, when he theorized his ideas about time.

 

My father came to work as a servant to the House of Count Willy (Guillaume) de Hemricourt de Grunne in 1938. In the summer of this year he made his first trip outside Belgium to a village in Franche-Comté, near the Swiss border, where Count de Grunne had inherited a wonderful mansion house from an aunt who had inherited it from his own grandfather, the French Catholic thinker and politician Count Charles de Montalembert. I still spend some days in this part of Europe twice or three times a year. In August 1939, just a few days after the Molotov-Ribbentrop agreement, my father was called up in the Belgian army, was sent to barracks near the German border during the phoney war, then to the Beverloo military camp, where he underwent the German air attack by Stuka bombers in the early morning of May 10th, 1940. After his duty, as no Flemish conscript soldiers were taken prisoner of war and sent to Germany, my father went back to the House of Count de Grunne, where he worked till his retirement in 1978. Some months later Willy de Grunne died, just three days before his 90th birthday. 

 

My youth was spent in the marvellous surrounding Willy de Grunne created in the large garden behind his house in Brussels, which was a marvel of architecture designed by the genial Belgian architect Brunfaut in the early Twenties. Willy de Grunne wanted to have different flowers in his garden in spring, summer and late summer, so that I always could play among the most beautiful selection of plants that a team of very able professional gardeners kept with love and care. The mansion in Franche-Comté is still a marvel today and is now run by his grandson, whose father was Russian and son of a White Guard officer and later one of the best teachers of your language in Belgium. The surroundings created by Willy de Grunne made of me a youth completely immune to the seductions of modern world, but simultaneously I was perhaps also affected by a serious handicap: I could never understand the way of working in factories or offices, with the artificial rhythms and hierarchies they imply.

 

eliz.jpgThe world of my youth was a world with only personal, friendly relationships never determined by contracts, only by pure genuine human and manly confidence, based on the given word you never withdraw. Books were important in this world, as Willy de Grunne had, among other tasks as a diplomat, to read books for Queen Elizabeth Wittelsbach, a Bavarian Duchess, who became Queen of the Belgians in 1909. Willy de Grunne was Grand Master of her House in the Thirties. Queen Elizabeth was, just as her whole Bavarian family in Munich, an excellent sponsor of arts, music and museums. We owe her the Egyptology Museum in Brussels and among many other things the world famous “Concours Reine Elizabeth”, promoting young talented musicians from all over the world. Many young Russian musicians participated in this prestigious competition. Besides, Queen Elizabeth has been (and still is) criticized for being of German origin and for having refused to boycott the USSR and China during the Cold war. She ended her life in the Fifties and the early Sixties by acquiring the then sulphurous reputation of a “Bolshevik Queen”. She died in 1965.

Now, I became a so-called “intellectual” thanks to my father’s sister Julienne, who had a diploma of schoolmistress, had married Hendrik Lambrechts, a Flemish schoolmaster in ‘s Gravensvoeren (Fouron-le-Comte), and had a son, Raoul, who after his father’s death in 1949, became a political scientist having studied at the prestigious University of Louvain, after brilliant secondary school studies (Latin and Greek) achieved at the Flemish “Heilig Hart College” (“Sacred Heart College”) in Ganshoren near Brussels. My aunt was very proud of her son. But unfortunately Raoul died in 1961 from a heart disease that would now be easily cured. I was only five years old when I was brought to the University Hospital in Louvain to see him dying after a previous operation that provoked a blood clot that stroke his brain. The vivid and awful memory of this dying unconscious young man, his desperate eyes and the frightful calls of his mother remain in my mind till now. After Raoul’s death my father was told and even ordered by his sister to make all the efforts needed to let me study at a University, because, she said, “our old Province Limburg should have an elite born out of peasant families”. I was given the task, even the burden, to replace Raoul in the family: a man had been killed, another had to take his place. Aunt Julienne died in 1991. I saw her some days before her passing away. She was as happy as happy can be. A bright smile illuminated her face, although she was suffering a lot due to the dog days: finally, not only me, the crazy boy full of silly fantasies, had something like a diploma, but also the daughter of her daughter, who just got her diploma of political scientist at the State’s University of Ghent. One of my cousins found the right words when she held a very well balanced speech in the church on her burial day: “A grand and simple lady”.

 

These family circumstances explain why I was first sent to a good primary school in the part of the City where I’ve always lived. The teachers were severe and taught us parsing very well, which has been of the uttermost importance for my further studies in Latin in the secondary school and in German, English and Dutch for my studies at University or at the Translators’ and Interpreters’ School. After the usual six years of primary school, I was sent to a secondary school not far from home, where my father, after a good briefing of Aunt Julienne and of Willy de Grunne, let me be registered in the Latin classes. I couldn’t understand why I had to study Latin when we both went to this impressive old school to meet a friar responsible to register the new pupils. He told me when I asked him why Latin was for that a secondary school is like a train with several cars, that my seat had been booked in the Latin car and if after a year or a couple of years I couldn’t feel well in this kind of luxury or first class car, they would book a seat for me in another one, perhaps less prestigious but even more efficient and pragmatic. But I immediately liked to study Latin, especially words and etymologies, and never failed any examination in this subject. My crux during the years of my secondary school had been maths not because I had a prejudice against maths —on the contrary— but because in September 1967, some crazy and criminal minds had decided to introduce “modern math” (singular!) without any pedagogical preparation: modern math is indeed too abstract to understand for children younger than 12 or 13 years and I was only 11 when I started secondary school. I was saved at the end of the first year because fortunately some clever minds had rung the alarm bell and imposed algebra in the traditional way.

 

During the fifth year, the so-called Latin “poetry class”, I became firmly decided to learn modern languages, more precisely German and English at University. After two years I changed for the Translators and Interpreters School, which was not far from my home. After four years I got the diploma of English and German translator. To obtain it I had to translate and comment a book of Ernst Topitsch and Kurt Salamun criticizing “ideologies” as constructed systems that prevent real pragmatic thoughts to develop or that serve as crushing instruments to perpetuate the domination of false elites (like the pigs in Orwell’s Animal Farm) becoming gradually out of touch.

 

So I became successively a clerk by Rank Xerox (to answer calls in several languages), the dumbfound redaction secretary of Benoist’s magazine “Nouvelle école” (having had the privilege to analyse on the very field the preposterousness of the all business lead by this silly old wet blanket of Benoist), a soldier doing his military service in the 7th Company Logistics for ten short months in Saive (near Liège), in Marche-en-Famenne, in the marvellous Burg Vogelsang and the village of Bürvenich in Germany along the border, a freelance translator and interpreter for twenty years (with a lot of different customers active in all possible social fields), a sworn translator for the Ministry of Justice, a private teacher, one among the numerous freelance assistants of Prof. Jean-François Mattei, who published in 1992 the “Encyclopédie des Oeuvres philosophiques” for the “Presses Universitaires de France”, and, as a wonderful and enthralling hobby, the metapolitical fighter you’ve known since now more than fifteen years. As a metapolitcal fighter, I was first a young and second-rank animator of the Brussels’ GRECE-group around Georges Hupin, an occasional pen pusher for his small bulletin “Renaissance Européenne” (still published nowadays as the organ of Vial’s “Terre & Peuple” movement in the French-speaking part of Belgium), then the founder of “Orientations”, the redaction secretary of “Nouvelle école”, one of the founders of the Brussels’ EROE–group, the founder of “Vouloir” together with Jean E. van der Taelen, a speaker having wandered throughout Europe to address meeting or participate to seminars of all kinds, a member of Faye’s “Etudes & recherches”-club within the “nouvelle droite”, then the organiser together with others of the Munkzwalm-seminars in Flanders, one among the founders of “Synergies Européennes” (together with Gilbert Sincyr and Jean de Bussac) and organisers of all the activities lead by this European group, including the publication of “Nouvelles de Synergies Européennes” and “Au fil de l’épée”.

 

You have a universal outlook that can be called encyclopaedic. How did you get your education? Whom can you consider your teachers? Who are the authors and which are the books that have influenced you most?

 

If once in your life you decide to become a metapolitical fighter you have of course as a duty to read ceaselessly and to acquire willy-nilly this “encyclopaedic outlook” you talk about. Moreover if the metapolitical purpose you follow is to re-establish European culture in all its richness the piles of books awaiting you reach permanently the ceiling. I got my education at school and nowhere else. It would be dishonest and conceited to invent a story trying to demonstrate somehow the contrary. Schoolbooks for the subject “History” were and are still good in Belgium. You have simply to assimilate the contents and to complete them with further readings. Of course, I owe a lot to our Latin teacher Simon Hauwaert and our philosophy teacher Lucien Verbruggen, not only for their lessons but also for the long tours they organized for us in Greece and Turkey, in order to discover Ancient Greek civilisation. When I was sixteen and a half, I was brought by the circumstances of these long school trips in the streets of Athens or Istanbul and visited Ankara’s Hittite Museum just one day after having had a short tour around Cappadocia’s cave dwellings and Byzantine churches. This was an even so good training in fact than school curriculum in itself. Another good thing was that we had to prepare every year for Hauwaert and his successor Salmon a paper on a classical Latin topic together with a grammatical analysis of an original text (I had with my late friend Leyssens, a future gynaecologist, who died in a mountain accident at 42 leaving three orphan sons, to study successively Lucretius’ De rerum naturae, a part of Plinius’ Natural History and Plautus’ theatre). The last year Rodolphe Brouwers, our French and History teacher, compelled us to write a paper on history: I had to write a survey about the COMECON countries (Poland, Czechoslovakia, Bulgaria, Rumania, Hungary). Brouwers had also the good idea to let us parse in all details Bossuet’s speeches in order to let us discover the good balance of a possible barrister’s plea or to be able later to coin speeches along the same stylistic guidelines in order to let them be better understandable only by giving them a well-balanced rhythm à la Bossuet. It has been very useful each time the GRECE-people asked me to address their annual meeting held in Paris or Versailles. During a first year at University, I followed the lectures of René Jongen in German grammar and had a course of German literature by the Flemish writer Paul Lebeau. Later I had English grammar by Jacques Van Roey, as well as good introductory lectures in history, among which the ones of Léopold Génicot on the West European Middle Ages were the most memorable. At the interpreters’ school, two years later, we had excellent practical trainings in modern languages.

 

What concerns the specific New Right literature I was deeply influenced by Pierre Chassard’s introduction to Nietzsche’s philosophy (“Nietzsche, finalisme et histoire”), which compelled me to read Nietzsche more critically and to be definitively defiant in front of all kinds of ready-made idealistic notions (the ready-made “Platonisms” that lards unrealistic political programs) and to know that moralistic arguments are too often escapism and rejection of plain common sense. I had already read Nietzsche’s “Antichrist” and his “Genealogy of Moral” but I had then as a boy of 14 or 16 no serious guidelines to understand actually the purposes Nietzsche had by writing this two cardinal books. In 1970, when I was in the 3d class, I asked my French teacher Marcel Aelbrechts which novels I had to read: all he suggested me was excellent but the main book in the series was undoubtedly the “Spanish Testament” of Arthur Koestler: so I got fascinated by English novels not through the English teacher (who at that time was also an excellent man, Mr. Mercenier) but through the French teacher, an old mischievous friar, who was certainly not sanctimonious (and with whom I had a real boxing fight at the end of my studies because he tried to prevent me to beat the math teacher; we nevertheless remained good friends; normal people fight and shout at each other: the political correctness says today that such attitudes are wrong but in no other period of history so many people had to look for the help of the psychiatrist or to swallow sedating pills; so “political correctness”, as we can objectively state, is surely bad for your health…).

 

lhomme-revolte-camus.jpgMy next French teacher was Jacques Goyens, who is now retired of course and considered nowadays as a main French-speaking Belgian author. He introduced us to poetry (Rimbaud, Leconte de Lisle, Baudelaire, Verlaine,…) and to present-day literature. During springtime 1972, Jean-Paul Leyssens and I worked on Albert Camus and we stressed mainly his philosophical ideas, inspired by Nietzsche and written down in “L’homme révolté”. Goyens was disappointed because we had coined aportrait of Camus as a Nietzschean philosopher and therefore neglected his main contribution to the genuine French literature of the Fifties. But in the end I was happy to have learned about the philosophical dimension of Camus’ work and Goyens was perhaps thoroughly right as Camus is more important as a writer than as a philosopher, but what both parties forgot was the rather complex context in which Camus’ political views developed at the time when existentialism was fashion in Paris. In March 1973, Goyens took us away from school to visit an important exhibition at the Belgian Royal Museum of History and Archaeology: it was about the glorious medieval period of the so-called Rhine-Meuse civilization between the 9th and the 15th centuries. This region is indeed the cradle of the Western Imperial tradition, as the reaction against the Merovingian decay (our first “Smuta”) took place in the area between Meuse, Rhine and Mosel among the Pippinide clan of Charles the Hammer (Charles Martel) and as Charlemagne settled his main capital in the City of Aachen, from where a kind of Renaissance of Ancient thought took place long before the more widely known Italian Renaissance of the 15th Century. I was just seventeen then but the idea that our own imperial cradle was so near to my place fascinated me especially as my father’s family is from Flemish Limburg, an area close to this fertile and green cradle county. Jean Thiriart too liked to stress that his family originated from the Walloon part of this Rhine-Meuse area and that therefore the European idea was his own as the Carolingian Imperial idea had been the one of his ancestors.

 

In the translators’ and interpreters’ school we had good grammar and lexicology teachers like Potelle, Van Hemeldonck and Defrance (who had had a tremendously active life and had founded one of Belgium’s more prestigious bookshop in Ostend before becoming a teacher and who brought us to Berlin in 1977 and to Munich in 1978 during two memorable students’ trips). What concerns more specifically geopolitics and history, the lectures of Mrs. Costa, based on a German official handbook, whose title was “Zweimal Deutschland”, provided us a thorough knowledge in recent German history, which is the key to understand the process of geopolitical and political alienation in Europe after 1945. The history lectures of Prof. Peymans stressed the political and philosophical specificity of the liberal and subversive Western hemisphere (Britain, USA, France), which, in order to be able to develop, had to get rid of all the traditional institutions generating the peoples’ identity or of all the “atavistic forces” as Solzhenitsyn called them while he was defending old Russia against all the endeavours of the wild Westernization you have endured in your country. During the two last years in the translators’ school, we had lectures in international politics and current affairs given by Mrs. Massart, who agreed to let me comment and introduce Jordis von Lohausen’s book on geopolitics. My destiny as a “geopolitician” within the New Right groups was settled once for all. Having read the German “geo-economicist” Anton Zischka about Eastern Europe in order to be able to write out Brouwers’ history paper in 1974, my non Western vision of European history was from then on quite complete, as Mrs Costa’s lectures on recent German history, Zischka’s nostalgia of a united European area without any Iron Curtain and Lohausen’s Central European vision of history and geography made me immune for all strictly Western or NATO world visions.

 

As I’ve already told it to our Scandinavian friends in an interview they submitted me, historical atlases were important for me, among them I want to quote the “DTV-Atlas zur Weltgeschichte” and Colin MacEvedy’s British atlases issued by the celebrated Penguin publishing house in Harmondsworth, England.

 

You know some European languages and make a lot of translations. Why didn’t you study Russian or any other Slavonic language?

 

I’ve got a diploma for the English and German languages. As we spoke Dutch and French at home and more generally in Brussels’ everyday life, I was quasi born as a bilingual boy. My school education was in French as most of the Flemish schools disappeared in the late Forties and early Fifties because the Germans had supported a policy of “Rückgermanisierung” or “re-Germanization” during their second occupation. After 1945, the “Germanization” policy, that had been launched through the financial support for a revival of the Flemish language, was of course cancelled and the Belgian establishment inaugurated a policy of “Rückromanisierung”, that decelerated later because people started to send their children back to Flemish schools again, mostly because they weren’t attended by so many immigrants. This phenomenon of “Rückromanisierung” was especially the case in the Southern municipalities of Brussels. My cousin Raoul could attend a Flemish high quality secondary school in the Northern part of the urban area. An education in French was not as such a bad thing, of course, but we thought anyway that, even if French is a very important world language, the policy of “French alone”, followed by some Frenchified zealots within the Belgian establishment in Brussels lead to a kind of closeness or isolation, as Dutch/Flemish is a excellent springboard to learn English, German and Scandinavian languages. The left liberal and socialist Flemish author August Vermeylen, at a time between 1890 and 1914 when socialism in Belgium wasn’t uprooted (and an uprooting force as well) and produced excellent and original cultural goods, used to say that we had to be Flemings again in order to become good Europeans (in Nietzsche’s meaning of the phrase). Vermeylen didn’t exclude French as a language of course but wanted people to open their minds to the cultural worlds of Britain, Holland, Germany and Scandinavia. In this sense I am a socialist à la Vermeylen. And my own boy went to a Flemish school, despite the fact that his mother was born in Wallonia and had to learn Dutch as an adult.

 

To learn Slavonic languages at the time of the Cold War was almost impossible as you couldn’t meet native speakers in common professional and everyday life surroundings. When I was eleven years old in summer 1967, just after having achieved primary school, I went to de Grunne’s place in Franche-Comté, where he had invited “Babushka”, the grand-mother of his grand-children. “Babushka” was a fantastic elderly woman, who taught the Russian language to her grand-sons and I helped her to keep them and bring them to a playing area with a toboggan in the village. During these afternoons, only Russian was spoken! About more than one year later, I went for the first time in my life to a real theatre (i. e. not a wandering theatre for school children) to watch an adaptation of Dostoievski’s “Crime and Castigation”, written by Alexis Guedroitz, de Grunne’s son-in-law, and masterly performed by the troupe of the famous Belgian actor Claude Etienne, who played the role of the investigating police principal. This was not the only Russian presence in my childhood: the wife of our neighbour was Russian and I played as a boy with their half-Russian children. More: her father, a former Colonel of the Czar, had an old batman, a giant and handsome mujik, who worked in their little shop producing children disguises for carnivals and fancy fairs, as they had to make a living when they came back like many White Russians completely ruined from Congo where the Belgian authorities had sent them before this Central African country became independent. This former corporal batman of the White Army was fascinated by the little boy I was because —I disclose it here for the first time as I’ve always been too shy to tell it— I had been elected in 1958 the most beautiful baby boy of Belgium: this has been my very first diploma but since then I grew old and ugly! As a simple man, the old Russian White Gardist was very proud to be the neighbour of the most beautiful baby boy of Belgium and once a week this poor penniless man bought for me a bar of chocolate in our street’s sweets shop and put it in the letter box. My mother told me that this was a real sacrifice for such a poor man and taught me to respect sincerely this modest and kind weekly gesture of gentleness. But I kept in mind that all simple Russian men were generous and not avaricious, so I always have picked up denigrating propaganda, be it the German one of WWII or the NATO one of the Cold War, with an extreme scepticism.

 

When I moved to Forest again in 1983, my neighbour was the celebrated nurse Nathalia Matheev, daughter of another Czarist officer, who died fighting the Red Army in Crimea. She was loved by all our neighbours and died just a few days before my son was born. In her flat, where I live now, many Russians of the Twenties’ emigration came to pay her a visit, especially on Easter Day, when “Paska” and vodka with fruit juice were served: among them a cousin of Admiral Makharov and the German-Baltic Count von Thiesenhausen, who at Nathalia’s burial mass, stood upright at the respectable age of 83 during three long hours, holding a candle and singing the old sweet Slavonic burial songs, without a single minute of rest. Nathalia studied nursery in Brussels after having left Russia and was even sent as a volunteer of the Belgian Red Cross to Peru to manage a health centre high in the Andean mountains in 1928.

 

I tried by my own to learn Russian through an Assimil method when I was sixteen in 1972. I discovered Indo-European comparative etymology in our reference schoolbook “Vocabulaire raisonné Latin-Français” of the Belgian Latinist Cotton, where you could find the roots of all the Indo-European basic vocabulary, so I was inclined at that time to start studies of comparative linguistics and I decided shortly before the Easter holiday that I traditionally spent at the Flemish sea resort of De Haan, together with the future gynaecologist Leyssens, whose grand-father had a house there. I stayed alone in a charming and cheap hotel as my father loathed to spend weeks at the sea side: he was a land peasant unable to understand the importance of the sea, “a space you cannot cultivate and whose water is salty and undrinkable for men and cattle”. Every morning and every evening, after a complete day outside by foot or by bike even under the rainy and cold skies of the West-Flemish coastal district in March or April, I studied a lesson of Russian, another of Welsh and a third one of Swedish, in order to discover a Slavonic, a Celtic and a Teutonic language that I didn’t know. This was of course silly —a crazy idea of a funny teenager— as you cannot study such a spectrum of languages by your own without a well-established didactic frame and able teachers. So the experience didn’t last long. At the translators’ school, I started a Danish course but the extremely sympathetic lady, in charge of these lectures, died two weeks later and we had to wait for some weeks or months to find a new teacher, who came only at the very end of the academic year. In 2008, I was offered a free course of Russian but this initiative, due to several reasons, collapsed rapidly, chiefly because it couldn’t match into the scheduled and compulsory school activities.

 

So at the time of the Cold war, it was easier to learn German and English, two languages that are closer to our own Dutch and Flemish, in their official varieties as well as in their many dialects. I could have a better and direct access to these languages than to Slavonic or Celtic languages. In a speech held at the very beginning of the academic year 1976 (the day the underground train of Brussels was inaugurated), Alexis Guedroitz told the assembled teachers and students that Russian was a language that you can only acquire properly “with your own mother’s milk”. To study correctly a subject implies not to get rid of the quality of “otium”, giving you time and pleasure and banking on pieces of knowledge you already and naturally have, avoiding at the same time painful efforts that could spoil your life and degenerate into “negotium”, i. e. the feverishness of a greedy businessman who is never satisfied of what the gods give him. If I can read —and not properly speak— Latin languages is due to the fact that Simon Hauwaert was a very demanding Latin teacher. Shortly before my grand-father died in December 1969, I only had experienced a couple of years in the Latin classes and discovered next to his old worn-out and brownish armchair a copy of “Oggi”, a popular Italian magazine —I still cannot imagine how this magazine arrived there as my grand-father couldn’t understand a single word of Italian— and stated that I could understand for my own many sentences, thanks to the efforts of our Latin teachers (Philippe, Dumont, Salmon). Later, when Georges Hupin opened in 1979 a first office for the New Right/G.R.E.C.E. branch in Brussels, I could read copies of Marco Tarchi’s leading bulletin “Diorama Letterario” and of Pino Rauti’s weekly “Linea”, which were among the best the movement produced in Western Europe at that time. So I decided to try as much as possible to understand and translate the articles. I took the opportunity between January and October 1982, when I was out of work and had to wait to be enlisted in the army, to study the general features of Italian and Spanish, in order to acquire at least a passive knowledge of these languages; the purpose of this superficial studying was to get able to gather as much information as possible from Southern European publications in order to feed the New Right magazines with original stuff. What concerns Portuguese texts, I had been spoilt by the publisher of “Futuro Presente”, the New Right quarterly issued in Lisbon at that time. He came regularly to Paris, when I worked for “Nouvelle école” there in 1981. We often had the opportunity to have meals together. I helped myself to read these magazines with a copy of an Assimil method for Portuguese and an old dictionary.

 

We started our cooperation at the time you published “Nouvelles de Synergies Européennes” and animated the groups called “European Synergies”. Would you like to remind us the history of this organisation? How did it start?

 

As you know it, I had been active in several “New Right” initiatives in Belgium and France since 1974 and became a member of the GRECE-group in September 1980 after having followed a special summer course in July 1980, which took place in Roquevafour in Provence. I worked for “Nouvelle école” during nine months in 1981, came back to Belgium in December 1981 to do my military service and started, with the help of Jean E. van der Taelen, to activate a club in Brussels, that was called “EROE” (“Etudes, Recherches et Orientations Européennes”) in order to be completely independent from the Parisian coterie around Alain de Benoist and of course to be protected from all the quarrels and campaigns of hatred he used to rouse against his own friends and partners, especially against Guillaume Faye. From August to December 1992, I stated that cooperation with the crazy Parisian pack would be quite impossible to resume even in the very next future and that all type of further collaboration with them meant a waste of time, a time we would have spent arbitrating quarrels between new and former friends of Benoist or defending ourselves against preposterous gossip. After I had left the 1992 summer course in Roquefavour earlier, as I was fed up with the quarrels between de Benoist and GRECE-Chairman Jacques Marlaud, who, after having been insulted in the worst of all possible ways, was supposed to be prosecuted next to me in front of a Court composed of Benoist himself, a stuck-up simpleton and a snitch called Xavier Marchand and the usual godawful yesman Charles Champetier (nicknamed “His Master’s Voice”). Marchand had to play the role of the Prosecutor; he tried to make an angry face but was very nervous, his jackass’ look betraying obviously the fact that he was playing a part that had previously been dictated to him. As a good bootlicker pupil, he did his homework with application and started to accuse Marlaud and myself, first to have given articles to Michel Schneider’s magazine “Nationalisme & République”, an activity that had been forbidden a posteriori, and second to have started a non very accurately defined “plot” in favour of Schneider (who had no intention at all to plot against the Parisian bunch but only wanted to give a new life to the group he once founded, the CDPU [= “Centre de Documentation et de Propagande Universitaire”], of which my old friend Beerens was the correspondent in Brussels). After Marchand’s vociferated speech, I simply asked him to repeat his accusation. He resumed his clumsy plea but the contents of the second version were slightly different than the ones of the first version: poor simpleton Marchand hadn’t learned properly by heart his lesson… I said: “Which is the correct version? If it’s version B, then version A is false and…”. Benoist, Marlaud and Marchand, all nonplussed by this apparently harmless question, started immediately to shout loudly at each other, giving the very amusing spectacle that a quarrel between Frenchmen always is, while Champetier remained silent and was blowing the smoke of his cigarette up the air. After they all had uttered their grievances loudly, they left the backyard, where the trial should have taken place, and only Benoist followed me, repeating ceaselessly that “he liked me” while he walked heavily with his flat feet through the marshy meadow next to the river flowing along the park where the Summer course’s beautiful old mansion stood, disturbing the siesta of a good score of frogs and toads, that jumped away, cawing clamorously, to escape the hooves of this huge approaching pachyderm blowing a nasty gas cloud of cigarette smoke. I left the summer course, telling cocky Marchand, who had made a cock–up of the wannabe trial, that he should find immediately a car to travel to Aix-en-Provence. As he of course asked me why, I said that he had to buy an Assimil method to learn German, as I was about to leave and as he had of course to replace me as a translator for the German group. He had exactly a couple of hours to become fluent in German. 

 

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I decided to leave definitively in December after they refused to pay me back the copies of my magazines that had been sold during the annual meeting, as well as the ones of “The Scorpion” Michael Walker had asked me to sell for him. I had already the impression to be a clown in a awkward circus but if this role implied to lose permanently money, it was preferable to leave once for all the stage. I had the intention to devote myself to other tasks such as translating books or private teaching. This transition period of disabused withdrawal lasted exactly one month and one week (from December 6th, 1992 to begin January 1993). When friends from Provence phoned me during the first days of 1993 to express their best wishes for the New Year to come and when I told them what kind of decision I had taken, they protested heavily, saying that they preferred to rally under my supervision than under the one of the always mocked “Parisians”. I answered that I had no possibility to rent places or find accommodations in their part of France. One day after, they found a marvellous location to organise a summer course. Other people, such as Gilbert Sincyr, generously supported this initiative, which six months later was a success due to the tireless efforts of Christiane Pigacé, a university teacher in political sciences in Aix-en-Provence, and of a future lawyer in Marseille, Thierry Mudry, who both could obtain the patronage of Prof. Julien Freund, the most distinguished French heir of Carl Schmitt. The summer course was a success. But no one had still the idea of founding a new independent think tank. It came only one year later when we had to organise several preparatory meetings in France and Belgium for a next summer course at the same location. Things were decided in April 1994 in Flanders, at least for the Belgians, Italians, Spaniards, Portuguese and French. A German-Austrian team joined in 1995 immediately after a summer course of the German weekly paper “Junge Freiheit”, that organized a short trip to Prague for the participants (including Sunic, the Russian writer Vladimir Wiedemann and myself); people of the initial French team, under the leading of Jean de Bussac, travelled to the Baltic countries, to try to make contacts there. In 1996, Sincyr, de Bussac and Sorel went to Moscow to meet a Russian team lead by Anatoly Ivanov, former Soviet dissident and excellent translator from French and German into Russian, Vladimir Avdeev and Pavel Tulaev. We had also the support of Croatians (Sunic, Martinovic, Vujic) and Serbs (late Dragos Kalajic) despite the war raging in the Balkans between these two peoples. In Latin America we’ve always had the support of Ancient Greek philosophy teacher Alberto Buela, who is also an Argentinian rancher leading a small ranch of 600 cows, and his old fellow Horacio Cagni, an excellent connoisseur of Oswald Spengler, who has been able to translate the heavy German sentences of Spengler himself into a limpid Spanish prose. The meetings and summer courses lasted till 2003 and the magazines were published till 2004. Of course, personal contacts are still held and new friends are starting new initiatives, better adapted to the tastes of younger people. In 2007 we started to blog on the net with http://euro-synergies.hautetfort.com in seven or more languages with new texts every day and with http://vouloir.hautetfort.com and http://www.archiveseroe.eu/ only in French with all the articles in our archives. This latest initiative is due to a rebuilt French section in Paris. These blogging activities bring us more readers and contacts than the old ways of working. As many people ask to read my own production, mostly students in order to write some short chapters in their papers or to be able to write out proper footnotes, I decided in October 2011 to publish my own personal archives on http://robertsteuckers.blogspot.com/

 

What are the main goals of “Synergies Européennes”?

 

Now the very purposes of “Synergies Européennes” or “Euro-Synergies” were to enable all people in Europe (and outside Europe) to exchange ideas, books, views, to start personal contacts, to stimulate the necessity of translating a maximum of texts or interviews, in order to accelerate the maturing process leading to the birth of a new European or European-based political think tank. Another purpose was to discover new authors, usually rejected by the dominant thoughts or neglected by old right groups or to interpret them in new perspectives.

 

“Synergy” means in the Ancient Greek language, “work together” (“syn” = “together” and “ergon” = “to work”); it has a stronger intellectual and political connotation than its Latin equivalent “cooperare” (“co” derived from “cum” = “with”, “together” - and “operare” = “to work”). Translations, meetings and all other ways of cooperating (for conferences, individual speeches or lectures, radio broadcasting or video clips on You Tube, etc.) are the very keys to a successful development of all possible metapolitical initiatives, be they individual, collegial or other. People must be on the move as often as possible, meet each other, eat and drink together, camp under poor soldierly conditions, walk together in beautiful landscapes, taste open-mindedly the local kitchen or liquors, remembering one simple but o so important thing, i. e. that joyfulness must be the core virtue of a good working metapolitical scene. When sometimes things have failed, it was mainly due to humourless, snooty or yellow-bellied guys, who thought they alone could grasp one day the “Truth” and that all others were gannets or cretins. Jean Mabire and Julien Freund, Guillaume Faye and Tomislav Sunic, Alberto Buela and Pavel Tulaev were or are joyful people, who can teach you a lot of very serious things or explain you the most complicated notions without forgetting that joy and gaiety must remain the core virtues of all intellectual work. If there is no joy, you will inevitably be labelled as dull and lose the metapolitical battle. Don’t forget that medieval born initiatives like the German “Burschenschaften” (Students’ Corporations) or the Flemish “Rederijkers Kamers” (“Chambers of Rhetoric”) or the Youth Movements in pre-Nazi Germany were all initiatives where the highest intellectual matters were discussed and, once the seminary closed, followed by joyful songs, drinking parties or dance (Arthur Koestler remembers his time spent at Vienna Jewish Burschenschaft “Unitas” as the best of his youth, despite the fact that the Jewish students of Vienna considered in petto that the habits of the Burschenschaften should be adopted by them as pure mimicking). Humour and irony are also keys to success. A good cartoonist can reach the bull’s eye better than a dry philosopher.

 

In 1997, Anatoly Ivanov, a Russian historian, polyglot and essayist registered the Russian branch of the “European Synergies” in Moscow. How did you learn about him?

 

I don’t remember quite well but I surely read some sentences about him and his work in an article of Wolfgang Strauss, who wrote an impressive amount of articles, essays and interviews about Russian affairs in German and Austrian magazines as Criticon, Aula, Junges Forum, Staatsbriefe, Mut, Europa Vorn, etc. The closest contact I had at that time was with the team of Junges Forum in Hamburg, which also published next to Strauss’ essays a monthly information bulletin called DESG-Inform (DESG meaning “Deutsch-Europäische Studiengesellschaft”). In this context, I received a copy of a German translation of his very important book Logika Koshmara(Logik des Alptraums) published in 1993 in Berlin with a foreword and a conclusion of Wolfgang Strauss, explaining the world view of the new Russian dissidents, who were not ready to exchange communism for the false values of the West. After the publishing of Logik des Alptraums, Ivanov was regularly quoted in the DESG bulletin or in Strauss’ long and accurate essays in Staatsbriefe. But the very first contact I had was a letter by Ivanov himself, in which he introduced himself and sent some comments that we translated or reproduced for Nouvelles de Synergies Européennes or Vouloir. After having received this letter, I phoned him, so that we could have a vivid conversation. The rest followed. But I am sad that I never could meet him till yet.

 

The same is true for Strauss: I should like to remember here that the very first German article I summarized for Hupin’s Renaissance Européenne was a Strauss’ contribution to Schrenck-Notzing’s Criticon about the neo-Slavophile movement in Russia. I met Strauss only once and too briefly: at a Summer Course of the German weekly magazine Junge Freiheit near the Czech border in the region of Fichtelgebirge in 1995. The representative of Russia was then Vladimir Wiedemann, whose speech I translated for Vouloir.

 

Since then our magazines ‘Heritage of the Ancestors” and “Atheneum” have published news about the “European Synergies”, some of your articles in Russian translation and reviews about such publications as “Nouvelles de Synergies Européennes”, “Vouloir”, “Nation Europa”, “Orion”, etc. Do you find such an initiative important? Why?

 

It is indeed important to inform people about what happens in the wide world. The pages “Atheneum” dedicates to the activities of other groups in Europe or elsewhere in the world replace or complete usefully the information formerly or still communicated by DESG-Inform, Diorama Letterario, Nation Europa, Nouvelles de Synergies Européennes, etc. Recently, i. e. in the first days of June 2011, when I was interviewed in Paris for the free radio broadcasting station “Méridien Zéro”, the two young journalists declared to regret the lack of information about what is said, published or broadcast in the so-called “New Right” or “Identitarian” movements throughout Europe, since “Nouvelles de Synergies Européennes” ceased to be published. They both found that the ersatz of it on the Internet was not sufficient, although one of them produces every week, depending on the topics they are dealing with, an excellent survey of webpages, books and magazines on the “Mériden Zéro’s” website. The same kind of intelligent survey should be done regularly for books because there is one big difference between the time, when the New Right began to develop at the end of the Sixties and in the Seventies, and now: many topics aren’t taboo anymore, such as geopolitics or Indo-European studies at scientific level. Lots of books on the main topics the New Right wanted to rediscover at the time when such topics were repressed are nowadays issued by all possible publishing houses and not only by clearly identifiable conservative or rightist publishers. For general news on current affairs, we can bank on a German friend to issue monthly a general survey of interesting topics gathered from the German press and on a Flemish friend for the same purpose, but this time twice or three times a week. The Flemish “Krantenkoppen” (= “papers’ heads”) are in four languages (Dutch, French, German and English). You can jump into the web to discover them regularly by paying a visit to : http://euro-synergies.hautetfort.com/. In Italian you can get daily a excellent collection of articles on http://www.ariannaeditrice.it/. A good survey of the American non conformist press and webpages can be found on Keith Preston’s site : http://www.attackthesystem.com/. But you and the Méridien Zéro journalists are right: the instrument should be widened and rationalized. This one important goal to reach for all those who were formerly confident of the “Synergies Européennes” network.

 

You also published articles and interviews of us all in the bulletin “Nouvelles de Synergies Européennes” and in the journal “Vouloir”. Had these texts some echo? Who among your readers did pay more attention to our material and about Russian matters in general? Was it Wolfgang Strauss, Jean Parvulesco or Guillaume Faye?

 

parvul10.jpgAll our readers agreed that our articles about Russia or Russian authors and our interviews of Russian personalities were of the uttermost importance. Strauss and Parvulesco received the magazines regularly. I had regular contacts with Parvulesco, who unfortunately died in November 2010 (cf. The category “Jean Parvulesco” on http://euro-synergies.hautetfort.com ), and I know that he always read attentively everything coming from Russia: one should not forget that Parvulesco was among the first thinkers in France who were aware of the dangers epitomized by Brzezinski’s strategic projects in Central Asia and elsewhere, be it along the “New Eurasian Silk Road” or in the Caucasian and Pontic areas. Articles like “La doctrine des espaces de désengagement intercontinental” and “De l’Atlantique au Pacifique” (and within this important geopolitical manifesto, the paragraphs under the subtitle “Zbigniew Brzezinski et la ligne politico-stratégique de la Chase Manhattan Bank” – Both texts can be read in “Cahier Jean Parvulesco”, Nouvelles Littératures Européennes, 1989).

 

 

 

But at a first stage, we have to thank retrospectively the guy who translated Russian texts under the pseudonym of “Sepp Staelmans” (a “Bavarianification & Flemishification” of “Josef Stalin”!). He came to us, when he was sixteen and we all were still students, and asked to our friend Beerens what he could do for the movement: Beerens, who in this very evening had most probably drunken too much red wine, told him: “You should learn German and Russian!”. Incredible but nevertheless true: the young lad did it! Many other translations were done by girls who were trainees in my own translation office. More students indeed study Slavonic languages now than formerly, simply because there is no Iron Curtain anymore and they can meet youth of their own age in Slavonic countries. Michel Schneider, who once published the interesting political magazine “Nationalisme et République”, stayed in Moscow for a quite long time and sent us articles too. The former readers of Schneider’s magazine welcomed heartedly of course the Russian stuff he sent to us.

 

One day in Paris, just after having jumped out of the train from Brussels, I had a meal in the famous “Brasserie 1925”, just in front of Paris’ “Gare du Nord”, with a young lady, an incredibly attractive and intelligent woman seeming to come just out of the most beautiful fairy tale. She belonged to the team around the most efficient French present-day Slavists, such as Anne Coldefy, Lydia Kolombet or Marion Laruelle. They wanted to have copies of all our publications dealing with Russian topics for their archive.

 

Many other articles or essays on Russian matters were inspired by German books of Slavistics produced by the publishing house Otto Harassowitz in Wiesbaden. This publishing house is indeed specialized in Russian ideas and topics and issues regularly a thick journal called Forschungen zur osteuropäischen Geschichte (= “Studies on East European History”), where we could find many inspiring texts.

 

Can we call our own initiatives as belonging to the transnational “New Right” movement? How would you define this ideological movement? Who are its leaders?

 

The phrase “New Right” has of course many different significations. Especially in the Anglo-Saxon world it can delineate a rather multiple-faced libertarian movement inspired by Reaganomics, Thatcherite British conservatism, i. e. an renewed form of the old liberal Manchesterian way of managing a country’s economy, etc. The main theoreticians who inspire such a British or Transatlantic view of politics, state or economics are Milton Friedman, Friedrich von Hayek or Michael Oakshott. This is not, of course, the way we would define ourselves as exponents of a “New Right” (although in some particular aspects, beyond economics as such, Hayek’s notion of “catallaxy” is interesting).

 

Personally I would say that I belong to a synthesis of 1) the German “Neue Rechte”, as it had been accurately defined by Günter Bartsch in his book “Revolution von Rechts?”, 2) of the French “nouvelle droite” as it has been coined by Louis Pauwels, Jean-Claude Valla and Alain de Benoist at the end of the Sixties and 3) of the Italian initiatives of, first, Pino Rauti and his weekly paper “Linea”, and, second, of Dr. Marco Tarchi and his journals “Diorama letterario” and “Trasgressioni” before they started sad aggiornamenti in order not to be insulted by the press.

 

Img 7_Pauwels.jpgThe German “Neue Rechte”, as defined by Günter Bartsch, is a bio-humanist movement, opposed to technocracy in the widest sense of the word, has got a biological-medical view on man (on anthropology). This implies the rather well-known option for ethnopluralism, which, subsequently, implies an option for all kinds of “liberation nationalism”, within and outside Europe, and for a broad conceived “European Socialism”. The story of the French “nouvelle droite” is better known throughout the world due to the many essays or books written about it since more or less four decades but not so much has in fact been written about the link between, on one hand, the early G.R.E.C.E.-Groups and, on a second hand, Louis Pauwels, editorof the futurology and prospective journal “Planète”, the organized “Groupes Planète” throughout France’s regions, the specific interpretation of the May 1968 ideology of Herbert Marcuse that had been developed in the numerous essays of the magazine, the critical approach of Western materialism, the speculations of Arthur Koestler about biology (“The Ghost in the Machine”) and his attraction towards parapsychology, the influence of the Gurdjieff group on the all venture, the presence in the redaction team of the Belgian thinker Raymond De Becker with his particular interpretation of Jung’s psychoanalysis (and his past as a “crypto-fascist” activist in the Thirties and the Forties, afterwards fascinated by Jungian psychoanalysis during the seven years he spent in jail). Moreover, “Planète” was in a certain way “ethnopluralist” as it supported the Occitan revival in Southern French regions such as Provence and Languedoc. Purpose was of course to dismantle the materialistic and rationalist Jacobine French State. From my experience in the New Right groups, I consider as essential the following topics: the metapolitical way of working, the critical view on the Western world (developed in a special issue of “Nouvelle école” on America and a remarkable issue of “Eléments” on the “Western civilization”), the exploration of the German Conservative Revolution through thinkers like Spengler, Jünger, Moeller van den Bruck or Carl Schmitt.

 

The Italian magazines were more interested in pure political sciences, even in some popularized articles from “Linea”, describing mostly the life of important and original political figures and of political scientists (such as Pareto, Mosca, Sombart, Weber, Sorokin, etc.) and explaining the main trends of their works. For us in Belgium the critique the Italian fellows developed to reject partitocracy was more interesting than the French or German ideas or debates. Why? Simply because the corrupted situation in which we lived and still live, the impossibility to realise genuine political programmes and an authentic reformation aiming at solving actual problems was very similar to what happened and still happens in Italy: in France, De Gaulle had made it possible to escape the narrowness of the 4th Republic’s petty politics and had suggested original ideas such as the workers’ participation, the “intéressement” of a factory’s personnel in the benefits of their company or a new form of Senate with representatives of the regions and the professions and not with aloof professional politicians, who could after some years of parliamentary life become totally cut from all social realities. Nothing of all these intelligent projects after him became reality but nevertheless at the end of the Seventies, there was still hope to translate these seducing programmes into French political life. In Germany at that time, the full results of the post war reconstruction could be felt and at that time the country didn’t experiment the impediments generated by the many dissolving consequences of a partitocratic system.

 

The French “nouvelle droite” acquired a worldwide reputation after a team around Jean-Claude Valla could manage in the autumn 1978 to man the redaction of a new and broad dispatched weekly magazine, the “Figaro Magazine”. Alain de Benoist was among the new journalists selected and took over the “rubrique des idées” (the “ideas’ column”) he already had run in the Figaro daily paper’s literary supplement, which was issued every Sunday. Louis Pauwels, the head of the new weekly “Figaro Magazine” and former chief animator of the “Groupes Planète” had accepted the deal proposed by the young wolves within the GRECE-team that proceeded from small national-revolutionist groups, students’ associations and tiny political parties that had failed to score sufficiently during several rounds of general or local elections in the Sixties. They all formerly were more or less linked to the monthly magazine “Europe-Action” mainly supervised by Dominique Venner. The events of May 1968 proved that the left or all the leftist non communist caucuses had actually seized the cultural or metapolitical power in France and elsewhere in Western Europe. Nowadays many studies tend to demonstrate that the American OSS and later the CIA had created artificially the 68 uprising in order to weaken Germany which became at the end of the Sixties an economical and industrial power again and to weaken also France which under De Gaulle became a nuclear military power having developed a competitive aircraft industry (Bloch-Dassault with the celebrated Mirage fighters that had been sold to Israel, India, Australia and Latin American countries as well as to some European countries such as Belgium). But in a first step the purpose of the metapolitical fight was to criticize and to suggest a counter-power to the 68 ideology as well as to defeat the heavy influence the communists still had in the French press at that time. This brought the “nouvelle droite” in a kind of precarious balance as, on the one hand, they still had columns in “Valeurs actuelles” and “Le Spectacle du monde”, which were publications owned by the press magnate Raymond Bourgine, who was an Atlanticist, and as, on a second hand, they had started to develop a thorough criticism of American values in both their separate home magazines “Nouvelle école” (1975), under the brilliant intellectual leadership of the Italian Giorgio Locchi, and “Eléments” (1976) under the vigorous supervision of Guillaume Faye.

 

Other ambiguity: Pauwels within the network of the “Groupes Planète” had staunchly supported some social criticism of the pre-68 movement and stressed the importance of the more or less Nietzschean notion of “one-dimensional man”, as a possible aspect hic et nunc of the “Last Man blinking his eye” whose deleterious influences one had to fight against, as well as the notion of an “Eros” able to wipe out all the petty consequences of a hyper-civilized and hyper-rationalized Western world, both notions having been theorized in Herbert Marcuse’s main books in the Sixties; now, in the columns of the brand new glossy “Figaro Magazine” (or abbreviated: “FigMag”), all the effects of the pre-68 and genuine 68 movement were submitted, with the help of the formerly marginal “pre-new right” would-be journalists, to a thorough criticism leading to a final and total rejection, in name of a new conservatism aiming at preserving the values of the West or at least of Old Europe. More than one theoretical gap between these discrepancies were not filled, leading in the four or five following years to a quite large array of misunderstandings. The eternal problem of lack of time couldn’t solve these discrepancies, leading at the end of 1981 to a clash between de Benoist and Bourgine, then to a recurrent blackmailing of Pauwels, who was threatened by attrition in the way advertisement agencies refused to place ads in the weekly FigMag. The constant blackmail Pauwels underwent aimed at sacking the “New Right” people and at throwing them out of the “Figmag” for the sole benefit of the exponents of the new ideological craze, coined by the system’s agencies: neo-liberalism.

 

A Russian “New Right” cannot be of course a tributary of all these Western European aspects of a general conservative-revolutionnist criticism of the main modern ideologies or political systems. A Russian “New Right” must of course be an original and independent stream, a synthesis of Russian ideas. According to the German Slavist Hildegard Kochanek, the Russian source of a general conservative revolutionist attitude lies of course in the Slavophile tradition, taking into account values like “potshvennitshestvo” and “samobytnitshestvo”, i. e. the roots of the glebe and the genuine political sense of community (“Gemeinschaft” in German). This implies, still according to Mrs. Kochanek, a kind of socialism, very different than the historical dominant forms of socialism within the 1st, 2nd and 3d Internationals, the West-European social democracies or the Soviet communism. Mrs. Kochanek sees Vladimir Soloviev and Sergej Nikolaïevitch Bulgakov (1871-1944) as the spiritual fathers of a spiritualized socialism, inspired by the very notion of Greek-Byzantine Sophia. Bulgakov, as an émigré in Paris, in the Twenties and Thirties, was clearly conscious of the lack of ethics in the several forms of real existing socialisms or communisms. Sophia and ethics help to break the vicious effects of “economical materialism” of both communist and social democratic doctrines, which are in the end not fundamentally different from the utilitarian Anglo-Saxon bourgeois ideology (“burzhuaznost”), as it was theorized by Jeremy Bentham and later by David Ricardo. Society, according to Bulgakov, cannot be seen as a mere mechanism of individual atoms trying to realize their own petty interests. In fact, Bulgakov produced long before the existence of a “New Right” a complete critique of the Western ideologies, that Guillaume Faye tried to formulate again —but this time in a non Christian intellectual frame— in his very first articles on “Western Civilisation”, published in “Eléments” in 1976, as well as in several articles and short essays about economical theory (but the main book Faye wrote about his views on economics was thrown into the wastebasket by de Benoist… I could only save some pages that I published in my “Orientations”, Nr. 5; the rest was spoilt by Faye himself, who used to clean his pipe with the scattered sheets…). In the former Soviet Union, Mikhail Antonov wrote some articles in 1989 in the well-known Moscovite journal “Nash Sovremennik”, urging the Russian economists not to adopt the Western unethical forms of economics but to continue Bulgakov’s work (see: Hildegard KOCHANEK, Die russisch-nationale Rechte von 1968 bis zum Ende der Sowjetunion – Eine Diskursanalyse, Franz Steiner Verlag, Stuttgart, 1999); in the eyes of Bulgakov, it is impossible to let economics not be counter-balanced by ethical brakes. Without such “brakes”, economics tends to invade the whole sphere of human activities and to destroy all other factual, intellectual or spiritual fields in which mankind is evolving. Hypertrophy of economics leads to an extreme “fluidity” of human thoughts and actions: as Carl Schmitt explains it in his posthumous “Glossarium”, we aren’t Roman surveyors anymore but seamen writing “logbooks”. He meant that we have lost all links with the Earth.

 

So we expect to learn more about Russian ideas through a totally independent Russian “New Right”, that wouldn’t in no respect imitate Western models.

 

When you ask me who are the leaders or the leading personalities of the Western European New Right, I will have to enumerate country by country the men who were and are the main exponents of this diversified ideological current. I’ll only select France, Germany, Italy, Spain and Austria. In France, the leading personality is of course Alain de Benoist, who seems to personify the movement in its wholeness. According to Pierre Chassard the core group that intended at the very beginning to launch a metapolitical struggle and to spread “other ideas” than those in power was a college of friends, was mainly built by old members of “Europe Action” or the “Fédération des Etudiants Nationaux”, or even people having tried initiatives in the Fifties. They selected some younger collaborators. Alain de Benoist was among the members of this new generation: he had been selected because he had made good synthesized reviews of books and magazines and had coined well balanced definitions for “L’Observateur Européen”, a bulletin which was at the same time the heir publication of the “Cahiers Universitaires”, the intellectualized publication of a students’ association (FEN – Fédération des Etudiants Nationaux), and later a supplement to Dominique Venner’s monthly “Europe Action” (“Europe Action Hebdomadaire”). After Venner resigned in July 1967, a team decided to abandon pure politics and opt for metapolitics: this was the very birthday of “Nouvelle école”, the wonderful magazine that seduced me six years later in 1973, when I was only seventeen. But next to the first emergence of what will become the still existing “New Right” as a later expression of the prior “Nouvelle école” redaction, Domnique Venner started the “Institut d’Etudes Occidentales” and a bulletin called “Cité-Liberté”, but the experience only last a year and a half (from November 1970 till July 1971).
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Later, some people hoping for a more active approach created the G.R.E.C.E.-Groups, more or less along the same organizational lines as Louis Pauwels’ “Planète-Groups” in the Sixties, with a representative group in every important town; these groups were supposed to start a “cultural revolution” to get rid of the conventional post war liberal ideology and its “translations” in real life; for the “Grecists”, their similar town-based groups would be called “unités régionales”. These metapolitical groups had as a purpose to organize locally speeches, debates, conferences, seminars or art exhibitions to compete with the dominant ideologies. To inform the members of these new created network, a bulletin called “Eléments” was launched, very simple in its layout: it was a plain pile of sheets wrapped in a light cardboard cover. In 1973 it became a full magazine, not only designed for the members but for a broad public. Both magazines made Benoist’s reputation in and outside France. For me all positive aspects of Benoist’s initiatives are directly linked with “Nouvelle école”. Later Guillaume Faye, a figure of a new “Grecist” generation, gave an energetic punch to “Eléments”. We may say after four decades of observation that the soul having animated “Nouvelle école” is undoubtfully Alain de Benoist and that all his other initiatives are either awkward adaptations to the Zeitgeist or betrayals of the core message of the initial movement from which he proceeds.

 

I mean here that the birth of metapolitics at the end of the Sixties was a clear and harsh declaration of war against the dominant metapolitical powers and against all the political systems and corrupted personnel they support: the very aim of metapolitics is to let appear the dominant power as a full illegitimacy. In such a long lasting war you cannot make compromises, you never criticize positions you once adopted, you never negate what you once asserted. On the contrary you have to spot immediately the new pseudo-intellectual garments the dominant power is regularly putting on, each time when its usual instruments aren’t fully efficient anymore; this spotting job is absolutely necessary in order not to be trapped by the new seducing strategies the foe is trying to spread to fool you, according to the principles once invented by Sun Tsu. You cannot criticize positions you once opted for, as if you had to be forgiven for youth mistakes, because you lose then rather large parts of your operation field. If you reject, for instance, biology or biohumanism or biological anthropology (Arnold Gehlen) or all types of medical-biological questions, because you could eventually be accused by the press to be a proponent of a new kind of “biological materialism” or of a “zoological view of mankind” or of “racialist eugenics”, etc., you’ll never be able anymore to suggest a well-thought national health policy programme elaborated by doctors, who intend to develop a preventive health system in society. That’s what happened to poor de Benoist, who was scared stiff to be labelled a “Nazi eugenist” since the very first polemical attack he underwent in 1970, an attack that wasn’t lead by the left as such but by Catholic neo-royalists, who had purposely adopted a typical leftist phraseology and created an ad hoc anti-racist committee to crush the future “New Right” team they saw as competitors in the new metapolitcal struggle that wasabout to be fought in France in the early Seventies.

 

dia_konrad-lorenz.jpgSome years later Alain de Benoist interviewed for “Nouvelle école” the Nobel Prize Konrad Lorenz who had written well shaped didactical books to warn mankind of the dangers of a possible “lukewarm death” if the natural (and therefore biological) predispositions of Man as a living being were not taken into consideration by the political world or the Public Health Offices. Although he had the backing of a Nobel Prize winner and of the Oslo or Stockholm jury having granted Prof. Lorenz the Prize, de Benoist has till yet feared to resume the kind of research “Nouvelle école” had tried to start in the middle of the Seventies. The paralysing fear he felt in the deepest of his guts lead him to express all kind of denials and rejections that were in no case scientifically or factually established but were mere makeshift jobs typical of political journalists manipulating blueprints in order to deceive their audience.

 

The further evolution of the first French “New Right” team involved some years of interesting developments from 1970 to 1978, with as only outside tribune the magazines published by Bourgine, “Valeurs actuelles” and “Le Spectacle du monde” (the famous book of Alain de Benoist “Vu de droite” is a 1978 anthology of articles having been first published in Bourgine’s publications). The creation of the “FigMag” in 1978 boosted the G.R.E.C.E.-groups and brought them into the very debates of the “French Intellectual Landscape” (“Paysage Intellectuel Français” or “PIF”). This period of intoxicating euphoria lasted till December 1981. During three years Alain de Benoist thought he had deep in his tuxedo’s pocket the (metapolitical) key to a very soon available power access or to a seat in the celebrated “Académie Française” and became incredibly arrogant and haughty in a typical Parisian way, what was in our eyes a very funny scene to watch and mock. These arrogant manners of him but also his exhilarating strokes of near nervous breakdowns, when he was once more scared stiff for futilities and swallowed handfuls of sedating pills, were very often aped in Paris, in all the province towns and in the Brussels’ pubs where we met to discuss the last tittle-tattle of the movement, leading to general hilarity and merriment. Guillaume Faye was of course the best animator in such merry meetings. This period was nevertheless the apex of the movement. With the publication of Faye’s “Le Système à tuer les peuples” and the ideological consequences of two publications of the group, the special issue of “Nouvelle école” about America and the American Way of Life and the issue of “Eléments” inaugurating a thorough critique of Western values, the movement had really broken with the usual Western and Atlanticist positions of the dominant rightist-conservative political field. It was now thoroughly different from the old far right groups on the French political chessboard but became also quite different from the established official right (the main political parties of Giscard d’Estaing and Chirac). The movement had its originality. But the world political surroundings had completely changed. First, the Socialists of François Mitterrand won the presidential elections in May 1981, a new political synthesis was about to dominate the world stage, combining the libertarian view of economics with the anti-Soviet and anti-fascist heritage of the usual Jewish-American East Coast Trotskites. This meant that the Trotskite intellectual gangs of the East Coast decided to abandon the usual leftist phraseology and to adopt a new vocabulary larded with conservative or rightist (anti-communist) expressions. At the same time, this new conservatism with Trotskite background became the proponent of libertarian economics and of an aggressive anti-Soviet foreign policy, destroying all the assets left by the endeavours of diplomacy (the German “Ostpolitik”, the policy of bilateral relationships between small powers of the EEC and of the COMECON suggested in Belgium by Pierre Harmel, the independant policy of the Gaullists and some of their most brilliant ministers such as Jobert and Couve de Murville, etc.) and re-introducing the geopolitics of anti-Russian containment inaugurated by the British geographer Sir Halford John Mackinder in 1904 and later improved by NATO-geopolitics as it had been coined by Nicholas Spykman and some other geopoliticians working for the American Foreign Affairs or for the US Army. The new synthesis of economical libertarianism, anti-communist conservatism and recycled Trotskite thoughts lead to the election of Reagan and to the introduction of “Reaganomics” in the United States. Simultaneously, new forms of slightly toned down Reaganomics or Thatcherite recipes were suggested in European countries: in Belgium the future Prime Minister Guy Verhofstadt, who was at that time a young challenging politician, started a campaign to let adopt Thatcherite methods in the Low Countries and a whole bunch of French journalists such as Guy Sorman, Alain Minc and Laurent Joffrin stood up for adjusting French economics to the new American or British standards.

 

The New Right wasn’t prepared at all to face such a worldwide well orchestrated offensive; first, its staff was not numerous enough to man all the bastions where a fierce defence fight was needed and second, under the too preponderant influence of de Benoist, the topics of economics or economical theory, of geopolitics and of political sciences and history of political ideas (such as the genesis of all the possible combinations the US American ideological sides were able to adopt when they changed their strategies in order to win elections) had been fully neglected in favour of purely cultural or literary speculations. In 1979, Giorgio Locchi left the G.R.E.C.E.-Group because he disagreed with the policy of “entrisme” in the press and in established conservative caucuses (he meant the “FigMag”-affair and the cooperation with a think tank of Giscard d’Estaing’s party, called “Maiastra”). At the same time a group left also the G.R.E.C.E -team to create a so-called “Club de l’Horloge”, more focussed on political and economical matters but even more predisposed to “entrisme”-policies.

 

The ambiguity was actually present: the G.R.E.C.E./New Right movement was indeed torn between two possibilities. Either it specialized in pure intellectual, cultural, literary or philosophical topics or it specialized in political sciences with both a theoretical branch and a pragmatic one, with the purpose of translating the theoretical principles into real political life, for instance by modelling solutions as they would be suggested in a Parliament. Giorgio Locchi thought it was to early to risk a way or another of “entrisme”; he was too conscious of the weakness and ill-preparedness of the movement and estimated that every kind of “entrisme” would lead to a fading away of the strong philosophical corpus. No actual conservative revolution was possible in his eyes in 1979 France. The withdrawal of Locchi was a catastrophe. In the only really scientific study about the “nouvelle droite”, that was written by Pierre-André Taguieff in 1993, Locchi’s and Mohler’s roles were duly stressed, as they were rightly considered as the real ancestors of the movement, as belonging to the small group of the “Founding Fathers” having already modelled the concept of their wished new conservative revolution in the Fifties: according to late Professor Piet Tommissen, who unfortunately died recently in August 2011 just after having written down his own memoirs, Mohler, as a secretary of the world famous German writer Ernst Jünger, was ceaselessly organizing meetings and speeches throughout Switzerland and Germany as early as 1952 when the future Flemish university teacher Piet Tommissen met him for the first time. Locchi was surely as active in Italy. His departure meant that the movement lost a part of its roots at the very moment when it seemed to have reached its apex. Alain de Benoist started, consciously or unconsciously, his strategy of cutting links with the old generation as he would also cut all links with newcomers in the movement: successively Faye, myself, Baillet, Champetier, Bresnu and many others were isolated and ruled out, reducing the movement to his single person surrounded by some narrow-brained lackeys. The movement ceased gradually to be a real team of good friends working on different topics, each according to his acquired academic knowledge, to become the tiny club of a guru with no other purpose that to repeat endlessly its own static patterns or, even worse, to repeat brainlessly the newly coined aggiornamenti without being conscious of the contradiction between them and the previous assertions of the guru.

 

The fears Locchi had when he contemplated the future with pessimism were about to become plain reality at the end of 1981. In November 1981 the offices of G.R.E.C.E. were a real hive of activity in order to materialize the new craze or the new Machiavellian trick, that was supposed to produce the metapolitical and final breakthrough of the movement on the French political stage. Some got the pseudo-Evolian idea to “ride the Tiger” by adopting Reaganomics or Thatcherite ideas and to smuggle stealthily de Benoist into a team of representatives of this new monetarist or neoliberal network for which a huge international conference would be organized in Paris with the support of the “FigMag”. As de Benoist would be alone among the mostly American or British monetarist or neo-conservative eggheads of the panel, his would-be Machiavellian chums thought naively that no one would have smelt a rat that the whole affair had been set up secretly by the “new right” team. So in the first days of December an international conference, under the simple and pompous title of “Alternative libérale”, had been planned. It would have hoisted boastful Benoist into a network of conservative and neo-conservative political scientists or economists; our man would gather subsequently high consideration in the wide world and wouldn’t be taken for a “fascist” or a “crypto-fascist” anymore. But the whole affair was quickly discovered. The office of “Alternative libérale” was settled in a flat belonging to de Benoist’s mother who died some months previously. The very efficient spying network of the former Trotskites turned “neoconservatives” could rapidly spot who was poorly hidden behind the flimsy set-up. But the conference rooms had been rented, folders and pamphlets printed, etc. so that the initiative couldn’t be cancelled without risking to ruin the movement! Under harsh pressure of Raymond Aron (who, just like Karl Popper, had been fawned on by Benoist some weeks before in an article of the “Figmag”), of Norman Podhoretz and of several neoconservative caucuses from America and France, de Benoist was kicked out from the conference panel like a tramp who would have lost his way in a luxury hotel along the Riviera. The conference took nevertheless place with only a panel of recycled Trotskites, neoconservatives, Thatcherites and other birds of ill omen. The lesson we should draw from this ludicrous incident is that “Mr. Nouvelle Droite” has simply no ideas of his own; he is only a poor parrot aping others’ voices: he imitated Locchi or Mohler when he pretended to be a “conservative revolutionist” in the German tradition; he imitated some others when he wanted to participate to any possible “Alternative libérale”; he imitates a bright feathered queer customer like the Swiss Jean Ziegler when he plays the role of a “New Leftist” animated by a deep concern for the alleged “Third World”; he still plays the drama character of the catacombs’ fascist when he wants to get some dosh from a reduced bunch of old chums who were former activists of “Europe Action”... He has neither personal ideas nor stable views and only looks for opportunities to be hoisted on prestigious panels or to grasp money to pay the bills of his printers. But the funniest result of all is that the “New Right” teams helped to saddle neo-liberalism on the French political stage, a neo-liberalism that was closer to its arch-enemies, the “nouveaux philosophes”, who imposed the newspeak of “political correctness” during the three last decades, excluding by the way Benoist and his “New Right” from all official panels. Who were the cheated lovers, the “cocus magnifiques”? You can easily guess…

 

When the conference of “Alternative libérale” was being prepared feverishly, Faye was puzzled and disappointed. Exactly like Michel Norey, the only member of the team who had written for “Nouvelle école” (nr. 19) an introduction to an alternative history of economics, he belonged to a completely different tradition in the history of economical ideas. This tradition is the so-called “historical school” having roots in Continental Europe, in Germany as well as in France. Guillaume Faye, Ange Sampieru and I agreed that the way out of the liberal Western mess could only be instrumentalized by some revival and updating of the intellectual assets of the “historical school”. Faye studied the works of André Grjebine and François Perroux, Sampieru discovered long before priggish de Benoist the new French anti-utilitarian movement of the M.A.U.S.S.-team as well as the authors of the “regulationist school” and I suggested in the Eighties the reading of alternative histories of economical thought in order to bring didactically some order in our friends’ minds. In December 1981 I left definitively the Parisian offices of G.R.E.C.E., while Benoist was brooding and chewing over his failure to become a star in the new Reaganized and Thatcherized world. The result of this brooding and chewing over process in “Prig Benoist’s” scattered scatter-brain, the very result of the sad cogitations of Big Failed Chief, was —I must confess— a wonderful article in the issue of “Eléments” that was dispatched in France’s kiosks in January 1982. Imitating both Spengler and Evola, he had given his long and well-balanced article the title of “Orientations pour des années décisives”, an allusion to Evola’s booklet “Orientations”, issued in the early Fifties, and to Spengler’s “Jahre der Entscheidung” (“Années décisives” in French), published as a bestseller in 1933, the year when Hitler took over power in Germany. Deeply offended because he had been kicked out of his own December plot and had missed an opportunity to become a worldwide star, Prig Benoist took positions and adopted views that were diametrically opposed to the ones usually backed by the people reading the “FigMag” or the publications of Bourgine’s press group. In his article, Prig Benoist wrote a couple of sentences that were quite easily considered as pure provocation by the people in Bourgine’s teams: “We’ll finally prefer to put on our heads Red Army caps than to finish as fat old guys eating disgusting hamburgers somewhere in a nasty Brooklyn lane”. Faye, Sampieru and I found the sentence surely provocative but amusing and very well written. The result of this whim was that Benoist was immediately kicked out of Bourgine’s glossy magazines as soon as Boss Bourgine himself could read a copy of “Orientations pour des années décisives” (Benoist nevertheless could recuperate his position as a chronicler in “Le spectacle du monde” during the first decade of the 21st century, long after Boss Bourgine’s death). It lasted only some weeks before he was also evicted from the highly considered “Ideas’ column” of the “FigMag”, but as Louis Pauwels was a chivalrous gentleman, Prig Benoist could keep the “Video column”, where he had to comment films. The apex era of the French “New Right” was over. Definitively.

 

The movement had no bias of “petty conservatism” or of “alternative liberalism” anymore and cultivated from now on a kind of discrete “national-bolshevism”, trying openings to non conformist left clubs, just as the German “Neue Rechte” had done till yet. Sampieru and I were delighted. In January 1982, the second period in the history of the French “New Right” started. During this interesting period of decrease in real power or real influence in the media world but of increase in intellectual maturity, the movement tried to define itself as an alternative non Western movement, heir of the anti-American Gaullist positions and of alternative non Marxist socialist thoughts (such as those of Sombart, Sorel, De Man, etc.). In 1982, the German neutralist movement became better organized and started to acquire national dimensions it hadn’t previously had. In 1981, Willy Brandt’s son Peter Brandt had already showed the way as he had revived the Prussian socialist tradition alongside a big exhibition about past Prussia in Berlin, the first of the kind that had been set up after 1945 in the German and Prussian capital. Peter Brandt and others, among them Wolfgang Venohr, coined a new left nationalism that was seducing us, in the way that it wasn’t Western-oriented anymore and took into account the former Prussian/Russian alliances of 1813 and during the time Bismarck was in office. They rediscovered also the most interesting figure of Ernst Niekisch, member of the short-lived Soviet republic of Bavaria’s government (1919) and advocate of a German-Russian alliance against the West in the Twenties and Thirties, who was sent to jail in Hitler’s time. Behind the historical recollections that exhibitions, books and essays allowed, there was a thorough political re-orientation: Germany, if it wanted to be reunified as a neutral country in Central Europe just as were Austria since the Treaty of 1955 and Finland since the special agreements with the USSR signed in 1948, had to adopt a non Westernized pattern of thought. In our eyes, the same was true for all Western-European countries.

 

1982-3-4.jpg I was the first in the New Right group to stress the importance of this new drift inEuropean politics, as I was the only reader of Siegfried Bublies’ magazine “Wir selbst”, which was the main platform that had the real will to dispatch and popularize the new ideas. A summary of all the aspects of this important political drift at the very begin of the Eighties was published in the third issue of my magazine “Orientations” and Philippe Marceau, one of the most honest managers in the G.R.E.C.E.-team, invited me in June 1982 to hold a speech at the G.R.E.C.E. internal “Cercle Héraclite” to explain which were the fundamentals of the new German neutralist nationalism. It wasn’t easy to convince people, accustomed to NATO-ideology, to accept the new world view induced by the pacifist and neutralist movement in Germany and elsewhere in Europe.

 

When we started our bulletin “Vouloir”, we decided to transmit regularly information about what happened and was written in Germany in the wake of this renewed trend in international and national policy. We acquired the still sulphurous reputation of being “national-bolsheviks” as we refused to repeat or to take into positive consideration the usual views that the pro-NATO conservatives dispatched in the mainstream media.

 

locchi.jpgAlain de Benoist observed our activities very distrustfully but mostprobably due to the influence of Armin Mohler, who had established guidelines for a genuine European foreign policy in his book “Von rechts gesehen” and said that we had to bet on the “rogue states” in order to free ourselves from American mental colonisation, he accepted our views gradually. The projects for a neutral Mitteleuropa became obsolete as soon as Gorbachev proclaimed his glasnost and perestroika. We were awaiting the peaceful and gradual passage of Eastern Europe and Russia to a more gentle form of socialism, crossed with populist (narodniki) and national bias, cultivating Slavonic roots. This was of course a mistake as nothing like that happened. From 1982 to about 1987, the French New Right remained in a kind of no-man’s-land. The best publication issued in the Eighties was undoubtedly a booklet of Guillaume Faye (85 pages), “L’Occident comme déclin” (“The West as Decay”). Keep in mind the difference with Spengler: Faye doesn’t talk in his book about the decay of Western civilisation but about the West as a decay producing negative force encompassing the whole world.

 

This long essay is certainly the best Faye has ever written. He described the process of Westernization in the all world. The essay is written in the best French, has a considerable intellectual depth and poetic punch: the Westernization of our Planet Earth is equivalent to a dark night in which no one seems to hope anymore for a revival of the pre-Westernized pluralistic world in Europe or elsewhere. But a deep night is never eternal, concludes Faye, as there always will be a new dawn. As the anti-values producing the darkest night cannot subsist in bright daylight, the values of daylight will be completely different and will be ours, as ours are diametrically opposed to the ones producing darkness. Faye: “At the time of the triumphant rise of equalitarianism, of the victorious forward movement of the Last Man’s mentality, a regeneration of the old European consciousness would have been impossible. Today, everything changes. The Last Man is settled in power and he cannot suggest anything else than what is already there. And what exists seems not to be sufficient”. But “the first light of dawn will appear after a long time”.

 

After having read the typescript of this wonderful booklet, Alain de Benoist got into a terrible rage and threw it into the dustbin and forbade the publishing department of the movement to let it be printed. Faye was deeply offended, disappointed and utterly distraught. He expressed his helplessness in front of his comrades from Franche-Comté, who read the typescript and found it of course terrific. One of them, Patrice Sage, decided to finance a first edition of the booklet not under his own name but under the very name of the publishing department of Paris, the so-called “SEPP” (“Société d’Editions, de Presse et de Publicité”), the personnel of which had previously been forbidden by Benoist to publish the typescript. He considered this generous gesture as a “present” to the poor “SEPP”-people, who alleged not to be able to afford the task of printing, publishing and dispatching Faye’s wonderful booklet. In three weeks time, the booklet was completely sold out! I was the only guy in Belgium who could get three copies of it. Our late friend Jean-Marie Simar, who had already published other Faye typescripts like ”Europe et modernité” and “Petit Lexique du Partisan Européen” (now available in an extended English version under the title “Why We Fight”) that had also been thrown pitilessly into the trashcan by furious Prig Benoist, decided generously to finance a new edition. I told him to be careful, as the booklet had not been printed by Faye or by a one of his good friends like Sage, but officially by the SEPP, which had sold the complete bulk without having paid a penny back to Faye. I feared of course that, although the SEPP hadn’t paid a single penny for the printing and hadn’t paid any royalties to Faye, they could nevertheless sue Simar for having reprinted and commercialized a publication of their own. So I travelled to Paris with Simar to let Faye sign a regular contract with Simar’s small publishing department, called “Eurograf”. Ten days later, a new edition of Faye’s “L’Occident comme déclin” was printed. A couple of weeks later, a silly pettifogging lawyer, sent by this two-faced obnoxious miscreant Alain de Benoist, phoned me, accusing me of being the editor of the new edition of Faye’s booklet, because, he said, I was “the man doing everything in Belgium”. I answered: “You probably mean that I am the King… so you must have dialled the wrong number…”. I said that there was a contract between Faye and Simar’s Eurograf; therefore he could only sue Faye for having signed two contracts with two different publishing houses… But as Faye hadn’t actually signed a contract with the SEPP and hadn’t been paid any royalties, he was of course free to sign contracts with others as the law regulating authors’ royalties foresees it in France. Later another lawyer, who admired Faye’s productions, took up his case and dismissed the SEPP’s pettifogging goggled lawyer. This incident shows how contemptible the mentality of Benoist and his fellow travellers is.

 

After this farcical and nonsensical incident, the movement went through a series of crises; first, in 1985, the General Secretary Jean-Claude Cariou, a deeply honest man wholly dedicated to the movement, was sacked simply because he very politely introduced a case asking for a better salary for Faye (who earned at that time 5000 French francs, which was a far too modest salary to live decently in Paris). The forced departure of Cariou let vanish the organisation and the logistics between all the local clubs spread throughout the French territory and abroad. Second, after Cariou’s preposterous and laughable “trial” staged by Benoist’s fellows in pure Vishynsky style, the official Chairman, an international leading specialist of Indian mythology,

 

Jean Varenne, a benevolent and charming university teacher, whose relevant studies were financially supported by the UNESCO, left the movement without a single word in order to stress the deep contempt he felt. Third, Gilbert Sincyr, who replaced Cariou for a while, left the movement in order to prepare a hypothetical rebirth of it. Fourth, Faye left the movement, with the help of his now eternal chum Yann-Ber Tillenon, at the very beginning of 1987, writing to the members of GRECE a too gentle open letter, simply stating that the movement had reached its apex and that times had come to start something new. The second period in the history of the French New Right ended actually in a messy sewer in which Benoist revelled himself.

 

In Belgium, we had our own initiatives completely shielded from all the Parisian circus of hullabaloo and quackery. 1986 was even the best year of “EROE” (“Etudes, Recherches et Orientations Européennes”), the informal movement Jean van der Taelen and I set up in October 1983 in order to organize under one single appellation the series of conferences and speeches we intended to propose to interested people in Belgium. In 1987 we invited Guillaume Faye after he had broken with de Benoist, in order to give us a speech about the so-called “cotton language” (la langue de coton) or tone-downed “newspeak” he had theorized under the pseudonym of Pierre Barbès together with the celebrated French strategist François-Bernard Huyghe. Just one day before the meeting, which had to take place in the prestigious Brussels Hotel “Métropole”, Benoist let a quick-tempered idiot, he had previously stirred up and brainwashed, phone me to dissuade me to have further contacts with Faye. I simply answered that, first, I wasn’t the official organiser of the meeting (it was Rogelio Pete from the GRESPE-group) and, second, I wasn’t interested in personal quarrels fought by temperamental natives abroad, quite far away from Brussels, and that only interesting topics were stimulating me. “The cotton language” was one of them and therefore Pete, van der Taelen and I had invited Faye to talk about it. I had no other comments to utter, I said, and hung up.

 

The two years that followed after Faye’s departure were a kind of desert crossing for the GRECE-movement. In June 1988, I received a letter from a young lad called Charles Champetier, who wanted to purchase a complete collection of the magazines I had published (“Orientations” and “Vouloir”) till then. I immediately phoned him and we decided to see each other at a rally organized by Swiss friends some weeks later at the occasion of the Swiss national celebration, during which traditionally people light up bonfires on hills or mountain tops to commemorate the foundation act of the Swiss Confederation, i. e. the celebrated Rütli Oath. Champetier was only 18 at that time, had just been married to a sweet 16-years old girl he had met some months before at a bazaar fair and had already a beautiful baby son. We had a long conversation in Switzerland and we took the decision to meet each other in September or October in Brussels to see what could be done in the now scattered movement. Champetier published at that time a modest bulletin, whose title was “Idées” and which popularized the core ideas the GRECE had spread at the very beginning of its existence. In Brussels, he suggested to become himself a member of GRECE in order to give a new start to a movement that he admired so much: I answered that it might be a good step forward but I duly warned him that after the so many quarrels fought during the last four years the movement had become a “panier à crabes” (“a crabs’ basket”), where they all were constantly trying to cheat each other under the supervision of the cretinous twit having a voice like a foghorn, who had organised Cariou’s trial in 1985 and whom I nicknamed “Vlanparterre” (= “Wham! Again on the floor!”). Back in Paris young Charles asked to become a member of the then derelict club around moaning Prig Benoist and his barking wiseass Vlanparterre. So a new era started in the history of the core movement of the French New Right. We can call it the Champetier Era or the third period in the history of French New Right. It lasted twelve years, from the end of 1988 to the year 2000.
 
Champetier rightly thought that the movement needed a full refurbishing, that the core ideas had to be thought again according to new fruitful trends in philosophy (the so-called postmodernity) and sociology (the anti-utilitarian movement in economics and sociology, that had been discovered by Sampieru five or six years before). His first model was Marinetti’s Italian futurism, which had the will to sweep the world of thoughts and art from all the petty, useless and preposterous pseudo-embellishments the Biedermeier or bourgeois mentality of the 19th Century had added to Italian and European culture in general. Along similar lines, Champetier wanted to get rid of some boring ritornellos (“ritournelles”) of the movement’s old guard and to wipe out of European culture all the ideological rests of a broadly bad understood Enlightenment.

 

9783050045337.jpgHe invited me in June 1989 to talk about postmodernity, not in the usual way that prevailed in the end, i. e. the postmodern trend that leads downhill to more vulgar permissiveness and degenerated festivism (Philippe Muray), but in a way that had been suggested by the real and true old guru of the European New Right, who was Dr.Armin Mohler; he had read an excellent book on postmodernity, the only one I find worth reading on this topic even after so many years: Wolfgang Welsch’ “Unsere postmoderne Moderne” (“Our Postmodern Modernity”), published in 1988. In a didactical short essay in Caspar von Schrenck-Notzing’s magazine “Criticon”, Mohler delineated the reasons, our own reasons, to believe that postmodernity meant simultaneously the end of the eudemonist Enlightenment’s projects and febrile political schemes that had lead Europe politically and biologically to decay. Postmodernity meant going beyond the modern general project, as many avant-garde artists like for instance the dadaists and surrealists as well as the new traditionalists (like Guénon and Evola) wanted to surpass modern times. Ten months later, Champetier organised a conference about futurism, to which he invited Jean-Marc Vivenza and late philosopher and alpinist Omar Vecchio (who died some ten years later climbing a high peak in the Himalayas). Champetier gave also a new punch to the good habit to organise Summer Courses, that had been abandoned in 1987 and 1988. He created a kind of substructure called “Nouvelle Droite Jeunesse” (NDJ or “New Right Youth”), which attracted some new people and launched a new dynamic.

 

During three years I participated to the activities dynamically promoted by Champetier and was happy that things were still going on despite the departure of Faye. These happy times lasted till 1992. During these three years I committed, without being really conscious of it, an all array of terrible frightful sins. I did too much. I met too many people. I talked to a lot of old friends, who could have been seduced by my way of working and could perhaps think of financing my activities... I was reproached three articles: the one on Welsch’ book on postmodernity, an article asking to investigate the case of French Right (“Il faut instruire le procès des droites”) and the script of my speech in Italy during a conference set up in February 1991 by Dr. Marco Tarchi and Dr. Alessandro Campi in Perugia. I was also blamed for having written several articles in Michel Schneider’s new magazine “Nationalisme & République”, as, of course, I had been forbidden to write again for “Nouvelle école” and “Eléments”, two game areas reserved in all exclusiveness for the personal essays of Big Prig Guru and for the good boys who obsequiously and childishly venerated him. And worst of all other sins, I had been hired by Prof. Jean-François Mattéi to cooperate in a Presses Universitaires de France’s project to publish an “Encyclopédie des Oeuvres philosophiques”; my task was to write short didactical essays and establish bibliographies on mainly German Romantic or Conservative philosophers and on geopoliticians (as the scope was at that time to broaden the area of “philosophicité” and to include some non philosophers in the formerly exclusive realm of pure philosophy). Big Prig Guru was in rage because he personally hadn’t been hired by Prof. Mattéi simply because he couldn’t be hired as he has no diploma at all neither of a secondary school nor of a university. This doesn’t mean anything essential as so many educated idiots circulate around the world but for a University foundation such as the venerable PUF a sheepskin is inevitably compulsory.

 

brylcreem rood 150ml 2.25.jpgSince the very day he heard about it, he started to hate me from the deepest corners of his nicotinized guts, like he most probably had hated in the same way many other guys before, as Locchi or Faye. The effects of this hatred was of course more funny than tragic. When I paid my monthly visits to Paris after the PUF incident, I could immediately notice a changing of attitude by Charles Champetier and by a newcomer, Arnaud Guyot-Jeannin (nicknamed “Jeannot Toto-Lapin”), a funny-looking Brylcreemguy, who hadn’t obviously benefited from a real school education and was permanently uttering slogans and blueprints in a Frenchy arrogant authoritarian sharp abrupt voice but with a good measure of anxious nervousness, that was impossible for him to conceal, and with trembling and soggy hands, all features which would have made of him a good character for a Louis de Funès’ film. Champetier and Toto-Lapin were friendly at the beginning but as their brainwashing was going on with huge portions of venomous gossip, they lost, the poor, all humour and, worst of all, smiles were wiped out from their young still adolescent faces. During the short meetings in Parisian cafés, I had the impression to meet angry taxmen or atrabilious inspectors of I don’t know what. I used to dispatch during such informal meetings the new issues of “Vouloir” or “Orientations”: these were certainly welcomed till begin 1991 but afterwards, they all sulked when I handed over the issues. I remember one day Champetier saying in a low disregarding voice, “again an article on geopolitics – geopolitics doesn’t exist…”. And I answered: “Well, my dear, you may of course say that politics, in the usual trivial sense of the word (and not “the political” in the sense coined by Carl Schmitt and Julien Freund), is irrelevant but if you say that “geo”, id est“Gaia”, the Greek goddess symbolizing our good old Earth, doesn’t exist, it would mean that you are in a permanent state of levitation, what I can observe in a certain way in your behaviour and read in your scriptures…”. Spoilt sour by his Master’s gossip as he had become, Champetier was upset by my ironical answer and started in his turn to cultivate a dark kind of Tshandala’s hatred and rancorous resentment against my poor naturally easy-going person.
 
Some weeks after this short but significant incident, I once more sat together with Philippe-Nicolas Bresnu just before lunchtime at a nice Parisian terrasse for the same purpose of dispatching the magazines and Toto-Lapin came half a hour later to have the noon meal with us and to pick up the publications. He was very angry, ill-willy, and looked at us with big disapproving eyes, even before we had uttered a single word, and suddenly after some nonsensical and low-voiced babbled sentences, he shouted in the middle of the pub, next to the astonished other guests, “Alain de Benoist is the greatest philosopher of the 20th Century!”. “Maybe” answered Bresnu ironically, “but what about Heidegger then…?”. Toto-Lapin: “He has only paved the way for Alain de Benoist…”. We both burst out laughing and Toto-Lapin’s rage become even more funny as he repeated mechanically like a clockwork parrot what he had asserted while a poor fly landed on a tuft of hair on his forehead and couldn’t fly away anymore, as the frail insect was glued in the thick lay of gomina argentina our Benoistian superfreak conscientiously smeared his hair with every morning before leaving his luxury flat of the well-off suburb of Neuilly.

 

More and more nervous, Toto-Lapin went ahead shouting his usual nonsense as the fly was flapping its wings in a desperateattempt to leave the messy gum in which its many legs were perilously locked up. All the utterances of Toto-Lapin were punctuated by the buzzing noise of the poor bogged bug’s wings.

 

 

 

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Bresnu, many others and myself thought it was high time to leave this ambulant lunatic asylum, where no sensible conversation was possible and where no clever and witty guys could be found anymore, except if you would have got the idea of setting up a vaudeville or a remake of Molière’s “Précieuses ridicules”. The definite break took place in December 1992, as I explained it previously in this interview. So the third period in the history of the French New Right continued till the thankless and ungrateful thrust out of poor zealot Champetier himself at the end of the year 2000, after his twelve long years of loyal duty, more, after having sacrificed his best youth years for the worshipping service of his Master (he had written just before his eviction: “No, no, He’s not my Master, He is my friend, my Marx” – besides, why Marx? And not Christ? Or was Champetier at that time of his young years cut out to be a new Lenin?). Champetier started a new career in some scientific magazines (like “Bio-Sciences”), dealing with the popularization of biological thought, in a kind of organic futurist perspective, which was absolutely not preposterous and potentially fruitful. This hidden life of post-New Right Champetier lasted till 2005-2006; after this period of independent autonomous metapolitical action, he worked professionally together with another former collaborator of Benoist, who had also left the movement, despite a key position he had held in the journal “Krisis”, also lead by Benoist since the end of the Eighties. Champetier had hoped that “Eléments” would have supported his new post-Grecist activities by commenting or reviewing his articles or essays. Not a single word was ever printed in Benoist’s magazines to help promoting Champetier’s editorial or internet activities after his departure: another proof that Chief Prig is a real malevolent and ungrateful bloke.

 

From the very day Champetier left the “cockpit” of the GRECE-movement, we can talk about a fourth period, the Post-Champetierite era, around the sole egomania of the “lider ridiculo”. The start of a fifth period could possibly be stated since the end of 2010, when things were taken over by an apparently intelligent young fellow, Pascal Eysseric, who, according to some rumours, would have Russian roots. The issues of “Eléments” under his supervision seem to be better balanced, even if they have now absolutely no impact on the “French Intellectual Landscape” (= “PIF or “Paysage Intellectuel Français”). But wait and see: how long will this apparently clever guy be able to serve in Benoist’s scaramouch troop? Is a plot against him already fabricated behind the stage by bad old geek Vlanparterre? Will he sacrifice twelve years of his healthy and vigorous youth, like the former yesman Champetier, before being pitilessly fired? When will he write down the excellent essay that will make Chief Prig angry and rancorous? The problem with efficient young managers is that they mostly ignore the sad past of a club or a company when they take it over, thinking that they are going to heal it from a transient disease, that is in fact not temporary but chronic with outbursts after apparent respites like by a patient suffering from malaria.

 

During the Champetier’s era, Pierre Vial founded the “Terre & Peuple” club in the Nineties, that in its initial phases was ruled like a kind of think tank within Le Pen’s “Front National”. As we weren’t French citizens and as we didn’t want to start a political movement in Belgium akin to the French FN or to become the representatives of a party being dominantly of “Old Right” signature, we didn’t join nor pay any attention to it. It’s only after the break between Vial and Le Pen that we started to be more interested in this new initiative born out of Vial’s mind, another historical figure of the French New Right. We all must admit now that “Terre & Peuple” has reached its full maturity, by publishing excellent articles about American imperialism and about globalization and plutocracy. Nowadays as a regularly published magazine, that you can buy at any newsagent’s shop as well in France as in Belgium, you only have Dominique Venner’s “Nouvelle Revue d’Histoire”. On the other hand, the people having founded the “Club de l’Horloge” in 1977-1978 run now under the supervision of Jean-Yves Le Gallou a very interesting website: http://www.polemia.com/. Yvan Blot too, a former leading figure of the “Club de l’Horloge”, runs several websites from which you can download interesting articles interpreting European political history according to the general Ancient Greek guidelines coined 500 years B.C. at the so-called “Axis period” of history (the phrase “Axis period” —Achsenzeit— was coined by the German philosopher Karl Jaspers and has been resumed nowadays by the Irish-British historian of religion Karen Armstrong, who developed and broadened the idea in her excellent book “The Great Transformation”; Dr. Armin Mohler called the German “Konservative Revolution” a kind of “Axis Time” in the history of European political thought as it had been influenced by Nietzsche during the decades between 1890 and 1930.

 

It’s nevertheless a pity that the core movement that started the “New Right” as such in France isn’t manned anymore by younger people of several generations having been recruited during the four or five decades of the history of the movement. All younger people have been ruled out, and the new young people will inevitably be ruled out when time will come, a deeply diseased system which will condemn the movement to a silent disappearing within the next fifteen years. Pascal Eysseric won’t be able of course to find back all those who have been kicked out and won’t be able either to recruit a sufficient mass of new people as the mainstream media keep now totally silent about the core group of New Right in France.

 

Let us now examine the “New Right” initiatives outside France. In Germany, when I started to investigate the scene, it was dominated by three giant figures: Armin Mohler (former secretary of Ernst Jünger), Baron Caspar von Schrenck-Notzing (editor of “Criticon”) and Gerd-Klaus Kaltenbrunner. Mohler wrote for “Criticon”, which was a magazine devoted to all possible currents in the so-called German conservative stream and in which Mohler could take a third of all pages to set out his ideas of an “existentialist-vitalist” New Right that wasn’t exactly on the same line as the bio-humanist views explained by Günther Bartsch. Kaltenbrunner wrote especially biographies and thematic essays for widespread collections of small books like “Herderbücherei Initiative”. Later, Kaltenbrunner’s essays were published in many different volumes. Next to these three giant figures, we had the Hamburg group around the simply produced magazine “Junges Forum” of Heinz-Dieter Hansen, mainly interested in people’s liberation movements in Western and Eastern Europe. In Munich, Hans-Dieter Sander published “Staatsbriefe”, with lots of articles about Russia from Wolfgang Strauss, before this former Gulag’s convict ceased all activities due to age and illness. In Northern Germany, Bernhard Wintzek published the monthly “Mut” with many articles of Gerd-Klaus Kaltenbrunner. During the two last decades, Dieter Stein, who at the very beginning of his career, published a small DINA5-bulletin in a small town in South-Western Germany, managed to develop it at giant scale and so to create the now prestigious weekly paper “Junge Freiheit” based in Berlin. To replace “Criticon” after the passing away of Baron Caspar von Schrenck-Notzing, the historian and theologian Dr. Karlheinz Weissmann, author of many interesting books around the so-called “Konservative Revolution” or around several other historical topics, launched the new high level magazine “Sezession”, together with a former officer of the scout armoured cars of the West-German army, Götz Kubitschek, and his wife Ellen Kositza. Their activities are coordinated by an “Institut für Staatspolitik”, organising one or two prestigious courses and conferences each year. There are also many other activities in Germany, especially the publication of many books around topics linked to the wide realm of “conservative-revolutionnist” ideas.

 

In Austria the many activities were of course linked to the German scene but the magazine of the Students’ “Burschenschaften”, “Aula”, gives us still a more genuine Austrian view on the usual topics. It is mainly through the Students’ movement that we got in touch with Austrian friends. A group of them came each time we organized seminars in the Flemish village of Munkzwalm. Genuine friendship was born. Then a group around Jürgen Hatzenbichler came to the French Summer courses in Roquefavour. Hatzenbichler, together with Selena Wolf, had created the small magazine “Identität”, in which ideas of the New Right were spread. Hatzenbichler unfortunately changed his mind and became a leftist activist; I cannot explain which were his motivations for such a switch as I lost all tracks of this very sympathetic young man, who explained me during our last phone conversation that he could observe from the window of his study a short but heavy fight along the Austrian-Yugoslavian border in 1992: a tank of the Federal Yugoslavian Army attacked a customs office held by Slovenian militiamen, who fired antitank rockets as retaliation, causing the complete destruction of the small building.

 

me.pngIn this duty free customs office, Hatzenbichler used to buy his cigarettes every day. Due to the successes of the national-liberal party first lead by Jörg Haider and later by Hans-Christian Strache the Austrian scene became much more politicized than elsewhere in Western Europe. Most activities take place around the weekly paper “zur Zeit”, which was at the beginning an Austrian version of Stein’s “Junge Freiheit”. The magazine is now lead by Andreas Mölzer, an elected Member of the European Parliament. To be complete we also have to mention the excellent magazine “Neue Ordnung” published by Mag. Wolfgang Dvorak-Stocker, leader of the well-known publishing house “Stocker Verlag”. Due to the fact that Austria has been officially a neutral country since the Treaty of 1955, the views expressed by their publications are not Atlanticist but genuinely European and “neutral”, which could be a model for similar Western political parties. Till yet it has not been the case.

 

In Italy you had and still have a well working “New Right” club under the leading of Dr. Marco Tarchi, a political scientist from Firenze. Even if he would deny it now, as he became some years ago a distinguished and established professor, Tarchi owns his genuine way of working to the political activist Pino Rauti, who died at the end of 2012.

 

Rauti had volunteered in Mussolini’s Social Republican Army, was taken prisoner in Northern Italy after the German-Italian collapse in Spring 1945, almost escaped being shot by communist partisans when British paratroopers evacuated the Fascist prisoners, sent them subsequently to camps in French Northern Africa in order to select a good deal of them who could be eventually sent to Australia to be settled in the Western half desertified regions around the present-day town of Perth. Once liberated, Rauti and two friends, who didn’t want to settle in the hottest, driest and snakes infected regions of British Australia, reached Rome where they sang too loudly some patriotic songs in the streets, songs of the RSI that had of course be banned by the new government. They were sent for a couple of weeks to the Maria Coeli jail, where they found books of Julius Evola: the three fresh liberated RSI-Army comrades were immediately fascinated by the philosopher’s ideas and decided on the spot to pay a visit to him, once they would leave the Maria Coeli clink. When they rang the bell at Evola’s door along the Corso Vittorio Emmanuele, the Austrian servant told them that her master was still being cured in a hospital in Bologna, after a wall crumbled down and broke his spine during the siege of the Imperial City of Vienna by Soviet troops, making a cripple of the gallant former officer, alpinist and diplomat. They immediately rushed to Bologna and when they arrived, Evola had been sent back to his home in Rome. Finally they decided to resume political and metapolitical activities, a decision that lead, at least for Rauti to the foundation of the movement “Ordine Nuovo” in the Fifties (which was banned and sued by the Italian State) and later the weekly paper “Linea”. We received copies of “Linea” in Brussels and I could, as a very young man, observe that the cultural pages of the paper were indeed of the highest possible quality.

 

Tarchi belonged obviously to the Rauti’s branch of the so-called “Italian Social Movement” and decided first to develop more genuinely the satirical press of the movement and the metapolitical activities within its frames. By publishing the really “politically incorrect” satirical magazine “La Voce della fogna” (“The Sewer’s Voice”), Tarchi attracted the more radical activists. It was the “Sewer’s Voice” simply because the French artist and activist Jack Marchal created the famous comic figures of the

 

“Black Rats”, dwelling in sewers, after having imitated the Belgian anti-fascist cartoonist Raymond Macherot who created bad guys characters in the shape of angry rats, also dwelling in underground drains. Marchal’s “Black Rats” became a craze among “radical right” groups in the late Seventies and Tarchi adopted them and introduced these characters in his “Voce della fogna”, so that almost every staunch right-wing activist identified with the sinister and giggling “Black Rats” (a Swiss equivalent of “La Voce della fogna” was also published in Geneva under the title “Le Rat Noir”). But by starting his highly learned magazine for book reviews and philosophical comments, “Diorama letterario”, he attracted also the best intellectuals. “Diorama letterario” as well as “Trasgressioni” (with deep-thought essays) are still published in Italy nowadays. If there is a person incarnating “New Right” in its best form in Europe, it is undoubtedly Tarchi, as he is a genuine political scientist of high level, duly acknowledged by academic caucuses, whose studies are penetrating and extensive. More, Tarchi’s printed productions are the only ones in the New Right realm to appear regularly, just like Venner’s “Nouvelle revue d’histoire”. The Italian New Right, under the supervision of Tarchi, is a well-oiled machine: if the trains arrived on time in Mussolini’s Fascist State, publications are similarly issued in time in Tarchi’s own “New Right” preserve. The exact contrary of Prig Benoist’s and Vlanparterre’s erratic publishing policy in Paris.

 

But there is something pitiful in Tarchi’s person and activities: he is totally under the silly influence of Benoist, although he is a far more brilliant thinker and analyst and also a better manager of his publishing house. He surely belongs to an Italian tradition in political sciences, early born in the 16th century with Machiavelli and perpetuated by other high figures like Mosca or Pareto. When Tarchi worked in tandem with another political scientist from his home City of Firenze, Dr. Alessandro Campi, and when they published together the seven or eight wonderful issues of “Futuro Presente” —a perfect clone journal of Benoist’s “Nouvelle école”, what concerns the lay-out at least, the rest of the essays printed were genuinely original— they really reached an apex in the history of the Italian New Right. I take the opportunity here to thank once again Dr. Tarchi for the excellent and accurate translations he made of my own texts and those of my friends, and that appeared till 1993 in “Diorama letterario” or “Trasgressioni”.

 

But now I feel compelled to add some “venenum in cauda” in order to remain fully objective in my narration of the New Right avatars. I’ve just said that I considered and still consider Tarchi as far more brilliant than Benoist, so that I cannot understand his slavish submission in front of his Parisian shabby master. When I decided to leave definitively the GRECE-movement end 1992, I received some weeks later a furious, stupid and childish letter from Dr. Campi, who didn’t really know me personally, accusing me of being something like a naughty heretic for having had a cheek to abandon Prig Benoist and for allegedly plotting against the Lord of the New Right flies (maybe those very bugs that are attracted by Toto-Lapin’s gomina argentina…).

 

 

Therefore, in the paranoid crazy logic of the sectarian Benoist’s fan club, I had to be punished: I won’t receive review copies of “Diorama letterario” and “Trasgressioni” anymore and my articles as well as all the ones that I translated from German or from Dutch wouldn’t be translated into Italian anymore; and I was also forbidden to translate Tarchi’s or Campi’s articles. Obeying like a good drilled mutt, the prick-and-boobs trash creams seller from Antwerp, about whom I’m going to talk next, did exactly the same but without writing a letter… The old Flemish dumbbellified wacko knew pretty well that I could have translated and published it with the best polished sarcastic comments. Campi and Tarchi were in fact shooting in their own feet: no one in the Benoist’s silly small club was ever able to translate their own texts and their Italian readers were from then on definitively bereft of articles from Germany or elsewhere and subsequently fed up like fattened up geese, whose fat liver is a real “délicatesse” (with onion jam!), with Benoist’s and Champetier’s abstruse productions, which are of course inedible. Of the considerable amount of reviews, articles and essays of Tarchi, only one short interview of him was taken over and printed in an issue of Benoist’s “Eléments” and that single poor miserable translation was made in a period of more than twenty years! That’s what happens when you recruit tinkers, umbrellas’ repairers, parrots’ breeders, Parisian slappers who wipe the stinking shit off their babies’ bottom at the back of the conference room while Benoist and Champetier are explaining their sophisticated strategies in front of the assembled members!

 

Tarchi is obviously a high learned man, whose deep knowledge in political sciences I respect, but I must objectively add that he behaves nevertheless in a quite bizarre way in everyday life. Always dressed up with a sad lightless blue blazer and a white shirt, never forgetting his eternal dark and dull tie, he looks really like a stuffed up unbearable egghead or as a lugubrious funeral director. These outfits of him are worn in all circumstances, even in the hottest Mediterranean summers. One day, I decided with some other participants to the 1990 summer course in Provence to have a walk in the mountains surrounding the mansion, where we stayed, in order to catch a glimpse at the superstructure of the fantastic aqueduct that you can find at the back of the mansion’s park and to climb high enough along small stony paths to be able to see the celebrated “Montagne Sainte Victoire” near Aix-en-Provence and the blue water of the Mediterranean. To be able to perform this rather easy sports activity, you need of course to wear some comfortable casuals and shoes and have a solid canvas belt to fix your water flask, as you cannot walk under the hot sun of August in Provence without taking some water with you.

 

180px-Gourde_de_l'armée_française.pngTarchi was upset and scandalized to see me in casuals (i. e. a mustard-yellow T-shirt and linen trousers!) and with a water flask! Hemade me some disapproving remarks in a 19th Century schoolmaster’s tone, adding that I looked too “military”, because of the flask (which was nevertheless very “civilian”-looking) and because of the canvas and sack-cloth boots of sand colour. From then on, after having shortly observed the sweat-drenched white shirt and the ugly rumpled tie of our dear Italian professor and after having stated once more his poor derelict appearance of a weak puny little thing, who was unable to understand our Zarathustra’s desire to climb higher and higher, I got the conviction that some screws were loose in his professor’s skull and that he had definitively a monotonously buzzing bee in his bonnet. Since January 1993, I have never heard of him anymore. Poor chap! Reality for him is quite narrow, just reduced to library walls, and beautiful nature and landscapes are banned from his dreary existence. His lungs are only breathing books dust (according to some visitors, his books are among his toys and his childhood’s Mickey Mouse/Topolino dolls in his parents’ house, where he still lived in the early Nineties…) and not, for instance, the wonderful lavender smell of the Provençal countryside.

 

In Spain many activities took place firstly under the supervision of journalist and author J. J. Esparza, who founded the journals “Punto y Coma” and “Hesperides”, together with a group of other comrades. These journals were all excellent and I let translate some of the most brilliant articles for my own publications. J. J. Esparza is a celebrity now in Spain as he is the author of two best-sellers: “La gran aventura del Reino de Asturias – Así empezó la Reconquista” (Esfera de los libros, Madrid, 2010) and “Moros y Cristianos – La gran aventura de la España medieval” (Esfera de los libros, Madrid, 2011). These two books are now the myth giving texts to remember all Spaniards the very core of their history, i. e. a strong will to resist and survive, even against a giant power as the Muslim world was one in the 8th and 9th centuries: history is born out of the spirit of people who never capitulate. Esparza didn’t follow the bad path some of the French New Rightists took in venerating everything that is Non European or Muslim while developing a kind of self-hate or “oikophobia”, as it is said now to stigmatize this attitude among European politicians to invent laws and rules to

 

 

 

crush patriots or to forbid or limit the celebration of European festivals like Christmas or Carnival because this could offend people having one day come from all possible alien continents. Simultaneously the same politicians spend huge amount of the taxpayers’ money to stimulate the celebration of the most strange and weird festivals of foreign folks or to sponsor new ridiculous festivities among which you can include the well-known “Gay Prides” that Serbians and Russians loath in the name of Orthodox decency. Among all those who were active in the frame of the old New Right of the Eighties, Esparza didn’t become an “oikophobic” traitor like many others. Esparza wrote also books to criticize the domination of television in the Western way of life (“Informe sobre la televisión – El invento del Maligno”, Criterio Libros, Madrid, 2001). He participated also to collective initiatives aiming at destroying the persistent myths of the Spanish and international Left, that were born during the Spanish Civil War of 1936-1939 and are still conveyed by the present-day left, which they now call the “Zapaterismo”. In this respect, Esparza was the editor of “El libro negro de la izquierda española” (Chronica, Madrid, 2011; “The Black Book of the Spanish Left”). As a brilliant hispanist, you should take all those ideas and books into consideration if you want to develop an original Russian New Right. Esparza’s life is the true story of a metapolitical success.

 

During the nine months I worked in Paris as a secretary of “Nouvelle école”, I had quite often the pleasure to meet for dinner Jaime Nogueira Pinto, who was the editor of “Futuro Presente”. After my stay in Paris, I’ve never heard of him anymore, what I regret it sincerely. Later, a Portuguese group belonged to “Synergies Européennes”, participated actively to all summer courses and published a magazine “Sinergeias Europeias”, before founding a publishing house in Lisbon. Nowadays the former leader of the “Terre & Peuple” antenna in Portugal, Mr. Duarte Branquino, runs a popular satirical paper “O Diabo”, that you can find at every newsagent’s shop in Portugal, and  animates  several websites like “Pena e Espada”  while other animate another important site “Legio Victrix”, which posts many  translation from French, Spanish, Italian and English.

 

Two weeks before I left Brussels to go to Paris to work for “Nouvelle école” in March 1981, I had received a letter from Michael Walker who was about to launch his magazine “The Scorpion” the first issues had as title the “National  Democrat”). Walker was living in Berlin at that time and earned his life as an English teacher by Berlitz. Next to a Canadian friend, Paul Thomson, he was the very first man to pay me a visit at my new office in Paris. We immediately planned common activities and I participated several times, even once as the chairman, to his annual conferences in London. Michael with some friends of him had founded a club called IONA, which was quite active in the British capital in the Eighties. He and his friends came also to Brussels or elsewhere in Belgium to address meetings and I had often the opportunity to meet him in France too. After I left Benoist’s Parisian circus, I learned one hot summer day about a stay of Michael Walker in the Provençal mansion where the movement’s members regularly met. Flemish and French friends, who told me about everything that happened there during the summer courses, told me Michael had had a lot of fun during his stay over there and described me one of his funniest and most mischievous misadventures. I wanted to talk Michael more about this joyful summer course and to invite him to further activities that I planned for the next autumn. When I phoned, he was very surprised that I knew everything that had happened in Roquefavour during the summer course and he reacted in a quite bizarre way, as no one has ever heard about him in New Right clubs after that… There was absolutely no reason to disappear like that, as Michael did exactly what a German friend of Hatzenbichler did one or two years before. I deeply regret not to hear anything more from Michael. Life is sometimes quite cruel. And as far as I know, “The Scorpion” isn’t published anymore and Michael has no webpage.

 

Personally I wouldn’t say that I actually and mentally belong to the New Right, especially if you mean the French branch of it. I always felt myself as a stranger in their hectic and often pathological surrounding. It is mainly due to the fact that the Belgian and French political and ideological systems are thoroughly different and that you cannot import purely and simply a French system into Belgian reality, be they Flemish or Walloon. I had thought of course that as an atypical and a wilful European movement, at least in its declared intentions, the French New Right could have been a springboard to develop a genuine Paneuropean movement, i. e. a rallying movement for all those who wanted to rediscover and reactivate their deepest roots in all the countries whose populations were from European kinship. I was very often disappointed. I remember having invited in 1982 at my place in Wezembeek-Oppem people from all parts of Belgium as well as the main members from the Lille GRECE-group in order to try to cooperate pragmatically as closely as possible, for instance by organising common conferences, by inviting the same speakers in all of the main cities in Flanders, Wallonia and in the two “départements” of Nord and Pas-de-Calais in order to maximise the impact of the texts producing people we had among us. First, the stupid, stultified and uneducated (at that time… he got a diploma for a quite good end paper two decades later when he was almost 60…) leader of the Flemish group in Antwerp, a clumsy worshipper of Big Prig Benoist, refused to come as he stubbornly refused to be anything else but the true, only and main vicar of his venerated Chief in our provinces, as he claimed he alone had the right —because once upon a time he became a rich man by selling Swedish miracle powders to get wonderful erections or wonder creams to get big boobs— to invite people to common meetings. Second, another totally uneducated tosspot, who also foolishly venerated Big Prig and was officially the head of the Lille “GRECE-regional unit”, wanted to control all the cities where conferences and speeches would have been held in French under the name of “Fédération Nord” of which he would have been the almighty chairman. By saying “Fédération Nord” he upset a representative of the Liège-group, a Walloon university teacher who asked spontaneously an ironical question: “Why a “Fédération Nord”? From which entity are we a Northern part?”. He then said that we could say in Belgium to be a part of the Southern provinces of the former United Kingdom of the Netherlands (1815-1831) or the Far-Western-Middle part of the former Holy Roman Empire of the German Nation or, especially in Liège, the very middle part of the Carolingian core of the early medieval Austrasian entity or a remote province of the Austrian Hapsburg Empire of the 18th Century. But in no case a new “Northern” appendix of a French Republic centred on the City of Paris. This incident will in the aftermath astonish many neutral Flemish observers, accustomed to discover views in the Flemish movement and literature that were opposed to any unique French tutelage: it was a genuine Walloon from Liège —whose direct ancestor survived after having been run over by the Platev’s cossacks the crowd in Verviers acclaimed as the liberators who repelled Napoleon’s troops— who opposed a total French control on the New Right circles in the Low Countries and not the Flemish alleged leader, who slavishly venerated his Parisian master and later retired somewhere in a lost village in France maybe to have more opportunities to kiss his Master’s hands and feet in an act of total devotion. He should have become now an innkeeper in a kind of Gaulish “middle-of-nowhere-hamlet”. Many Flemish nationalist thinkers have complained during almost a century that the common Flemish people often have had in history a slavish mentality in front of French-speaking bosses. This was also true in the main club of the Flemish New Right in the Eighties of the 20th Century, a club exhibiting proudly the GRECE-logo on the front page of all its publications, signalling an actual and total dependence from the initial French club. But the Antwerpian fathead’s refusal to work closely with us prevented the systematic translation of the Dutch texts into French or into other languages: the Dutch and Flemish authors worked subsequently for a narrower audience instead of having the opportunity to participate to a wider discussion forum spread throughout Europe and the world. Narrow brains always produce narrow things.

 

We had decided after this meeting 1) not to become dependent of the Parisian entity, 2) to accept a common New Right initiative only if voices from France, Germany and Italy and from other minor countries were heard equally and benevolently as emanating from a college of pairs and not dominated by the Parisian team around Prig Chief, 3) to reject the appellation of “New Right” as it was totally inadequate in Belgium where the word “right” had completely disappeared from the political vocabulary and had also not very often been used. To judge critically political matters and to suggest new policies like a shadow cabinet would do, the French New Right offered almost no intellectual instruments as Belgian political life is structured in a completely other way. It would have been better to popularize the Italian matters and topics about partitocracy and political corruption as the Italian political stage is more like the Belgian, Austrian and German ones. But the fathead, who sold prick-and-boobs powders and creams in Antwerp, rejected the idea as, you know, he is a kind of Northern Viking genius (his powders and creams were Swedish, weren’t they?), even if he has only the poor narrow shoulders and the half beard without moustache of a derelict Mennonite clergyman (so that he couldn’t defend himself, just one day before his second wedding party, when he came out of a shop selling cheap china dishes…); he would have lost his imaginary rank and title and his alleged “Northerness” if he would have read, translated and dispatched mean Italian/Latin texts and books. The result of this cretinous behaviour is that the Flemish political identitarian movements and parties, that got lots of votes in the Nineties and till 2004, were never really prepared on intellectual level to face the dominating partitocracy and couldn’t crack it as Berlusconi (Forza Italia), Fini (Allianza Nazionale) and Bossi (Lega Nord) did it partly with the assent of a good deal of the population in the Nineties in Italy (the operation “Clean Hands” or “Mani pulite”). The new Italian triumvirate of the early Nineties could achieve the job and largely discredit patritocracy because they had behind themselves teams of political scientists perfectly drilled in thoroughly criticizing a corrupt plural partitocracy and able to suggest practical solutions (see Gianfranco Miglio’s book “Come cambiare” that I let summarize for “Vouloir” in January 1993). One more metapolitical struggle that has been lost by the historical “benoistian” New Right…

 

So, if you consider yourself to be members of a imaginary world movement called “New Right” or not, I don’t really care. The important thing for you is to start a revival of the Narodniki ideas in an actualized way and to remember that the phrase “conservative revolution” was first coined in Russia by Youri Samarin and F. Dmitriev in 1875 in a short essay “Revoliutsionny konservatism”. Before this essay was written, the phrases “conservative revolution” or “revolutionist conservatism” in Germany had only been quoted without having been properly defined. It’s up to you to table on this very Russian heritage. Besides, one should never forget this sentence once written by Dieter Stein: “The notion of ‘New Right’ can arbitrarily be filled by any possible contents, can be stretched or slackened in all possible directions like chewing gum, so that malevolent people can suspect (of “fascism” or of any other odd feelings) everything and/or everyone linked at random to it” (“Auflösung eines Begriffs”, in: “Junge Freiheit”, nr. 30/2003).

 

Do you consider Alain de Benoist as belonging to the New Right or to the New Left? Explain your answer…

 

Well, he belongs historically and obviously to the New Right as he is generally considered as one of the main founding fathers of the movement or as the sole representative of it after all the memorable quarrels that tarnished the four or five decades long history of the movement. But all know that Benoist is unhappy with the appellation of “New Right”, that was first given to his movement by the French weekly magazine “Le Nouvel Observateur” in 1979, as malevolent journalists often equate “New Right” and “Extreme Right” or even “Fascism”, in order to wipe out all the potential innovations that a reappraisal of repressed or forgotten ideas would soon arouse and subsequently suggest other solutions to present-day affairs. In the French context, the purpose was of course to prevent the emerging of any possible challenging intellectual club, that could possibly ruin the established metapolitcal power acquired by the “nouveaux philosophes” in all the French mainstream medias. These “nouveaux philosophes” around people like Bernard-Henri Lévy or André Glucksmann were certainly former leftists or even Maoist thinkers or Trotskite intellectuals and had therefore a genuine “left” label, even if they never cared really about the actual problems of the French working class; they developed during the four last decades a kind of new ideological blend made of

 

1)     anti-communism (by communism they meant the USSR as a state and a superpower —a “panzercommunist” main power on the chessboard as they used to say— and the French PCF as a possible anti-American force next to the nationalist Gaullists) and of

 

2)     American neo-conservatism, exactly as the current neo-cons in the United States were in former times mainly Trotskite intellectuals of the East Coast who turned conservative shortly before Reagan took over power in Washington D.C.

 

The dominant ideology in the West, exported by the many NGO’s everywhere in the world, is now this very mix of

 

1)     disguised Trotskite revolutionism (where the “permanent war” waged in the area of the “Great Middle East” and elsewehre replaces the hoped “permanent world revolution” coined in the Thirties by Trotsky), of

 

2)     neo-conservatism, of

 

3)     anti-communism, of

 

4)     neo-liberalism as the most useful and efficient tool to globalize the world economy and of

 

5)     left-overs of the typical religious puritanism of the protestant “dissidents” of 17th Century British zealots expelled from England and sent on ships like the Mayflower to America to found there a “New Jerusalem” according to their cock-and-bull Biblical views. 

 

This puritanical protestantism remains the core ideology of the United States (what some observers call the “American theocracy”) and are responsible for all the eager fanaticism under “democratic” or “liberal” disguises that the US produced during recent history and that outbalanced the traditional way of practicing diplomacy. It also explains why the United States are the best allies of the worst Wahhabite islamists in parts of the world like Libya, Chechnya or Syria. There is a global plot of all the most obscure fundamentalists against all normal political conditions in the world, as they have been derived from Aristoteles’ philosophy in the Catholic, Byzantine-Orthodox and Islamic (Ottomanic and Persian) civilisational realms. Against Aristotelician political and pagan realism, Puritans of dissident Protestant provenience, Wahhabite Muslims, Jewish zealots and Trotskite chaotic revolutionnists are constantly rebelling, creating permanently instability on the world chessboard that should according to Kissinger, Brzezinski or the Clintons (wife and husband) be totally turned upside down.

 

In front of this mainstream new dominant ideology in France, the pseudo-rational purpose of de Benoist is to avoid being labeled a “Fascist” or being accused of supporting in a way or another Le Pen’s National Front so that he could be accepted as a full legitimated partner in fake pluralist debates in the press or on television, where he would play the role of a gentle “non-conformist” who could perhaps lightlyspice the controversial discussions: to say it in a nutshell, Mr. “Nouvelle droite” would like to be considered in Paris intellectual clubs as a mere pinch of soft mustard.
 

 

amora-moutarde-douce-flacon-souple-260-g-.jpgHe simply longs for being on the stage again, the very stage from which he was expelled in December 1981 by the future winners in the metapolitical game. In this sense he is very naive as the kind of people now in power, and controlling tightly the media-ruled “soft power”, will never be ready to leave him even an extremely reduced room to express his views. It is for such a flimsy and unachievable ambition —being a mere pinch of soft mustard in the dreary meal boiled in the hotchpotched kitchen of the narrow-minded French media world— that he has betrayed many of his old friends like Guillaume Faye and that he refuses to discuss objectively the problems arousing from mass immigration and, subsequently, by a rampant islamization in big Cities (and as an odd-thought population demographical graft, a “chaotization” in large urban areas within the main states and civilizational realms considered since President Carter as mere “aliens audiences” areas, even if they are theoretically good “allies”).

 

As you cannot find the magazine “Eléments” anymore since at least twenty years in Belgian newsagents’ shops, I have to buy my copies in France when I travel in some parts of this neighbor country. In November 2010 I found a copy of the then last issue in Nancy, where my wife likes to have a delicious cup of coffee on the celebrated “Place Stanislas” and to do some shopping. I unfortunately lost this issue somewhere during the rest of my travel through France, Switzerland and Germany (I visited Heidegger’s favorite holiday place in Todtnauberg where this world famous Black Forest philosopher wrote a good deal of his books). In this issue, Stuffed Shirt Alain de Benoist tried to demonstrate that the “New Right” was in fact the real “New Left” and the true inheritor of Marx’ ideas as well as the devoted intellectual protector of the masses of African and Muslim immigrants against the centralization and assimilation efforts of the alleged “xenophobic” French State’s system, while the “New Left” was genuinely a neo-conservative islamophobe movement or had become gradually such a faction, due to the blend first with “Reaganism” and second with neo-conservatism under Bush Senior and Bush Junior and maybe also with the Zionist Likud ideology. His old silly chum Michel Marmin, in the same issue, asserted that the New Right, somehow contrary to Maurras’ views at the beginning of the 20th Century, was a movement inspired by Immanuel Kant (and why not by Mother Theresa from Calcutta or Father Christmas from a heavens’ portion above Lapland...?).

 

The exercise of proving that Left is Right and vice-versa could be very entertaining and philosophically challenging, provided it would have been written in a humorous style. It was not. Prig Benoist wrote all that very seriously, in the credulous hope he would have been finally taken as a genuine leftist by the Left and would have transformed his alleged false rightist young fellows in true new leftists more leftist than the usual leftists (Do you follow...?). Such an attempt is of course preposterous. Prig Benoist and Aloof Marmin tried to sell the wide public opinion the absurd story that they were in fact the only actual New Left and that nobody in the world could grasp it till yet... But would ultimately grasp it now, once all clever minds all over the world would have read the brittle pseudo-intellectualized demonstration printed in “Eléments”.

 

The problem is that they cannot be labeled “New Left” as they never had any historical connection with, for instance, the “Frankfurter Schule” or with any other of its subsidiaries like for instance the group around Ernst Bloch and Rudy Dutschke or, in France, with clubs around Sartre’s “Les Temps Modernes” or with the Christian personalist caucuses around Jacques Maritain or Emmanuel Mounier and their journal “Esprit” (even if Benoist participated in a debate with their late heir Jean-Marie Domenach in 1993; I think Domenach also wrote an article for Benoist’s third magazine, “Krisis” but cooperation ended quite soon with that single piece of writing). Benoist is almost 70 now: I think that it is too late for him now to change views and that it would also be completely silly to play the role of a kind of ageing pagan leftist Saint Paul, converting to the faith of his former foes on an imaginary way to an even illusory Damascus (or is the joy of putting one’s flabby bottom on the armchair of a television studio worth all denials...?).

 

I think that, due to these nonsensical exercises by which Prig Benoist still tries to find a position as a now allegedly mature man, he is finally nowhere anymore as his recurrent “aggiornamenti” produced only confusion and puzzlement first in his own flibbertigibbet brain and second in his readers’ minds (be they friendly towards his initiatives or not). Fact is that he is a pathological coward and that he invents constantly new intellectual constructions that he doesn’t understand properly himself as he is finally a poor awkward philosopher (Faye used to say: a “scissors-and-paste thinker”), simply because he is permanently scared witless to be once more insulted by adverse gannets as a “Rightist” or even worse as an “extreme Rightist”, a “Fascist” or a “Nazi”. As I once wrote: “Fear is a bad adviser”. Indeed you cannot achieve anything if you’re pathologically dominated by fear (Benoist couldn’t properly understand what Evola or Jünger —his alleged favorite authors whose numerous books he claims to have read and meditated in order to absorb literally all their thoughts— told us masterfully about fear and fearlessness, be it as an alpinist in the mountains around the Lyskamm, a soldier in the WW1 trenches or a reader of martial Buddhist texts).

 

 

 

 

After all, Benoist can call himself as he wants to be called; it would only be one more ludicrous sketch in the long vaudeville à la de Funès of which his personal existence and his personal feelings were parts. Only the poor Pierre-André Taguieff had once upon a time, when he was writing a book about the “nouvelle droite”, the weakness of believing the self-concocted fiction that Benoist is hawking about himself, fabricating the fable of a serious intellectual, reading heaps of books since his caring childhood, while he is often only a substandard “feuilletonist” and a plagiarist. When Taguieff heard one day the truth about Benoist’s failures in the Lycée where he studied as a teenager, failures that of course Chief Prig had stupidly concealed as we all had failures as teenagers or as students, he phoned me while he was beside himself and complained that he had been abused...
 
How did you get to know Alexander Dugin? What is your opinion about his works and his Eurasian ideology? Are you still in contact with him?
 
I met Dugin for the first time in 1990 in a Parisian bookshop. It was still a time when you almost never met Russian people in Western Europe, except in compact groups duly coached by guides and interpreters, as we did for instance in Lübeck, Germany, in Spring 1979. You also could recognize Soviet citizens at their clothes as there wasn’t yet a standardization of garments like in present-day globalized world. When I heard a Russian man and his wife talking with the usual charming Russian accent, I got immediately the impression that the person in front of the bookshop’s desk was Dugin himself. He had already written a couple of letters to me and, also of course due to Wolfgang Strauss’ articles, I knew already quite a lot about him. I went straight to him and asked: “You are Alexander Dugin, I presume...?”. He looked very afraid as if I had been a policeman in plain clothes. But I introduced myself and we had a long and friendly conversation in a pub. Later I interviewed him for “Vouloir”. He also held a speech at a GRECE annual meeting in 1991. About one year later, he invited Benoist and myself to Moscow where we met personalities like Guennadi Zyouganov and Alexander Prokhanov, former editor of “Lettres soviétiques”, who had published the very first complete issue of a Soviet magazine dedicated to Dostoievski. Beerens and I could buy copies of it in Brussels in 1982 (if I remember well...), together with a long study of Boris Rybakov about Russian paganism printed in the Journal of the Soviet Sciences Academy. During my short stay in Moscow a “Round Table” was held in the offices of the newspaper “Dyeïnn”, which was run by Prokhanov at that time. A press meeting had also been organized by the tandem Dugin/Prokhanov where I was interviewed by people from the journal “Nash Sovremennik”, who had published an article of mine about economics. Later in September 1992 Dugin invited Jean Thiriart, Michel Schneider, Carlo Terracciano and Marco Battarra who met the same people as we did, plus Nikolai Baburin.

 

img042.jpgI supposed that Benoist, who hated deeply all the people invited by Dugin and Prokhanov in September 1992, started to tell Dugin the worst possible things about myself and the others. In his paranoid eyes, the combined invitation was the evidence that a “Schneiderite-Steuckersite” plot was about to succeed with the sardonic blessing of Thiriart, whom Benoist loathed particularly, because the Belgian animator of the former “Young Europe” movement based in Brussels and his fellow-travelers like Bernard Garcet couldn’t stop mocking the “would-be intellectual and narcissistic Frenchie”, who has “frail, puny and unmuscular arms coming out of his shabby sleeves” and “who was permanently smoking like a chimney”. Thiriart unfortunately died some weeks after his visit to Moscow. But since then, probably due to Benoist’s gossip, I could meet Dugin only once, in 2005, when he came to Brussels and Antwerp to address two different meetings. Just after the Brussels’ meeting, held in the famous Coloma Castle, Dugin took a very light meal (as it was Lent time) and jumped on the train to Paris, as he had an appointment with Benoist. I’ve never heard of him anymore since then. Alain de Benoist surely pursued his usual dissolving job of chitchatting and splitting the movement, by setting the people of our own spiritual-intellectual community at loggerheads, as if he was duly paid to do so by some mysterious sponsors...

 

The only tracks of Dugin that I can follow now are his video clips on “You tube”, that the webmaster of “euro-synergies.hautetfort.com”, old friend Ducarme, sometimes takes over to inform our readers about Dugin’s new activities.

 

As you surely know, Dugin derives his Eurasian ideology from two main sources: Konstantin Leontiev and Lev Gumilev. As you cannot consider Leontiev and Gumilev as pro-European thinkers, our views are slightly different than those of Dugin: we surely admit the criticism Leontiev and Gumilev adressed to Western thoughts when they were still alive but as we consider ourselves as “Europeans” and not “Westerners”, we cannot accept the equation too often made between “Europe” and the “West”. Leontiev at his time knew that Western European liberalism was the main danger for Russia (and for other empires, as well as for the Western European people themselves) and wanted to isolate the Czarist Empire from the womb of subversion that Europe was in his eyes. Gumilev thought more or less according to the same line, adding biological views that a spiritualist like Leontiev wouldn’t have taken into consideration. Surely in the context of the 19th Century, they were right. But the Western subversive spirit came to Russia under the mask of Bolshevism and remained in power for about 70 years, while the usual liberal ideology spoilt continuously the rest of Europe. The two sides during the era of the Cold War underwent a form or another of subversion. Now we all face a major risk of Westernization under neo-liberal (globalist) disguise. So neither Western-Central Europe nor the countries of the former USSR can win the battle against subversion alone. Would Russia isolate itself according to the formerly well-thought guidelines coined by Leontiev or Gumilev (and reproduced in a much simpler formulation by Dugin), we Western Europeans wouldn’t play any role in the future world struggle against subversive ideologies or would have to fight in the limited area of the reduced Western part of the Eurasian peninsula. The risk is to recreate a kind of new isolated Soviet Union or a renewed “Tatar Block’ (according to the Eurasian ideology of Alexander Blok, who also spoke of a Scythian Russia and of a Bolshevik revolution being the best embodiment of subversion but at the head of which the opponents to subversion should place themselves as you cannot struggle againt subversion if you don’t first take control over it). Isolation isn’t a solution today neither for the Russians nor for ourselves. Otherwise the worst aspects of Nazi or Nato propaganda could be too easily reactivated.

 

I expressed our vision of Eurasian or Euro-Russian solidarity in the foreword I wrote for a book by our Croatian friend Jure Vujic about Atlanticist and Eurasian geopolitics. The “Synergist” movement is maybe also “Scythian” but not in the way Blok thought it was Scythian. For us the Indo-European horsemen’s tribes, that left Eastern Central Europe with the first domesticated horses to spread far across the Ukrainian and Central Asian steppes, are the first historical subjects in the Eurasian areas between the present-day Western Ukrainian borders and today’s Chinese Sinkiang or Turkestan. Eurasia was first dominated by Indo-European people and not by Altaic or Mongolic khans. It is true that from about 220 B.C. the Proto-Mongolic tribes united in the so-called Xiongnu Federation, that started the movement of the Hunnic people towards the Western areas of Eurasia and would in the run expel or annihilate politically the Indo-European horsemen’s peoples and tribes. The Russian “reconquista” from Ivan IV to the 19th Century is the revenge of the Indo-European people, the cosacks’ sotnia replacing the Scyths, Proto-Iranians, Sarmatians and Sakhians. In France, a Ukrainian historian of protohistorical times, Iaroslav Lebedynsky, has published several very accurate historical and archeological studies about the Indo-European horsemen’s people that allow us to develop a specific Eurasian vision, that is slightly different than the one coined by Dugin. The young French historian Pascal Lassalle is, among former members of the GRECE-groups, the best present-day specialist of Lebedynsky’s works.

Jünger/Barrès

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Harald HARZHEIM:
Ernst Jünger, lecteur de Maurice Barrès

Nationalisme, culte du moi et extase

barres.jpg“Je ne suis pas national, je suis nationaliste”: cette phrase a eu un effet véritablement électrisant sur Ernst Jünger, soldat revenu du front après la fin de la première guerre mondiale qui cherchait une orientation spirituelle. Soixante-dix ans plus tard, Jünger considérait toujours que ce propos avait constitué pour lui l’étincelle initiale pour toutes ses publications ultérieures, du moins celles qui ont été marquées par l’idéologie nationale-révolutionnaire et sont parues sous la République de Weimar.

L’auteur de cette phrase, qui a indiqué au jeune Jünger la voie à suivre, était un écrivain français: Maurice Barrès. Bien des années auparavant, dans sa prime jeunesse, Ernst Jünger avait lu, en traduction allemande, un livre de Barrès: “Du sang, de la volupté et de la mort” (1894). On en retrouve des traces dans toute l’oeuvre littéraire de Jünger.

Maurice Barrès était né en 1862 en Lorraine. Tout en étudiant le droit, il avait commencé sa carrière de publiciste dès l’âge de 19 ans. A Paris, il trouva rapidement des appuis influents, dont Victor Hugo, Anatole France et Hippolyte Taine. Dans ses premiers ouvrages, Barrès critiquait l’intellectualisme et la “psychologie morbide” que recelait la littérature de l’époque. A celle-ci, il opposait Kant, Goethe et Hegel, qui devaient devenir, pour sa génération, des exemples à suivre. Après l’effondrement des certitudes et des idéologies religieuses, le propre “moi” de l’écrivain lui semblait le “dernier bastion de ses certitudes”, un bastion éminemment réel duquel on ne pouvait douter.

Il en résulta le “culte du moi”, comme l’atteste le titre général de sa première trilogie romanesque. Le “culte du moi” ne se borne pas à la seule saisie psychologique de ce “moi” mais cherche, en plus, à dépasser son isolement radical: le moi doit dès lors se sublimer dans la nation qui, au contraire du moi seul, est une permanence dans le flux du devenir et de la finitude.

Le processus de dépassement du “moi” individuel implique un culte du “paysage national”, donc, dans le cas de Barrès, de la Lorraine. Dans les forêts, les vallées et les villages de Lorraine, Barrès percevait un reflet de sa propre âme; il se sentait lié aux aïeux défunts. Le “culte du moi” est associé au “culte de la Terre et des Morts”. Ce culte du sol et des ancêtres, Barrès le considèrera désormais comme élément constitutif de sa “piété”. L’Alsace-Lorraine avait été conquise par les Allemands pendant la guerre de 1870-71. Une partie de la Lorraine avait été annexée au Reich. Barrès devint donc un germanophobe patenté et un revanchard, position qu’il n’adoucira qu’après la première guerre mondiale, après la défaite de l’ennemi. Dans un essai écrit au soir de sa vie, en 1921, et intitulé “Le génie du Rhin”, cette volonté de conciliation transparaît nettement. Ernst Jünger l’a lu dès sa parution.

Barrès posait un diagnostic sur la crise européenne qui n’épargnait pas l’esprit du temps. Il s’adressait surtout à la jeunesse, ce qui lui valu le titre de “Prince de la jeunesse”. Pourtant la radicalisation politique croissante de son “culte du moi”, sublimé en nationalisme intransigeant, effrayait bon nombre de ses adeptes potentiels. Ainsi, Barrès exigeait que le retour des Français sur eux-mêmes devait passer par l’expurgation de toutes influences étrangères. Le “moi”, lié indissolublement à la nation, devait exclure toutes les formes de “non-moi”. Cela signifiait qu’il fallait se débarrasser de tout ce qui n’était pas français et qu’il résumait sous l’étiquette de “barbare”. Il prit dès lors une posture raciste et antisémite. Son nationalisme s’est mué en un chauvisnisme virulent qui se repère surtout dans ses écrits publiés lors de l’affaire Dreyfus. Une haine viscérale s’est alors exprimée dans ses écrits. En 1902, Barrès a rassemblé en un volume (“Scènes et doctrines du nationalisme”) quelques-uns de ces essais corsés.

Barrès n’était pas seulement un homme de plume. Au début des années 80 du 19ème siècle, il avait rejoint le parti revanchiste du Général Boulanger et fut élu à la députation de Nancy.

Après la seconde guerre mondiale, Ernst Jünger comparait le Général Boulanger à Hitler (ce que bien d’autres avaient fait avant lui). Après une conversation avec le fils de Barrès, Philippe, il en arriva à la conclusion que cet engagement en faveur de Boulanger a dû le faire “rougir” (EJ, “Kirchhorster Blätter”, 7 mai 1945).

En 1894, Barrès avait écrit “Du sang, de la volupté et de la mort”, recueil d’esquisses en prose et de récits de voyage en Espagne, en Italie et en Scandinavie, pimentés de réflexions sur la solitude, l’extase, le sexe, l’art et la mort. Le corset spatial étroit du nationalisme de Barrès éclatait en fait dans cette oeuvre car il ne privilégiait plus aucun paysage, n’en érigeait plus un, particulier, pour le hisser au rang d’objet de culte: chacun des paysages décrits symbolisait des passions et des sentiments différents, qu’il fallait chercher à comprendre. En lisant ce recueil, Ernst Jünger a trouvé dans son contenu l’inspiration et le langage qu’il fallait pour décrire les visions atroces des batailles, relatées dans ses souvenirs de guerre. De Barrès, Jünger hérite la notion de “sang”, qui n’est pas interprétée dans un sens biologique, mais est hissée au rang de symbole pour la rage et la passion que peut ressentir un être. Quant aux descriptions très colorées des paysages, que l’on retrouve dans l’oeuvre de Barrès, nous en trouvons un écho, par exemple dans “Aus der goldenen Muschel” (1944) de Jünger.

Maurice Barrès est mort en 1923. Peu d’écrits de lui ont été traduits en allemand. Le dernier à l’avoir été fut son essai “Allerseelen in Lothringen” (“Toussaint en Lorraine”), paru en 1938. Après la deuxième guerre mondiale, aucun écrit de Barrès n’a été réédité, retraduit ou réimprimé. On a finit par le considérer comme l’un des pères intellectuels du fascisme. Barrès a certes été élu à l’Académie Française en 1906 mais sa réhabilitation en tant que romancier est récente, même en France, alors que Louis Aragon l’avait réclamée dès la fin de la seconde guerre mondiale.

Jünger ne s’est pas enthousiasmé longtemps pour ce nationaliste français. Dès la moitié des années 20 du 20ème siècle, il s’oriente vers d’autres intérêts littéraires. Jünger n’évoque Barrès explicitement qu’une seule fois dans ses oeuvres journalistiques et militantes, alors que le Lorrain les avait inspirées. Dans “Vom absolut Kühnen” (1926), Jünger affirme qu’il “préfère la France de Barrès à celle de Barbusse”, parce qu’il entend récuser l’idéologie pacifiste de ce dernier.

Toutes les évocations ultérieures de Barrès relèvent du rétrospectif. Jünger ne puise plus aucune inspiration nouvelle dans les écrits de Barrès. Jünger, âgé, comparait le sentiment qu’il éprouvait face à la défaite allemande de 1918 au désarroi qu’ont dû ressentir les jeunes Français en 1871 (cf. “Siebzig verweht”, IV, 23 octobre 1988). Il répète dans ce même passage que Barrès l’avait fortement influencé dans le travail de façonnage de sa propre personnalité, une imprégnation barrèsienne, dont il s’était distancié assez tôt. En 1945, Jünger notait que “lui-même et les hommes de sa propre génération étaient arrivés trop tard en beaucoup de choses, si bien que la voie, que Barrès avait encore pu emprunter, ne leur était plus accessible”. Dès le début des années 30 du 20ème siècle, Ernst Jünger en était arrivé à considérer le nationalisme barrèsien comme une construction dépassée, née au 19ème siècle et marquée par lui. Cette position l’a empêché de s’engager dans le sillage d’un politicien chauvin comme Boulanger, c’est-à-dire comme Hitler.

Dans la bibliothèque de Jünger à Wilflingen, on trouve deux ouvrages de l’écrivain français: “Amori et Dolori sacrum. La mort de Venise” et les quatorze volumes de “Mes cahiers”. Ces “cahiers”, Jünger les évoque dans une notule envoyée à Alfred Andersch: “Vous me comptez non pas parmi les conservateurs-nationaux mais parmi les nationalistes. Rétrospectivement, je suis d’accord avec vous. J’ose même dire que j’ai inventé le mot; récemment en lisant ses “Cahiers”, je me suis découvert de remarquables parallèles avec Maurice Barrès. Il y dit: ‘...je suis né nationaliste. Je ne sais pas si j’ai eu la bonne fortune d’inventer le mot, peut-être en ai-je donné la première définition’” (cf. “Siebzig verweht”, II, 7 juin 1977).

Ernst Jünger a donc lu les “Cahiers” de Barrès de manière fort occasionnelle car la plupart des quatorze volumes des “Cahiers”, dans la bibliothèque de Wilflingen, n’ont en apparence que rarement été ouverts; certains n’ont même pas été coupés. En 1971, Jünger a dit: “Barrès aussi est désormais derrière moi”. La teneur de cette assertion n’a plus été modifiée jusqu’à la mort de l’écrivain allemand.

Harald HARZHEIM.
(article paru dans “Junge Freiheit”, Berlin, n°23/2005; trad. française: avril 2012).
http://www.jungefreiheit.de/

Harald Harzheim est écrivain, dramaturge et historien du cinéma. Il vit à Berlin. Il travaillait en 2005, au moment où il rédigeait cet article, à un essai sur la “Démonologie du cinéma” d’Ernst Jünger.

Wies Moens

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“Brederode” / “ ’t Pallieterke”:
Le poète Wies Moens: disparu il y a trente ans

L’expressionniste flamand qui refusait les “normalisations”

wm1.jpgLe 5 février 1982, Wies Moens quittait ce monde, lui, le principal poète moderne d’inspiration thioise et grande-néerlandaise. Il est mort en exil, pas très loin de nos frontières, à Geleen dans le Limbourg néerlandais. Dans un hebdomadaire comme “’t Pallieterke”, qui cultive l’héritage national flamand et l’idéal grand-néerlandais, Wies Moens est une référence depuis toujours. Il suffit de penser à l’historien de cet hebdomadaire, Arthur de Bruyne, aujourd’hui disparu, qui s’inscrivait dans son sillage. Pour commémorer le trentième anniversaire de la disparition de Wies Moens, “Brederode”, qui l’a connu personnellement, lui rend ici un hommage mérité. L’exilé Wies Moens n’avait-il pas dit, en 1971: “La Flandre d’aujourd’hui, l’agitation politicienne qui y sévit, l’art, la littérature, tout cela ne me dit quasi plus rien. Je ne ressens aucune envie de revenir de mon exil”?

Ces mots, tous pleins d’amertume et de tristesse, nous les avons entendus sortir de la bouche de Wies Moens, alors âgé de 73 ans, lorsque nous l’avons rencontré dans son appartement de Neerbeek (Limbourg néerlandais) pour converser longuement avec lui. Nous avions insisté sur la nostalgie qu’il cultivait à l’endroit de sa chère Flandre, de son pays scaldien chéri, de sa ville de Termonde (Dendermonde) et sur la splendeur des douces collines brabançonnes près d’Asse. En ces années-là, Wies Moens était encore très alerte: il avait une élocution charmante pimentée d’un humour solide, il était un narrateur sans pareil. Mais ce poète, et ce chef populaire par excellence, observait, atterré, le délitement de la culture et l’involution générale du pays, amorcé dans les années 60. Les principes, les valeurs, qu’il avait défendus avec tant d’ardeur, périclitaient: l’inébranlable foi en Dieu du peuple des Flandres, l’esprit communautaire du catholicisme implicite de la population, l’idée de communion entre tous les membres d’un même peuple, la fierté nationale, le sens intact de l’éthique, l’idéal de l’artiste qui sert le peuple, tout cela allait à vau-l’eau.

Avec la vigueur qu’on lui connaissait, avec sa fidélité inébranlable aux principes qu’il entendait incarner, le poète septuagénaire fit une nouvelle fois entendre sa voix: elle s’éleva pour avertir le peuple des risques de déclin qu’il encourait. Il fut l’un des premiers! L’occasion lui fut donnée en 1967 lorsqu’il s’insurgea contre certains professeurs de l’université populaire de Geleen, dont il fut le directeur zélé et consciencieux à partir de 1955. Wies Moens fit entendre ses griefs contre le modernisme vide de toute substance que ces professeurs propageaient. Derrière son dos, la direction de l’université populaire décida de continuer sur cette lancée: Moens donna bien vite sa démission.

Un rénovateur

Wies Moens a été un poète avant-gardiste soucieux de ne pas se couper du peuple: il s’est engagé pour la nation flamande (et grande-néerlandaise) et n’a cessé de promouvoir des idées sociales et socialistes avancées. Dans ce contexte, il voulait demeurer un “aristocrate de l’esprit” et un défenseur de toutes les formes de distinction. Avec sa voix hachée, l’une de ses caractéristiques, le réaliste Wies Moens condamnait tous les alignements faciles sur les affres de décadence et de dégénérescence. On repère cette option dans le poème “Scheiding der werelden” (= “Divorce des mondes”), qu’il écrivit peu après avoir donné sa démission à Geleen en 1967:

“Ik wijs uw aanpassing af,
Die nooit anders is
Dan aanpassing benedenwaarts:
Een omlaagdrukken
Van het Eeuwige naar ’t vergankelijke,
Van het Gave naar ’t ontwrichte,
Van het Grote naar de middelmaat”

“Je rejette vos adaptations
Qui ne sont jamais autre chose
Qu’adaptations à toutes les bassesses
Une pression vers le bas
De l’Eternel vers le mortel
Du grand Don vers la déliquescence
De la Grandeur vers la médiocrité”.

Pendant toute sa vie Wies Moens n’a jamais été autre chose qu’un rénovateur: en toutes choses, il voulait promouvoir élévation et anoblissement. De même, bien sûr, dans ses idéaux politiques, comme, par exemple, celui, récurrent, de la réunification des Pays-Bas déchirés au sein d’un nouvel “Etat populaire Grand-Néerlandais” (= “Dietse Volksstaat”), s’étendant de la Somme au sud de la Flandre méridionale jusqu’au Dollard en Frise. Moens voulait la perfection par l’émergence d’un homme nouveau, aux réflexes aristocratiques immergés dans une foi profonde. Ce nouvel homme thiois (= Diets) serait ainsi la concrétisation du rêve du jeune poète Albrecht Rodenbach: “Knape, die telt een hele man”.

Pour évoquer ici la mémoire de Moens, notre principal poète grand-néerlandais, le rénovateur de notre art poétique moderne (que suivirent de grands poètes néerlandais comme Antoon van Duinkerken et Gabriël Smit), je commencerai par un de ses premiers poèmes, parmi les plus beaux et les plus connus, que plus personne, malheureusement, n’apprend de nos jours. Ce poème nous montre comment “l’esprit nouveau de ces temps nouveaux” d’amour fraternel s’exprimait avec force et hauteur dans les premiers recueils de Moens; prenons, par exemple, ce poème issu du recueil “De Boodschap” (= “Le Message”), de 1920:

“De oude gewaden
zijn afgelegd.
De frisse vaandels
Staan strak
In den morgen.
Aartsengelen
Klaroenen
Den nieuwen dag.

Wie het mes van zijn haat
Sleep op zijn handpalm,
Inkeren zal hij bij den vijand
En reiken zijn mond hem ten zoen!

Wie gin naar verdrukten
En droeg vertedering in ’t hart,
Hij wakkert hen op tot den Opstand
Die het teken van de Gezalfden
Zichtbaar maakt aan het voorhoofd
Der kinderen uit de verborgenheid!

Strak staan
De vaandels in den morgen.
Aartsengelen
Roren de trom.
De jonge karavanen
Zetten aan”.

“Les vieux oripeaux,
nous les avons ôtés.
Les étendards tout neufs
Sont dressés
Dans l’air du matin.
Les archanges
Au clairon annoncent
Le jour nouveau.

Celui qui a aiguisé le couteau
De sa haine dans la paume de la main,
Se repentira auprès de l’ennemi
Et lui tendra la bouche pour un baiser!

Qui porte attention aux opprimés
Et attendrissement en son coeur
Les incitera à la Rébellion,
Signe des Oints,
Rendra celui-ci visible au front
Des enfants des ténèbres!

Dressés sont
Les étendards dans l’air du matin.
Les archanges
Battent le tambour.
Les jeunes caravanes
Se mettent en marche”.

Avec des poèmes de ce genre, aux paroles drues, au symbolisme fort, avec d’autres titres, plus connus, comme “Laat mij mijn ziel dragen in het gedrang” (“Fais que je porte mon âme dans la mêlée”) ou “Knielen zal ik...” (“Et je m’agenouillerai...”) ou encore “Als over mijn hoofd de zware eskadronnen gaan...” (“Quand, au-dessus de ma tête, vont les lourds escadrons...”), Moens faisait fureur chez les jeunes amateurs de poésie, mais aussi chez les plus anciens, au début des années 20. Avec Paul Van Ostaijen, Marnix Gijsen et Karel van den Oever, il fut l’un des principaux représentant de l’expressionnisme flamand, mouvement dans lequel il incarnait le courant humanitaire.

La Flandre, au cours du 20ème siècle, n’a eu que peu de chefs, d’éducateurs du peuple et d’artistes du format de Wies Moens. Le principal de ses contemporains, parmi les artistes serviteurs du peuple et chrétiens, fut Ernest van der Hallen (1898-1948). Tous deux partageaient ce dégoût et cette haine de l’embourgeoisement et de la médiocrité que l’on retrouve chez un Romano Guardini ou un Léon Bloy.

Avant de prendre conscience des anciennes gloires nationales flamandes et néerlandaises, Wies Moens fut pris de pitié pour la misère sociale, pour la déchéance spirituelle et matérielle de la “pauvre Flandre” d’avant la première guerre mondiale. Une immense compassion naquit en lui, dès son enfance. C’est là qu’il faut voir l’origine du grand combat de son existence pour l’éducation populaire, pour l’élévation du peuple et pour sa libération. Il en témoigne dans l’esquisse épique et lyrique de sa vie, qu’il écrivit en 1944 sous le titre de “Het spoor”:

Eer ik uw grootheid zag, kende ik uw nood:
Uw armoe, Volk, ging eerder in mijn hart
Dan in mijn geest de rijkdom van uw roem

“Avant que je n’entrevis ta gloire,
je connus ta misère, ta pauvreté,
ô peuple, et ce fut d’abord en mon coeur
que ta richesse et ta gloire entrèrent,
bien avant qu’elles n’arrivassent en mon esprit”.

La tâche de sa vie a été d’élever le peuple haut au-dessus de ses petites mesquineries, de sa déréliction et de sa minorité: cet acharnement ne lui a rapporté que l’exil, l’ingratitude et l’incompréhension... mais aussi la conscience que “ce bon combat, il l’a mené jusqu’à l’extrême”. L’engagement social de Moens était bien plus vaste et profond que ce qui se fait en ce domaine de nos jours, avec les théories fumeuses du “progressisme”. Le souci que Moens portait au peuple s’est, au fil du temps, mué en un amour, inspiré de l’évangile, pour tout le peuple des Flandres et des Pays-Bas. A l’évidence, il a trouvé la voie du flamingantisme pour incarner cet amour, plus tard celle du nationalisme flamand et thiois, dans une perspective d’élévation du peuple, bien plus vaste que celle des partis de la politique politicienne. Dans les années 20, il émis de vigoureuses tirades contre les étudiants de l’AKVS, “parce qu’ils n’étaient pas assez sociaux”.

Un art au service de la communauté

Ce long et patient travail d’élever le peuple au-dessus de sa misère se reflète dans sa poésie, qui, sur le plan du rythme et du style, a évolué de l’expressionnisme humanitaire à connotations bibliques comme dans les recueils “De Boodschap”, “De Tocht”, “Opgangen” et “Landing” (années 20), tous marqués par un langage luxuriant, imagé et symbolique et un rythme chantant, pour aboutir, dès le milieu des années 30, à une poésie de combat pour le peuple, plus sobre et plus tranchante comme dans les recueils “Golfslag” (1935), “Het Vierkant” (1938) et “Het Spoor” (1944).

Ses derniers poèmes évoquent sa plongée dans la clandestinité, sa condamnation et son exil. “De Verslagene” (= “Le Vaincu”) de 1963 et “Ad Vesperas” de 1967 sont parfois tout compénétrés d’amertume mais, en dépit de cela, témoignent à nouveau d’une foi en Dieu inébranlée mais, cette fois, épurée, notamment dans “Verrijzenistijd” et “Late Psalm” (“Et Dieu fut... se répètent-ils...”). Jusque dans ses derniers vers, Wies Moens est resté le poète de la communauté catholique par excellence, fidèle à sa “foi néerlandaise”, selon laquelle l’art doit demeurer avant tout service à la communauté.

wm2.gifWies Moens ne cessera plus jamais de nous interpeller, surtout grâce à ses premiers poèmes, dont le sublime “Laat mij mijn ziel dragen in het gedrang...”, paru dans le recueil “De Boodschap”. Il l’a écrit à 21 ans, la veille de Noël 1918, quand il était interné à la prison de Termonde, pour avoir été étudiant et activiste. Dans le deuxième ver de ce poème, il esquisse déjà tout le travail qu’il s’assigne, celui d’éduquer le peuple:

“Tussen geringen staan en hun ogen richten naar boven
waar blinken Uw eeuwige sterren”.

“Se trouver parmi les humbles et tourner leurs regards vers le haut
où scientillent Tes étoiles éternelles”.

C’est avec ce poème, et avec d’autres, tirés de ses premiers recueils, qu’il a fortement influencé des poètes et des écrivains catholiques et non catholiques, tant dans les Pays-Bas du Nord qu’en Flandre. Dans le Nord, citons notamment Antoon Van Duinkerken, Gabriël Smit, Henri Bruning et Albert Kuyle. C’est aussi cette poésie au service de la communauté populaire qu’il défendra et illustrera lorsqu’il deviendra le secrétaire de l’association du “Théâtre populaire flamand” (“Vlaamse Volkstoneel”), une association qu’il contribuera à rénover entre 1922 et 1926, ou lorsqu’il sera le correspondant du très officiel quotidien néerlandais “De Tijd” ou encore le collaborateur attitré de revues comme “Pogen”, “Jong Dietsland”, “Dietbrand” et “Volk” (que les Allemands jugeront “trop catholique”).

Contrairement à bon nombre de ses anciens compagnons de combat, Wies Moens n’a jamais fléchi, n’a jamais abandonné les idéaux auxquels il avait adhéré. Au contraire, l’exilé, devenu âgé, n’a cessé de rejeter les édulcorations de l’idéal, toutes les formes de concession. La Fidélité est resté sa vertu la plus forte:

“De Trouw moet blijke’ in onheils bange dagen.
Zij moet als ’t koren lijden harde slagen.
Het kaf stuift weg, men houdt het kostbaar graan!”.

“Elle doit demeurer, la Fidélité, dans les jours de peur et de malheur.
Elle doit éprouver les coups les plus durs, comme le blé.
Car alors l’ivraie partira, virevoltante, et le bon grain, si précieux, demeurera!”.

“Brederode” / “ ’t Pallieterke”.
(article paru dans “’ t Pallieterke”, Anvers, 28 mars 2012).

Idéologie sioniste

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SionismeAux sources de l’idéologie sioniste

◘ Extrait d’une conférence de Robert Steuckers sur le Proche Orient, prononcée à la tribune du “Cercle Proudhon” à Genève, avril 2010

Le sionisme suscite l’enthousiasme dans une bonne part de la communauté juive, tous pays confondus, chez les “chrétiens sionistes” américains, qui sont des fondamentalistes protestants, et chez les occidentalistes et les atlantistes de toutes obédiences (de gauche comme de droite). En revanche, pour beaucoup d’autres, et a fortiori dans les pays arabes et les communautés arabo-musulmanes immigrées dans les pays occidentaux, le sionisme est considérée comme une forme de racisme juif dont les victimes sont les Arabes de Palestine. Une vive passion s’est emparée de toutes les discussions relatives à cette question, tant et si bien que les parties prenantes de ce débat ont une vision généralement propagandiste et militante sur le fait sioniste, oublieuse, comme toutes les autres visions propagandistes et militantes, des racines historiques du complexe d’idées qu’elles exaltent ou qu’elles vouent aux gémonies. L’esprit partisan est toujours rétif aux démarches généalogiques. Il répète à satiété ses “ritournelles”, sans tenir compte ni du réel ni du passé.

Le Prince de Ligne et Napoléon

SionismeNotre position ne peut être ni propagandiste ni militante car nous ne sommes ni juifs ni arabes, car nous ne pouvons raisonnablement nous identifier aux uns ou aux autres, tout en étant désireux de ne pas voir l’ensemble du Levant et du Moyen Orient plongé dans une guerre sans fin, qui, dans tous les cas de figure, serait contraire à nos intérêts. Le sionisme, c’est-à-dire la volonté de transplanter tous les juifs d’Europe dans l’ancienne Palestine romaine ou ottomane, n’a pourtant pas, au départ, des origines juives. Le tout premier à avoir émis l’hypothèse d’une telle transplantation est mon compatriote, le Feldmarschall impérial Charles-Joseph de Ligne, envoyé comme attaché militaire autrichien auprès de Catherine II la Grande en guerre contre l’Empire ottoman, auquel elle arrachera la Crimée, sanctionnant ainsi la prépondérance russe en Mer Noire. À cette époque qui a immédiatement précédé les délires criminels de la révolution française, Russes et Autrichiens envisageaient de porter un coup final à cet empire moribond qui avait assiégé l’Europe du Sud-Est pendant plusieurs siècles. Pour y parvenir, le Prince de Ligne a suggéré d’envoyer toute la population des ghettos d’Europe centrale et orientale dans la partie médiane de l’Empire ottoman, de façon à ce qu’un foyer de dissidence se crée, au bénéfice des Russes et des Autrichiens, entre l’Égypte, province de la Sublime Porte, et l’Anatolie proprement turque. L’objectif de ce “sionisme” ante litteram, non idéologique et non religieux mais essentiellement tactique, était donc de séparer l’Égypte de la masse territoriale anatolienne, sur un territoire, qui, dans l’histoire antique, avait déjà été âprement disputé entre les Pharaons et les souverains hittites (bataille de Qadesh) voire, aux temps des Croisades européennes, entre Fatimides d’Égypte, alliés occasionnels des rois croisés, et Seldjouks.

La Révolution française, fomentée par Pitt pour venger la défaite de la flotte anglaise à Yorktown en 1783 lors de la guerre d’indépendance des États-Unis, va distraire Russes et surtout Autrichiens de la tâche géopolitique naturelle qu’ils s’étaient assignée : parfaire la libération de l’Europe balkanique, hellénique et pontique afin de conjurer définitivement la menace ottomane. Napoléon Bonaparte, fervent lecteur des lettres galantes et coquines du Prince de Ligne, reprendra l’idée à son compte, sans pouvoir la réaliser, sa campagne d’Égypte s’étant soldée par un fiasco total avec la défaite navale d’Aboukir. En occupant provisoirement l’Égypte, Bonaparte s’oppose à l’Empire ottoman, déjà considérablement affaibli par les coups que lui avaient portés les armées russes et autrichiennes près d’une vingtaine d’années auparavant. Les visées françaises sur l’Égypte obligent, d’une part, les Anglais à soutenir les Ottomans (aussi contre les Russes qui font pression sur les Détroits) et, d’autre part, Napoléon à envisager de créer une sorte d’État-tampon juif francophile entre une future Égypte tournée vers la France et la masse territoriale anatolienne et balkanique, d’où étaient généralement issus les meilleurs soldats ottomans, dont les pugnaces janissaires et leurs successeurs. L’enclave juive devait servir à protéger le futur Canal de Suez encore à creuser et les richesses du Nil, notamment les cultures du coton, richesse convoitée par la France révolutionnaire. Le militant sioniste de droite Jabotinski, ancêtre intellectuel des droites israéliennes, faisait directement référence à ces projets napoléoniens dans ses écrits militants, marqués par des linéaments idéologiques bonapartistes, garibaldistes et... mussoliniens. Mais les projets du Prince de Ligne et de Bonaparte resteront lettre morte. Ce sionisme non juif et purement tactique sera oublié pendant plusieurs décennies après la défaite napoléonienne à Waterloo et les dispositions prises lors du Traité de Vienne.

Lord Shaftesbury

SionismeLe projet sera ré-exhumé dès la fin des années 30 du XIXe siècle quand l’Empire ottoman sera déchiré par une guerre interne, opposant le Sultan d’Istanbul, soutenu par l’Angleterre, et Mehmet Ali, d’origine albanaise, khédive d’Égypte appuyé par la France. À Londres, Lord Shaftesbury relance l’idée dans les colonnes de la revue Globe et dans un article du Times (17 août 1840) ; il réclame dans ces publications « a land without a people for a people without a land » (une terre sans peuple pour un peuple sans terre), esquissant un plan, qui, finalement, se concrétisera un peu plus d’un siècle plus tard, lors de la création de l’État d’Israël. Le père du “sionisme”, qui n’a pas encore de nom, est donc un lord conservateur anglais. Outre le fait qu’il émet l’idée fausse d’une Palestine vide, prête à accueillir une population errante en Europe et jugée indésirable, Lord Shaftesbury préconise dans son article la création d’un État indépendant en Syrie-Palestine ouvert à la colonisation juive (et donc non entièrement juif), un État qui fera tampon entre l’Égypte et la Turquie, projet où l’Angleterre aura le beau rôle du “nouveau Cyrus” qui ramènera les juifs en Palestine. Disraëli, d’origine juive, relance à son tour l’idée en lui donnant une connotation plus romantique, un peu dans le style du “philhellénisme” de Lord Byron, autre figure tragique et originale anglaise qui a permis à Londres d’intervenir dans le bassin oriental de la Méditerranée. Mais l’idée “pré-sioniste” est très vite abandonnée après la Guerre de Crimée où la France et l’Angleterre s’allient à l’Empire ottoman contre la Russie, afin de la contenir au nord du Bosphore. L’Angleterre devient la protectrice de l’Empire ottoman, le soutient à fond lors de la guerre russo-turque de 1877-78 tout en occupant Chypre et en étendant sa protection à l’Égypte en 1882 : Albion ne fait rien pour rien ! Dans un tel contexte, il est donc bien inutile de fabriquer un État-tampon entre deux entités d’un même empire dont on est l’allié ou dont on “protège” le fleuron. On ne ressortira l’idée sioniste du placard que lorsque l’Empire ottoman s’alignera progressivement sur l’Allemagne de Guillaume II, faute d’une politique cohérente de ses alliés français et anglais, qui ont d’abord protégé la Sublime Porte contre la Russie, entre 1853 et 1856 (Guerre de Crimée) et en 1877-78, quand Russes, Bulgares et Roumains envahissaient les possessions balkaniques du Sultan, tout en menaçant Constantinople. La politique franco-anglaise était marquée par la duplicité : les alliés occidnetaux avaient deux fers au feu :

  • protéger l’Empire ottoman moribond, tout en le dépouillant de ses territoires les plus stratégiques ;
  • imaginer une politique de dislocation de ce même Empire ottoman, en pariant sur l’éventuelle royauté d’Abdel Khader au Levant ou en créant une élite arabe pro-occidentale au Liban et en Syrie (cf. infra), pour affaiblir le nouvel allié du Kaiser allemand.

Abdel Khader

SionismeAprès la guerre “inter-ottomane” entre le Sultan et Mehmet Ali, en 1847, Abdel Khader capitule et se rend aux Français en Algérie, pays auquel il avait voulu rendre l’indépendance. Le Duc d’Aumale, vainqueur, lui accorde sa garantie et sa protection. Il croupit d’abord dans une prison française de 1848 à 1852 puis s’exile à Damas en Syrie en 1853. Il est autorisé à y séjourner avec sa suite, une troupe d’un millier de soldats maghrébins aguerris, avec leur famille. Cette émigration hors de l’Algérie devenue française permet au Second Empire de se débarrasser des éléments les plus turbulents de la première révolte algérienne et, comme nous le verrons, d’exploiter leur dynamisme et leur fougue guerrière. Les Ottomans ne contestent pas cette présence : ils ont besoin de leurs nouveaux alliés français contre la Russie qui a attaqué les ports turcs de la Mer Noire, déclenchant ainsi la Guerre de Crimée. En 1860, après cette guerre qui a ruiné les principes pan-européens (et eurasistes avant la lettre) de la Sainte-Alliance, des troubles éclatent au Liban et dans le Djebel druze, où la population locale musulmane ou druze massacre les chrétiens, obligeant la France, protectrice de jure de ces minorités chrétiennes dans l’Empire ottoman, à intervenir. Abdel Khader, devenu instrument militaire de la France avec son armée algérienne installée en Syrie, intervient et sauve les chrétiens syriens du massacre. Ces troubles du Levant avaient éclaté parce que le Sultan avait envisagé d’accorder aux puissances européennes, surtout la France et l’Angleterre, toutes sortes de concessions, notamment celles qui consistait à lever le statut de dhimmitude pour les chrétiens d’Orient et à autoriser les puissances chrétiennes à ouvrir des écoles dans tous les vilayets entre Antioche et le Sinaï. La politique occidentale, franco-anglaise, n’est plus, alors, de créer un État-tampon juif mais de créer une nation arabe moderne, favorable à l’Occident, en rébellion contre la Sublime Porte, formant un verrou grand-syrien cohérent entre l’Égypte et l’Anatolie. Dans ce projet, la France et l’Angleterre visent surtout à asseoir leur domination sur le Liban actuel, où on fabriquera, grâce aux nouvelles écoles catholiques ou protestantes, une élite intellectuelle occidentalisée, au départ de groupes de Maronites nationalistes arabes, hostiles à la Sublime Porte, qui ne les avait pas protégés en 1860 dans le Djebel druze.

En 1876, Abdülhamid monte sur le trône ottoman. En 1877-78, ses armées sont écrasées par les Russes qui volent au secours des Bulgares et des Roumains qui venaient de proclamer leur indépendance. Les territoires balkaniques de l’Empire ottoman se réduisent comme une peau de chagrin, entraînant une crise générale dans tout l’Empire. Il est fragilisé à l’extrême : les Bulgares ont campé devant les murs de Constantinople et sont désormais en mesure de réitérer cette aventure militaire avec l’appui russe. La Turquie ottomane se tourne de plus en plus vers l’Allemagne, tandis que les Français rêvent d’un royaume arabe du Levant, dont le souverain serait... Abdel Khader. On ne songe plus à envoyer dans la région les juifs d’Europe.

Rabbi Alkalai, Zvi Hirsch Kalisher, Joseph Natonek

L’idée sioniste est alors quasiment absente dans les ghettos juifs d’Europe, a fortiori au sein des judaïsmes émancipés dont les représentants n’ont nulle envie d’aller cultiver la terre ingrate du Levant. On peut cependant citer des prédécesseurs religieux, dont le rabbin de Sarajevo Alkalai (1798-1878), sujet ottoman, qui énonce, non pas l ‘idée d’aller s’installer en Palestine, mais une idée neuve et révolutionnaire au sein du judaïsme européen : le judaïsme ne doit plus être la religion qui attend en toute quiétude que revienne le Messie. Pour Alkalai, il ne faut plus attendre, il faut se libérer activement et le Messie viendra. Pour développer une action, il faut un projet, qu’Alkalai n’énonce pas encore mais son refus de l’attitude d’attente de la religion mosaïque traditionnelle implique ipso facto de sortir de sa quiétude impolitique, de se porter vers un activisme qui attend son heure et ses mots d’ordre. Par ailleurs, à Thorn en Posnanie prussienne, Zvi Hirsch Kalisher (1795-1874) propose, pragmatique à rebours de son collègue de Sarajevo, la création d’une société de colonisation en 1861-62. C’est le premier projet “sioniste” juif non purement tactique, émanant d’une géopolitique française, russe ou autrichienne. On notera que ces projets constituent une réaction contre l’émancipation (qui, disent ces pré-sionistes, va aliéner les juifs par rapport à leur héritage ancestral) et non contre les persécutions. Leur attitude est dès lors assez ambigüe : il faut rester juif mais non pas à la mode traditionnelle et “quiète” ; il faut le rester en pratiquant un nouvel activisme qui, dans ses principes, serait juif, non transmissible aux non-juifs, mais simultanément non traditionnel, ce qui conduit les traditionalistes quiets à rétorquer qu’un activisme ne peut être juif, mais seulement copie maladroite des manies des “goyim” et que seul l’attente est signe de judaïsme véritable.

Un peu plus tard, Joseph Natonek (1813-1892) élabore un plan plus précis, celui que reprendra Herzl et son fameux “Congrès sioniste” de 1897. Natonek suggère la création d’un “Congrès juif mondial”, de demander ensuite une charte aux Turcs, d’amorcer une colonisation agricole puis de favoriser une émigration de masse vers la Palestine et de créer une langue hébraïque moderne. Natonek ne donne pas de nom à son projet : on ne peut pas parler de sionisme, puisque le terme n’existe pas encore. Personne ne suit Natonek : l’alliance israélite universelle refuse ses plans en 1866 et se borne à aider, via des initiatives philanthropiques, les juifs ottomans de Palestine, ceux du “vieux peuplement” ou “vieux yishuv”. Natonek, dépité, se retire de tous les débats que ses idées avaient lancés. Deux membres de sa famille partent en Palestine pour fonder une colonie agricole, la toute première de l’histoire du sionisme.

Moïse Hess

SionismeLe socialiste allemand de confession juive Moïse (Moshe) Hess, issu de l’écurie des Jeunes Hégéliens comme Karl Marx (avec qui il se disputera), observe, après 1848, l’agitation politique que suscitent les mouvements nationaux partout en Europe, surtout en Italie, en Pologne et dans les Balkans. Il voyait la faiblesse du judaïsme dans son particularisme, face à un christianisme qui se voulait universel (positions assez différentes de celles, bricolées, d’un Bernard-Henri Lévy qui, lui, voit des peuples goyim indécrottablement “particularistes” ou “vernaculaires” et un judaïsme essentiellement universaliste). Errant dans un espace idéologique sans limites perceptibles, dans un flou conceptuel, le socialisme de Hess l’induit d’abord à lutter pour l’émancipation du prolétariat, indépendamment de toute appartenance religieuse. Plus tard, il revient au judaïsme, noyau religieux de la “nationalité juive”, et réclame le droit des juifs à avoir un État à eux puisque personne ne veut les assimiler, les accepter. Il en déduit que les juifs sont inassimilables et que cette “inassimilabilité” — qu’il juge finalement positive — caractérise leur nationalité, en même temps que leur particularisme. Par conséquent, il pense que la France, qui a défendu les Maronites de Syrie contre les Druzes avec l’aide des guerriers d’Abdel Khader, pourrait aider les juifs d’Europe à se créer un foyer au Levant qui, en même temps, serait un modèle de société socialiste et égalitaire. Il n’est pas pris au sérieux par la majorité de ses co-religionnaires d’Europe occidentale et centrale qui le prennent pour un utopiste (exactement comme Marx !).

Leo Pinsker

SionismeAvant le manifeste de Theodor Herzl, qui lancera le sionisme proprement dit, une idée motrice émerge dans le monde intellectuel juif, chez un certain Leo Pinsker : celui-ci préconise un “retour à la normalité”. Il argumente : c’est parce que les juifs ne sont pas “normaux” qu’il y a de l’antisémitisme. Si les juifs revenaient à une “normalité” qu’ils partageraient avec les autres citoyens des États dans lesquels ils vivent, l’antisémitisme n’aurait plus raison d’être. Or l’antisémitisme devenait virulent en Europe orientale : les pogroms se succèdaient en Russie et la Roumanie, devenue indépendante, ne reconnaissait pas les juifs comme citoyens ; de même, les émeutes et les pillages antijuifs, commis par les Européens de souche et les autochtones arabo-berbères en Algérie française se multiplient dans les années 90 du XIXe siècle. L’idée sioniste, avant la lettre, trouvera par conséquent un large écho en Roumanie. Parmi les tout premiers immigrants juifs du “nouveau yishuv”, on comptait beaucoup de ressortissants des ghettos de Roumanie, mal accueillis par leurs coreligionnaires du “vieux yishuv”. Quant aux juifs de Russie, la route de l’immigration leur est barrée en 1893 par ordre du Sultan, qui craint que les Russes appliquent l’idée purement tactique du Prince de Ligne et de Napoléon, en créant, par l’envoi massif de juifs de Russie, un judaïsme fidèle à l’ennemi slave sur le flanc sud de l’Anatolie turque. Par la volonté du Sultan, les juifs russes ne peuvent donc plus acheter de terres en Palestine. En 1890, Nathan Birnbaum forge le mot de “sionisme” dans la revue Kadima, en faisant référence à la colline de Sion à Jérusalem. Mais Birnbaum abandonne bien vite l’idée sioniste : il plaidera pour l’éclosion de “judaïsmes nationaux”, notamment en Allemagne, dont la langue serait le yiddisch et non pas un “nouvel hébreu” comme l’avait demandé Natonek. Il tranche ainsi à sa manière le dilemme activisme / quiétude : il replonge dans les traditions juives/yiddish tout en refusant l’activisme sioniste/moderniste (et “simili-goy”). Mais Herzl est un disciple de Birnbaum, qui ne retient que l’idée de revenir à la colline de Sion, d’y créer un État où les juifs pourraient vivre la vie de citoyens modernes normaux, selon les critères préconisés par Pinsker (et aussi, avant lui, par Hess).

Théodore Herzl

SionismeJusqu’à la parution du petit livre de Théodore Herzl en février 1896, intitulé L’État juif, le sionisme est une idéologie vague et confuse, affirmée puis critiquée, acceptée puis reniée. Le livre de Herzl n’était pas moins confus car il ne disait rien de précis sur le site géographique de ce futur et très hypothétique “État juif”. Il pourrait se situer en Palestine mais aussi ailleurs dans le monde. Son manifeste, bien que confus, attire quelques personnalités influentes (Nordau, Kahn, Lazare, Goldschmidt, Montagu, etc.) et recueille les signatures de milliers d’étudiants juifs d’Europe centrale. Mais les assimilationistes et les quelques colons de Palestine (issus du mouvement ‘Hovevei Zion) ne le soutiennent pas, parce qu’ils craignent d’éveiller un nouvel antisémitisme ou de voir les frontières des vilayets ottomans du Levant se fermer à tous nouveaux arrivants par crainte d’une submersion. Herzl développe alors une véritable “diplomatie sioniste” tous azimuts pour tenter, vaille que vaille, d’arriver à ses fins, avec l’appui, non pas d’une bourgeoisie juive assimilationiste, mais de dizaines de milliers de petites gens qui n’ont guère d’espoir d’avancer socialement, surtout en Pologne, en Russie et en Roumanie. Cette agitation autour de Herzl va, suite au “Congrès de Bâle” d’août 1897, donner naissance au sionisme moderne, autonome, capable, théoriquement, de faire avancer ses idées sans le soutien d’une puissance impériale. Guillaume II d’Allemagne, qui n’est certainement pas antisémite, décourage cette volonté romantique de faire l’alya (le retour à la Terre de Sion) pour ne pas heurter son nouvel allié turc. Les Russes, qui auraient pu pratiquer à leur profit la politique jadis préconisée par le Prince de Ligne ou Napoléon, répugnent à le faire. Le rêve sioniste de Herzl ne pourra cependant pas se concrétiser sans la “Déclaration Balfour” de 1917 qui donnera le coup d’envoi à la colonisation massive des terres de Palestine par des colons juifs venus d’Europe après la première guerre mondiale, surtout de Russie (ceux qui refusaient la bolchevisation de l’Empire des Tsars comme Jabotinsky) et d’Europe centrale, après les réactions hongroises et roumaines contre le régime “judéo-bolchevique” de Belà Kun à Budapest.

Conclusion

SionismeLes origines de cette idée sioniste, assortie d’une volonté de créer un nouvel État au Levant, sur territoire ottoman, ne sont cependant pas juives au départ. Elles résultent de calculs froids et cyniques de militaires européens soucieux de briser la cohérence territoriale de l’Empire ottoman en enfonçant, tel un coin, une entité nouvelle, à leur dévotion, entre l’Égypte et l’Anatolie : cette entité envisagée a été tour à tour juive, avec de Ligne et Napoléon, puis arabe, avec Abdel Khader ou les Maronites occidentalisés. Pendant la Première Guerre mondiale, les Britanniques avaient d’ailleurs parié sur les deux : sur les Hachémites avec Lawrence d’Arabie, sur les juifs avec la “Jewish Legion” et la “Déclaration Balfour”. Par conséquent, il ne serait pas faux d’affirmer que tout sionisme pratique découle d’un calcul stratégique non juif, parfaitement impérial, destiné à contrôler le Levant et à affaiblir et l’Égypte (grande puissance potentielle au temps de Mehmet Ali) et la Turquie ottomane : le “sionisme” des non juifs n’est pas au départ une volonté de faire du “favoritisme” au bénéfice des juifs ; ce n’était ni le cas hier, où l’on était parfois naturellement cynique, ni le cas aujourd’hui, où l’on camoufle ses hypocrisies derrière une façade d’humanisme; le mobile principal est d’avoir une population, quelle qu’elle soit — au départ exogène (les Algériens d’Abdel Khader ou les juifs sionistes) ou minoritaire, en conflit avec son environnement géographique et historique — mais qui puisse toujours servir à créer un État-bastion pour disloquer les territoires de l’ancien Empire ottoman, pour empêcher la soudure Égypte - Anatolie, pour tenir l’ensemble de la Méditerranée jusqu’à son “bout” sur les côtes du Levant, pour garder les approches du canal de Suez, pour avoir une fenêtre sur la Mer Rouge (le port d’Élat à côté d’Akaba en Jordanie). L’attitude de la Grande-Bretagne de Lloyd George, désireuse d’affaiblir les Turcs et de créer une zone-tampon en lisière du Sinaï et du Canal de Suez, pour protéger le protectorat britannique sur l’Égypte, ne relève pas d’un autre calcul.

Les Anglais, toutefois, voulaient un “foyer” juif et non un État juif car ils devaient ménager leurs protégés arabes grâce auxquels ils avaient pu chasser les Turcs du Levant. L’idée de “foyer” permet d’avoir un territoire disloqué, présentant une mosaïque de diversités, sans cohésion aucune et donc plus facilement contrôlable. Les sionistes d’extrême-droite, dont l’idéologue principal fut au départ Vladimir Jabotinsky, voudront un État en bonne et due forme et ne se contenteront pas d’un simple “foyer”, immergé dans une population arabe majoritaire, dont ils ne partageaient ni les mœurs ni les aspirations. Ces sionistes radicaux, qui, au fond, ne voulaient de cette mosaïque judéo-arabe envisagée par les stratèges londoniens, se révolteront contre la puissance mandataire britannique en s’inspirant des écrits de Michael Collins, le leader révolutionnaire irlandais, et de l’action de l’IRA. Jabotinsky ne suivra pas ses disciples les plus virulents sur cette voie maximaliste et terroriste : il était un officier britannique de la “Jewish Legion”, d’origine russe, fidèle à l’Entente franco-anglo-russe et hostile aux Bolcheviques de Lénine. Il restera donc loyal à l’égard de l’Angleterre. Aujourd’hui, l’État d’Israël, né en 1948, ne survit que pour une seule raison : il est la zone-tampon au Levant dont se sert une nouvelle puissance impérialiste, américaine cette fois, pour asseoir sa domination dans le bassin oriental de la Méditerranée, pour tenir l’Égypte, la Syrie et, éventuellement, la Turquie en échec.

La preuve la plus tangible de cette inféodation d’Israël à l’hegemon américain est, bien entendu, la présence permanente de la flotte US de la Méditerranée, qui y a évincé toutes les flottes européennes riveraines, faisant automatiquement de l’État d’Israël la “tête de pont” de cette redoutable flotte au fond de cette mer qui s’enfonce très profondément dans les terres “eurafricaines” et qui, par cette configuration géographique, a acquis pour l’éternité une importance stratégique cardinale. Les Israéliens lucides, dubitatifs face aux outrances de leurs gouvernants ou de leurs extrémistes, savent que ce statut d’État-tampon est fragile sur le long terme : d’une part, ils craignent aujourd’hui que les États-Unis ne reviennent à leur ancienne alliance avec l’Iran, situation qui les déforcerait considérablement, déplorent le chaos créé en Syrie, savent que les États-Unis ne peuvent indéfiniment froisser le monde arabo-musulman, où ils perdraient alors tous leurs avantages stratégiques. D’autre part, ces Israéliens lucides commencent à réfléchir sur la fragilité des mythes sionistes (pures fabrications ?) avec l’école dite “post-sioniste” qui développe une critique argumentée de l’idéologie et des pratiques du sionisme réellement existant et s’interroge sur la substantialité réelle de toute la mythologie politique de l’État d’Israël, né au lendemain de la seconde guerre mondiale par l’afflux des “personnes déplacées”, suite aux expulsions et déportations qui ont tragiquement marqué les années 1945-1950, où l’Europe n’était qu’un champ de ruines où régnait la misère et la famine. Pour pallier ces doutes et ces inquiétudes, bien présentes dans la société israélienne, les forces sionistes qui structurent l’État hébreu comptent essentiellement sur 2 facteurs : sur l’électorat juif des États-Unis et, surtout, pour faire poids et masse, sur les millions de “Christian Zionists” fanatisés par les télé-prédicateurs d’Outre-Atlantique. Tant que les juifs d’Amérique et les “Christian Zionists” seront capables d’imposer et de ré-imposer, par leurs voix, une politique pro-israélienne aux États-Unis, le rêve sioniste des innombrables juifs jadis manipulés par les grandes puissances restera réalisable mais dans la douleur et dans une tension permanente, harassante, décourageante.

► Robert Steuckers (Forest-Flotzenberg, Fessevillers, Genève & Nerniers, avril 2010 ; rédaction finale : mars 2013).

Bibliographie :

  • Delphine BENICHOU (éd.), Le sionisme dans les textes, CNRS Editions, 2008
  • Alain BOYER, Les origines du sionisme, PUF, 1988
  • Gudrun KRÄMER, Geschichte Palästinas – Von der osmanischen Eroberung bis zur Gründung des Staates Israel, Verlag C. H. Beck, München, 2002-2006 (5. Auflage)
  • Shlomo SAND, Les mots et la terre – Les intellectuels en Israël, Flammarion / Champs, 2010
  • Colin SHINDLER, Israel, Likud and the Zionist Dream – Power, Politics and Ideology from Begin to Netanyahu, I. B. Tauris, London, 1995.
  • Zeev STERNHELL, Aux origines d’Israël, Gallimard / Folio, 1996-2005.

 

 

William Golding

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Prof. Dr. Heinz-Joachim MÜLLENBROCK:
William Golding et son anthropologie sceptique

Son oeuvre majeure, “Sa majesté des Mouches” (Lord of the Flies), est une critique fort pertinente de l’optimisme progressiste

williamgolding.jpgNé le 19 septembre 1911, William Golding peut être considéré comme le grand marginal de la littérature anglaise contemporaine. Le vécu existentiel, pour lui, a été le plus intense pendant la seconde guerre mondiale, où il a servi dans la marine —Golding était présent quand le Bismarck a coulé et au moment du débarquement anglo-américain de Normandie. Il a pris conscience de ce que les hommes pouvaient mutuellement s’infliger. Les expériences de la guerre ont conduit Golding, qui, avant les hostilités, croyait encore au perfectionnement de l’homme en tant qu’être social, à penser “que l’homme produit de la méchanceté comme les abeilles produisent du miel”. Le produit littéraire de cette grande désillusion est un roman, paru en 1954, et intitulé “Lord of the Flies” (en français: “Sa Majesté des Mouches”). Ce roman a permis à Golding d’acquérir la célébrité car il est devenu un succès international.

Les contours assez simples que prend l’action dans ce roman ne nous permettent de deviner que progressivement la grande profondeur de ce récit qui a toutes les apparences de la modestie. Un groupe d’écoliers anglais, âgés entre six et douze ans, échoue sur une île inhabitée du Pacifique. Les garçons se regroupent d’abord sous la houlette de Ralph, le raisonnable, qui permet le maintien d’un ordre social quasi démocratique. Mais, rapidement, une partie d’entre eux opte pour une autre voie, sous la direction de Jack, gamin agressif, totalement dénué de scrupules. Cette partie du groupe fait sécession.

Ces garçons, regroupés autour de Jack, se dénomment les “chasseurs” et abandonnent graduellement toutes les normes de la vie civilisée; mus par leurs instincts les plus sombres, libérés par la pratique de la chasse, ils s’adonnent à l’ivresse de verser le sang, développent une fixation barbare pour les mises à mort et transforment, finalement, l’île en un enfer, après avoir allumé des brasiers qui se transformeront en incendie général. Le film, tiré du roman et réalisé par Peter Brook en 1963 met bien en exergue la mutation des garçons en une horde de sauvages. Finalement, le groupe d’écoliers est sauvé de l’auto-annihilation par l’arrivée d’un officier de marine britannique.

L’histoire est, en apparence, toute dépourvue de prétention, mais, subrepticement, elle révèle ses visées plus hautes: en effet, peu après l’arrivée des garçons sur l’île, l’un d’eux, enthousiasmé par la beauté naturelle et exotique du lieu, s’écrie: “c’est l’Ile de Corail!”. Nous avons affaire, là, à une sorte de signal intertextuel, car ce cri, inséré dans l’intrigue, rappelle indubitablement la robinsonade victorienne de Robert Michael Ballantyne, “The Coral Island” (1858), que décrit Golding par ailleurs et en détail. “Lord of the Flies” est dès lors la première “anti-robinsonade”, parfaitement charpentée. L’auteur, en effet, recourt aux techniques d’écriture que présentent toutes les robinsonades, dans le but de les inverser, d’en réviser le contenu et la portée. Ces robinsonades ont été, pour la plupart, écrites à l’époque des Lumières, comme l’atteste d’ailleurs leur nom, dérivé de l’oeuvre de Daniel Defoë, “Robinson Crusoe” (1719), qui a servi à poser l’idéal intellectuel et social de l’homme au début du 18ème siècle.

“Lord of the Flies” entend aussi dévoiler, par le biais de la littérature, une anthropologie, dans le sens où elle rejette de manière décisive les espoirs optimistes des Lumières. Chez Ballantyne, trois garçons, très conscients de leurs devoirs, prennent sur le dos le “fardeau de l’homme blanc” (pour parler comme Kipling) et se comportent entre eux comme des gentlemen; chez Golding, au contraire, les garçons, qui portent, pour une bonne partie, les mêmes prénoms, s’avèrent incapable de maîtriser la situation exceptionnelle dans laquelle ils se trouvent.

Dans “The Coral Island”, le processus civilisationnel, reproduit par les héros, est menacé de l’extérieur par des sauvages et des pirates; dans le roman de Golding, les sources de la menace du Mal ne proviennent pas de l’extérieur mais de l’intériorité même de ses jeunes compatriotes. L’anthropologie sceptique de Golding acquiert toute sa pertinence dans la mesure où, dans “Lord of the Flies”, les enfants —généralement, dans toutes les robinsonades, les héros jeunes incarnent l’innocence— recèlent en eux le Mal.

“Lord of the Flies” est donc l’antithèse radicale de la robinsonade de Ballantyne, qui, elle, enjolivait l’aventure colonialiste anglaise. Mais elle ne constitue pas pour autant un manifeste anti-impérialiste. Les visées de l’auteur sont plus profondes: elles cherchent à saisir plus généralement les déficits constitutifs de l’humanité. Le principal impact de “Lord of the Flies” est d’avoir démontré que le vernis, auquel finalement se réduit notre civilisation, est très superficiel et n’offre, en fin de compte, qu’une protection bien insuffisante contre la brutalité innée de l’être humain. A plusieurs reprises, Golding a souligné que tous les pays et toutes les cultures recèlent, au fond d’eux-mêmes, un pareil potentiel de dangerosité. L’“Oxford Dictionary of National Biography” remarque que “Lord of the Flies” n’aurait certainement jamais été écrit s’il n’y avait pas eu de Bergen-Belsen ou d’Auschwitz ou si Dresde n’avait pas été bombardée par les Alliés.

lordofthefliesbookcover_1.jpgDans “Lord of the Flies” —le titre, rappellons-le, est une traduction littérale du concept hébraïque de “Belzébuth”, le “Seigneur des Mouches”— le tête de porc fichée sur un pieu, que les “chasseurs” offrent en sacrifice pour conjurer le danger d’un “monstre” qui les menacerait, symbolise le Mal. En voyant cette tête de porc, entourée d’une dégoûtante nuée de mouches, Simon, qui finira martyr, reconnaît que l’homme lui-même est ce “monstre”, une créature déchue.

L’homme déchu est aussi le thème du récit de Golding, se déroulant dans la préhistoire, “The Inheritors” (1955). Ce récit mène l’enquête sur le Mal, depuis son émergence. “Lord of the Flies” campe l’action dans un contexte moderne (à l’arrière-plan, une guerre atomique fait rage); dans “The Inheritors”, au contraire, le Mal est décrit dans ses formes les plus originelles. Dans “Lord of the Flies”, Golding cherche à corriger un genre littéraire, véhicule traditionnel de l’idéologie progressiste. Dans “The Inheritors”, il va se poser comme l’opposant radical à l’apôtre le plus emblématique du progrès dans le monde anglo-saxon du 20ème siècle.

Si “Lord of the Flies” décrit l’île de corail (“The Coral Island”) de Ballantyne, “The Inheritors” cherche délibérément à inverser la thèse véhiculée par la nouvelle “The Grisly Folk” de H. G. Wells (1921). Dans les deux cas, le scepticisme antiprogressiste de Golding s’exprime, avec la nette intention de provoquer de manière affichée l’idéologie dominante. Dans “Lord of the Flies”, ce sont des enfants qui incarnent le Mal. Dans “The Inheritors”, les Néanderthaliens sont posés comme les victimes innocentes de l’homo sapiens, qui veut s’imposer par la violence. Le titre, qui recèle quelque ironie, cherche déjà à montrer que la Terre n’appartient pas aux doux mais, au contraire, à leurs meurtriers; l’aurore même de l’humanité est entachée de sang.

La querelle Wells/Golding n’est pas une simple dispute intellectuelle. Golding a certes tenté de réfuter la teneur idéologique de la brève nouvelle de Wells; ce dernier avait émis des remarques dénigrantes au sujet des Néanderthaliens dans “The Outline of History” (1920). Golding les cite d’ailleurs dans les prolégomènes des “Inheritors”. Ce roman acquiert dès lors sa qualité intrinsèque parce que Golding, par le biais d’une expérience littéraire audacieuse, se glisse dans la peau des Néanderthaliens, posés par Wells comme des êtres incapables de raisonner. En effet, Wells leur dénie, dans “The Grisly Folk” toute capacité de raisonnement. Golding, lui, va tenter d’interpréter le sentiment vital chtonien de ses propres Néanderthaliens, ce qu’il résussira en campant le personnage naïf de Lok, dont il interprétera les perspectives. Sur base de l’empathie conséquente qu’éprouve Golding, la domination finale des Néanderthaliens par les hommes dotés de raison et armés de quelques artifices rudimentaires de “technologie”, prend une tournure tragique. Golding démontre de la sorte que tout progrès historique englobe simultanément pertes et profits. Contrairement à l’écrivain catholique de son époque, Hilaire Belloc, Golding n’entame pas une polémique contre le principe de base énoncé par Wells, qui postule l’évolution de l’homme au départ de prémisses primitives, mais uniquement contre l’interprétation qu’en fait Wells, c’est-à-dire celle d’un développement parfaitement libre qui ne connaît ni crises ni sauts qualitatifs provisoires.

A partir de la rédaction de son amère robinsonade à héros unique, “Pincher Martin” (1956), Golding illustre sa thématique générale, celle du caractère inné du Mal en l’homme, non plus de manière collective mais de manière individuelle. Dans sa rude présentation de la situation de l’homme dans le monde, basée sur des fondements religieux, la rédemption, par la mort de Jésus Christ, ne joue aucun rôle concret et améliorant, vu tout l’arrière-plan éminemment négatif sur fond duquel se déploie l’aventure humaine.

Golding, à qui on attribua le Prix Nobel de littérature en 1983, est resté, sa vie durant, un isolé difficile à cerner sur la scène littéraire britannique. Il était populaire parmi ses contemporains et se désintéressait des problèmes réels de la société britannique. La critique que formule Golding à l’endroit de la civilisation a des fondements religieux: elle se borne à dévoiler, sans illusion aucune, la fragilité intrinsèque de l’homme et nous laisse en héritage un savoir profond qui devrait demeurer durable en nos esprits, et ce n’est pas là le moindre mérite de son oeuvre vu la superficialité de la pensée actuelle: la société humaine n’est ni améliorable ni perfectible par l’action d’une quelconque “ingénierie sociale”.

Prof. Dr. Heinz-Joachim MÜLLENBROCK.
(article paru dans “Junge Freiheit”, Berlin, n°38/2011; http://www.jungefreiheit.de ).

Le Prof. Dr; Heinz-Joachim Müllenbrock est professeur ordinaire retraité de langue et littérature anglaise à l’Université “Georg-August” de Göttingen.

Injures littéraires

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Dictionnaire des injures littéraires
 
Marc Laudelout
 
Nul doute que Pierre Chalmin s’est diverti à composer cet épais dictionnaire. Ce travail de Romain suppose des heures de lecture ainsi qu’une vaste culture littéraire — qualité dont l’auteur n’est pas dépourvu. Pas moins que du sens de l’humour. Ainsi se définit-il lui-même « dramatique auteur français» (!) et imagine-t-il un « Merlin Charpie » (anagramme de son nom) le traitant plus bas que terre. Certes, ce genre de recueil a déjà été édité. Citons celui de Sylvie Yvert qui a rencontré un certain écho ¹ et, plus récemment, L’Art de l’insulte joliment illustré par Yann Legendre ². Balayant largement les époques et les cultures, cette anthologie propose un réjouissant panorama de l’injure littéraire. Dont Céline n’est évidemment pas absent, avec l’inévitable philippique à Jean-Paul Sartre. Il s’y trouve – excusez du peu – en compagnie de Rimbaud, Baudelaire, Scarron, Rabelais, Molière, Apollinaire, Genet, Artaud, Bloy, Shakespeare, Aristophane, pour ne citer que les plus grands.
Mais ces deux livres supportent difficilement la comparaison avec l’imposant volume proposé par Pierre Chalmin : 700 pages agrémentées d’un précieux « index des insulteurs». Céline y est cité plus de quarante fois. Comme ses saillies sont bien connues des lecteurs du Bulletin, je signalerai plutôt les insultes qu’à son tour il dût encaisser : de Jean Renoir qui voit en lui un « Gaudissart de l’antisémitisme» à Elias Canetti qui le traite de « paranoïaque» en passant par un certain Ferron qui le considère « menteur, mythomane et peut-être fou», la récolte est belle. Encore que je ne voie pas bien en quoi le commentaire de Marcel Aymé (brocardant gentiment son antisémitisme) et celui de Jünger (constatant qu’il n’eut pas le même destin que Brasillach) soient vraiment injurieux. Mais sans doute faut-il tenir compte d’un imperceptible second degré...

Un des attraits du livre est de mettre en valeur des ouvrages contenant des pépites, comme le Journal de Paul Morand et celui de Matthieu Galey. Ou les critiques d’Angelo Rinaldi – celles de L’Express– étincelantes de fiel ³. Ainsi, à propos de Hervé Bazin : « Une si scrupuleuse absence d’art, qui équivaut à fournir le moteur sans le capot, sans la carrosserie, voire sans la voiture, méritait à la longue d’être relevée. » Ou à propos de Roger Peyrefitte : « Un grand méchant loup pour revue de L’Alcazar, l’œil concupiscent sous les coiffes de dentelles, et fouillant de sa patte sénile la culotte du Chaperon rouge.»

Comme tout dictionnaire, ce n’est évidemment pas un ouvrage qu’on lit d’une traite. On le butine plutôt, happant ici et là des bonheurs d’écriture. Je l’ai déjà indiqué, les pointes de Céline reprises dans cette anthologie sont archi connues, à l’exception de celle sur Malraux : « Il me semblait splendidement doué et puis il a manqué de pudeur, d’autocritique et de véritable expérience, il s’est pris au sérieux. À présent il est devenu tout à fait putain. Je ne crois plus qu’il en sortira rien. Des vagues bafouillages orientaux et prétentieux et gratuits. » Prescience de Céline ! Il écrit cela en 1934 dans une lettre privée. Ce qui ne l’empêchera pas de saluer dans Bagatelles le Malraux qu’il estimait : celui des Conquérants parus dix ans plus tôt.

Dans sa préface, Chalmin n’a pas tort de relever un certain dépérissement du genre : « On insulte aujourd’hui en se taisant, conspirant les silences : c’est un progrès qui confine à l’imitation des anémones. » Céline, lui, n’a jamais pu se taire. Inconscience mais aussi bravade sans lesquelles il ne serait pas ce génie de l’invective qui lui valut et lui vaut encore tant d’opprobres.

Marc LAUDELOUT

• Pierre Chalmin, Dictionnaire des injures littéraires, l’Éditeur, 2010, 734 pages (29 €)

1. Sylvie Yvert, Ceci n’est pas de la littérature… Les forcenés de la critique passent à l’acte, Éditions du Rocher, 2008, 222 pages.
2. Elsa Delachair, L’Art de l’insulte. Une anthologie littéraire, Éditions Inculte, 2010, 208 pages
3. Son dernier livre, Dans un état critique (Éd. La Découverte) rassemble 120 chroniques parues entre 1998 et 2003.

 

Rencontre avec Fançois Gibault

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 Archives 2009

Rencontre avec François Gibault

 

Avec son affabilité coutumière, François Gibault nous reçoit chez lui, au premier étage de ce bel hôtel particulier jouxtant le cinéma « La Pagode ». Étonnant personnage que ce libertaire de droite, catholique, colonel de réserve, amateur éclairé de peinture moderne et d’art lyrique.  Pénaliste réputé, il cumule deux passions : Céline (le biographe est devenu président de la Société des Études céliniennes) et Dubuffet (il en administre la Fondation). Il vient de terminer son troisième roman, Un nuage après l’autre, et prépare l’édition de la correspondance de Céline au pasteur Löchen.

 

Comment se porte la Société des Études céliniennes ?

 

Elle se porte bien. Comme vous le savez, l’essentiel de nos activités, ce sont les colloques qui se tiennent tous les deux ans et qui sont une grosse machine à organiser intellectuellement et matériellement. Ensuite, l’année suivante, c’est la publication des Actes. Le colloque de l’année dernière a été un beau succès, une réunion extrêmement fructueuse pour tout le monde. Nous étions, comme d’habitude, une quarantaine venus, sinon de tous les pays, du moins de tous les continents. Cela avait été remarquablement organisé par l’Institut français de Budapest, et les débats furent passionnants. Il faut dire que le thème était, je crois, très bien choisi : « Céline et la médecine ». Thème double puisque c’était à la fois « Céline médecin » et « La médecine dans l’œuvre ». Les actes viennent d’être publiés ¹. Maintenant, nous travaillons sur le prochain colloque qui aura lieu en France, dans un an, puisque l’usage est l’alternance. Ce sera sans doute Paris, et nous aurions voulu que ce soit au Val de Grâce, mais cette administration vient de refuser pour les raisons que vous imaginez. Le thème en sera « Céline et la guerre » comme cela a été décidé lors de l’assemblée de juillet dernier.

 

En tant que représentant de l’ayant droit, pouvez-vous susciter d’autres manifestations, telle une grande exposition Céline à la Bibliothèque nationale ?

 

C’est envisageable, mais il y a des réticences : les pouvoirs publics ne sont pas très chauds pour organiser quelque chose sur Céline. Ou alors il faudrait un grand événement. Il aurait fallu faire cela au moment du centenaire de la naissance de l’écrivain, mais vous savez que cet anniversaire n’a même pas été mentionné dans la brochure des commémorations éditée chaque année par le Ministère des Affaires culturelles.

 

Beaucoup de céliniens regrettent que les trois entretiens filmés de Céline ne soient pas commercialisés sous la forme de DVD.

 

Ça, c’est tout à fait envisageable, d’autant que Frémeaux vient de publier, sous la forme de disques compact, une lecture intégrale du Voyage au bout de la nuit ². C’est une idée excellente et cela pourrait être une action possible de la société. Par ailleurs, il existe un projet cinématographique d’adaptation du Voyage. Cette fois-ci, ça a l’air sérieux, le contrat est signé mais je n’ai pas encore pu rencontrer le réalisateur François Dupeyron qui est en train de travailler sur le scénario. Vu l’importance de l’œuvre, je crois qu’il envisage de faire un film en deux épisodes. Étant donné son intérêt pour la Première guerre mondiale, je crois qu’il va s’attacher surtout à la première partie du livre, nous verrons bien...  Quoiqu’il en soit, je dois le rencontrer pour veiller au respect du droit moral (vous savez qu’il y a plusieurs manières d’adapter une œuvre), et pour veiller aussi au choix des acteurs... Mais je le crois soucieux d’être très fidèle à l’esprit de l’œuvre, et je ne me fais guère de souci à ce sujet.

 

Comment se porte l’œuvre de Céline en librairie ?

 

Elle se porte admirablement. Le meilleur indicateur, c’est précisément le nombre d’exemplaires de Voyage par an vendus en poche, car vous savez qu’on ne vend plus qu’en poche pratiquement — et en Pléiade, mais ça c’est un autre public. Le grand public, lui, n’achète plus qu’en poche. On ne vend presque plus d’exemplaires en collection « Blanche ». On vend plus de 40.000 exemplaires par an, ce qui est énorme. On en a vendu un peu plus l’année où le manuscrit de Voyage s’est vendu aux enchères publiques : là, il y a eu une espèce de rebond. Il s’en est vendu plus de 50.000 exemplaires. Je pense que Voyage est une des œuvres classiques qui se vend le mieux. Plus de 70 ans après sa parution, il n’a pas pris une ride et c’est encore un best-seller. À titre de comparaison, Mort à crédit se vend à 10.000 exemplaires environ chaque année.

 

Quid d’une édition scientifique des pamphlets ?

 

C’est le serpent de mer, ça revient toujours, on en parle tout le temps, mais vous savez que Madame Destouches est opposée à cette réédition, sinon ça serait fait depuis longtemps. En tout cas, il n’y a pas de projet précis. Compte tenu du climat actuel, je crois que cela serait très mal vu et même considéré comme une sorte de provocation. Céline, de son vivant, ne voulait pas cette réédition, et Madame Destouches ne fait que respecter les intentions de son mari.

 

Avec tout de même une exception : Mea culpa.

 

Mea culpa, c’est autre chose. C’est un texte très court, très élaboré et aussi anticommuniste. Longtemps, elle s’est opposée à cette réédition. Je l’ai beaucoup incitée à accepter une nouvelle publication.

 

Par ailleurs, on pourrait envisager une réédition partielle des pamphlets. Je n’aime pas beaucoup cela car c’est une façon de trahir l’auteur. Cela étant, j’avais comme idée de republier la fin de Bagatelles (la partie qui concerne l’URSS) avec Mea culpa. On pouvait faire un très beau livre.

 

De toute façon, le livre n’est pas interdit puisqu’on peut le trouver notamment sur les quais, souvent en édition pirate. Ce livre est en circulation : les éditions originales ne sont pas interdites de vente.

 

N’y a-t-il pas  un  manque  de cohérence de la part de l’ayant droit qui  interdit  certaines  choses et en autorise d’autres (les lettres aux journaux de l’Occupation, la préface de L’École des cadavres, etc.) ?

 

J’ai toujours poussé Madame Destouches à accepter un maximum de choses, y compris les adaptations, bonnes ou mauvaises, car c’est intéressant de faire vivre une œuvre. On a laissé passer un certain nombre de choses y compris les abus de citation. Madame Céline laisse faire. On ferme un peu les yeux. Les pamphlets, cela fait partie de l’œuvre. Ce sont des textes extrêmement violents, mais ils sont intéressants du point de vue de la langue et du style. Il y a de très belles pages et puis aussi, il faut le dire, des pages beaucoup plus faibles. Mais il y a des envolées extraordinaires, ce n’est pas contestable.

 

Quand paraîtra la correspondance de Céline au Pasteur Löchen ?

 

Tout est prêt depuis longtemps, sauf la préface. Entre-temps, le pasteur Löchen est décédé, comme vous le savez ³. J’étais devenu très proche de lui, et sa disparition m’a fait beaucoup de peine. Ce fut affreux, d’autant qu’il est mort avant sa femme qui était grabataire. C’est lui qui s’en occupait. Ils n’avaient qu’un seul désir : c’était de mourir ensemble. Il est mort un mois avant sa femme. À sa demande, je suis allé le voir à Metz, une semaine exactement avant sa mort. C’est là qu’il m’a demandé de prendre la parole lors de son enterrement pour dire quel avait été son rôle dans la défense de Céline, ce que j’ai fait, bien évidemment.

 

Chaque fois qu’il y a des vacances judiciaires, je me dis que je vais les utiliser à rédiger cette préface. Je dois aussi classer les lettres par ordre chronologique. Au début, les lettres sont datées ou faciles à dater car elles se rapportent à des événements. Ensuite les lettres sont très difficiles à dater, car elles ne comportent aucun repère permettant de les situer dans le temps.

 

Il s’agit d’une correspondance très intéressante, car on y voit le changement de ton. Au début, les lettres sont respectueuses (« vous homme de Dieu, moi mécréant »), puis elles deviennent plus débridées et plus cordiales. Il est amusant de voir l’évolution de cette correspondance.

 

Y a-t-il d’autres projets ?

 

J’ai un projet personnel : j’aimerais faire quelque chose sur Céline et Dubuffet. Comme vous le savez, j’ai l’honneur de défendre deux œuvres : Céline en littérature, Dubuffet en peinture, puisque je suis Président de la Fondation Dubuffet.  Dubuffet était un homme aux talents multiples : peintre, lithographe, sculpteur, graveur, mais c’était aussi un grand écrivain, ce qu’on oublie souvent. Je ne désespère pas un jour de le faire entrer dans la Bibliothèque de la Pléiade. C’est une autre affaire. Il y a de vraies correspondances entre les deux hommes. Il y a des fils secrets entre ces deux êtres : ils étaient libres et ont travaillé seuls, ne subissant aucune influence et n’ayant pas de suiveurs. Ils sont aussi créateurs d’un style, ce qui est rare, se moquant de l’opinion qu’on avait d’eux. Ils ont aussi chacun commencé très tard avec une première vie professionnelle : l’un comme médecin, l’autre comme marchand de vins. Dubuffet a commencé son œuvre à plus de 40 ans et Céline a publié Voyage alors qu’il avait à peu près cet âge. Leurs parcours sont assez comparables. J’avais pensé intituler ma biographie « Céline, cavalier seul ». Cette appellation peut également convenir à Dubuffet. En fait, ce sont deux anarchistes très partisans de l’ordre. La seule différence, c’est que si Dubuffet avait une grande admiration pour Céline, l’inverse n’était pas vrai. Que ce soit en peinture, en littérature ou en musique, Céline avait, comme vous le savez, des goûts classiques. Cela étant, on trouve dans leur œuvre des propos comparables quant à l’aspect révolutionnaire de l’art. Dans Asphyxiante culture 4, Dubuffet affirme que l’artiste doit être un révolutionnaire, qu’il est là pour faire avancer les choses, pour chambouler ce qui existe. On trouve une idée comparable dans Voyage au bout de la nuit. Ils ont aussi en commun un côté viscéralement français et, bien entendu, le génie car Dubuffet, lui aussi, était un génie. Un jour, je ferai une communication sur Céline-Dubuffet lors d’un colloque.

 

Votre confrère Jacques Vergès a écrit : « Admirer  Céline  à une époque où règne  la  pensée unique et le  terrorisme intellectuel est  presqu’un  délit ».  Le  fait de vous  être  intéressé de  près à Céline vous a-t-il valu des inimitiés, notamment dans le monde judiciaire ?

 

Absolument pas. Cela tient au fait que je crois avoir écrit une biographie objective de Céline, ne dissimulant aucun des documents que j’ai découverts lors de mes recherches. Ainsi, l’Ordre des médecins des Yvelines m’a donné connaissance du dossier de Louis Destouches. J’y ai trouvé une lettre qui n’est pas à la gloire de Céline et que j’ai reproduite dans le deuxième tome de ma biographie, alors que personne ne la connaissait et que j’aurais pu la passer sous silence 5. On m’a souvent dit qu’il s’agissait d’une biographie à l’anglaise ou à l’américaine. Les gens qui auraient pu me reprocher de m’occuper de Céline me rendent justice. J’ai essayé de montrer Céline tel que je le voyais et, je le pense, tel qu’il était.

 

N’avez-vous pas l’impression que la condamnation morale de Céline est paradoxalement  plus  forte aujourd’hui que dans les années d’après-guerre ?

 

C’est un peu normal : pendant les années d’après-guerre, on ne n’est pas beaucoup occupé de cet aspect de la Seconde guerre mondiale. C’est ensuite que les historiens s’en sont occupés.

 

Nul doute que sa responsabilité est engagée : il faut reconnaître que certaines phrases de Bagatelles pour un massacre sont insoutenables. Cela étant, quand on fait un livre en ne citant que ces phrases là et en gommant tout le reste, comme l’a fait M. Rossel-Kirschen 6, on arrive à faire de Céline une espèce de monstre. Sur le plan intellectuel, la méthode est inacceptable et condamnable.

 

Dans la préface des Lettres de prison, vous écrivez : « Céline, mieux que  tout  autre, savait  qu’il  n’avait pas voulu l’holocauste  et  qu’il n’en avait pas même été l’involontaire instrument. Il savait aussi qu’il n’avait en rien collaboré ». D’autres biographes de Céline estiment, au contraire, qu’il a collaboré. Tout dépend évidemment de ce que l’on entend par « collaboration »...

 

Évidemment. Céline a « collaboré » comme d’autres écrivains français qui ont fini à l’Académie. Ceci dit, son dossier de collaboration n’est guère consistant. Outre certaines lettres aux journaux (surtout celles écrites en 1942 et 1943), ce qu’on peut surtout lui reprocher c’est d’avoir permis la republication des pamphlets sous l’Occupation. Et on ne peut pas uniquement imputer cela à son éditeur, Robert Denoël. On connaît la lettre de Céline à Karl Epting réclamant du papier pour permettre la réédition de ces textes. Ceci, à une époque où la rafle du Vel’ d’Hiv avait eu lieu. Les déportations étaient connues, même si le sort réel des déportés, lui, ne l’était pas.

 

Ainsi,  vous pouvez donc comprendre que vous choquez certaines personnes lorsque vous écrivez : « Céline apparaît fragile, sensible comme un enfant, souffrant de toutes les misères, tragique et désespéré. »

 

Oui, j’en ai pris, pardonnez-moi l’expression, plein la gueule lorsque, sur un plateau de télévision, j’ai dit que Céline était un humaniste 7. Or, Voyage au bout de la nuit est bien le livre d’un humaniste, c’est évident. Céline était un être très contradictoire :  avare et généreux, anarchiste et homme d’ordre, pour ne citer que ces deux aspects.

 

À cet égard, vous vous êtes d’ailleurs trouvé des points communs avec lui.

 

En effet, je suis bourgeois et anarchiste. Et surtout un émotif rentré, si je peux m’exprimer ainsi. Lorsque j’étais enfant, j’étais d’une extrême sensibilité. Comme Céline, j’ai compris que c’était un immense défaut et qu’il fallait rentrer tout cela, ne pas le montrer, se durcir pour ne pas être vulnérable et prendre tous les mauvais coups. Cela étant, il faut se garder, lorsqu’on est biographe, de se laisser aveugler par les points communs et éviter de faire une sorte d’autoportrait.

 

Comment voyez-vous le petit monde des céliniens ? Il est pour le moins pittoresque, non ?

 

En effet, mais je crois qu’il en est ainsi dans d’autres sociétés littéraires où l’on trouve également ces aspects de jalousie, de compétition, des petites chapelles, etc. En ce qui me concerne, j’ai un avantage : je suis bien avec tout le monde, que ce soit avec vous, avec Philippe Alméras, ou avec Henri Godard. Et je laisse chacun s’exprimer. Je pense que c’est une condition absolue pour être président de la Société des Études céliniennes. Je m’efforce de ne rentrer dans aucune bagarre. Je ne suis même pas arbitre :  je suis au-dessus de toutes ces querelles.

 

Quant à mon admiration pour Céline, je puis vous dire qu’elle va en grandissant. Chaque fois que je relis Voyage, je découvre des choses nouvelles. Ainsi, j’ai un exemplaire où je souligne les passages qui suscitent mon admiration. Tout le livre va finir par être souligné !  Vous savez que j’ai enterré récemment mon confrère Jean-Marc Varaut. Peu de temps avant sa mort, il m’avait demandé de lui faire la lecture car il ne pouvait plus tenir un livre. Au téléphone, je lui ai dit : « Je vais te lire des passages de Voyage au bout de la nuit ». Il était réticent. J’ai insisté, et je lui ai lu des passages choisis (la guerre, l’Afrique et un passage sur l’Amérique). Il écoutait, manifestement bouleversé. Et, à la fin, il m’a dit : « Comme je regrette d’être passé à côté de cette œuvre ! » C’était extrêmement émouvant pour moi.

 

Pour conclure, j’aimerais vous demander des nouvelles de Madame Destouches...

 

Vous savez qu’elle a 93 ans. Mais je puis vous assurer qu’elle est très présente, magnifique, ayant même « rajeuni » ces dernières années. Elle avait connu un passage difficile, une sorte de dépression.  Aujourd’hui, elle sort à nouveau. Elle a passé quelques jours l’été dernier dans la suite « Marcel Proust » à Cabourg. Elle va à des expositions, des spectacles de ballets, dîne au restaurant ou chez des amis. Elle fait des choses qu’elle avait vraiment cessé de faire, ce dont je me réjouis.

 

Propos recueillis parMarc LAUDELOUT

 

Notes

 

1. Actes du Quinzième colloque international Louis-Ferdinand Céline. Médecine (Budapest, 9-11 juillet 2004), Société d’études céliniennes, 2005, 270 pages, couverture illustrée. Tirage limité à 150 exemplaires. Disponible auprès du Bulletin célinien. Prix : 73 euros, frais de port inclus. Couverture reproduite en dernière page.

 

2. Voyage au bout de la nuit. Texte intégral interprété par Denis Podalydès, coffret de 16 CD édité par Frémeaux et Associés, 2003.

 

3. Voir M. Laudelout, « In memoriam François Löchen », in Le Bulletin célinien, n° 252, avril 2004, pp. 9-13.

 

4. Jean Dubuffet, Asphyxiante culture, Éditions de Minuit, 1986 (la première édition date de 1968).

 

5. Cette lettre a été reproduite, page 223, dans le deuxième tome de la biographie de Céline (Délires et persécutions, 1932-1944) par François Gibault, publiée en 1985 au Mercure de France.

 

6. André Rossel-Kirschen, Céline et le grand mensonge, Éd. Mille et une nuits, 2004.

 

7. Allusion au débat qui l’opposa à Guy Konopnicki dans l’émission Rive droite, rive gauche de Thierry Ardisson sur la chaîne Paris-Première, le 15 octobre 1997. La transcription de ce débat a paru  dans Le Bulletin célinien, n° 182, décembre 1997, pp. 11-15 ; 17 et 19.

 

 


Jünger/Allemagne secrète

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Antonio GIGLIO:

Jünger et l'Allemagne secrète

 

juenger-DLA-mantel-DW-Politik-Stuttgart.jpgLa polémique qui s'est déclenchée à propos d'Ernst Jünger, remet à l'avant-plan, une fois de plus, les fan-tasmes nés de la guerre civile européenne et du passé qui ne passe pas, mais, pire encore, les fan-tasmes plus insidieux générés par l'incompréhension totale de nos contemporains face à l'histoire poli-tique et culturelle de ce siècle. A Jünger qui est aujourd'hui, à 100 ans, le plus grand écrivain européen vi-vant, on a reproché d'être, dans le fond, un complice des nazis. Pour clarifier cette question, il nous appa-raît opportun de récapituler, depuis le début, l'histoire des activités politiques et culturelles de Jünger, le héros de la Première Guerre mondiale, un des rares soldats de l'armée impériale, avec Rommel, à avoir reçu la plus haute décoration militaire allemande, l'Ordre ³Pour le Mérite². Le thème des premières ¦uvres littéraires de Jünger est l'expérience de la guerre, dont témoigne notamment son célèbre roman Orages d'acier.  Ces livres de guerre lui ont permis de devenir en peu de temps l'un des écrivains les plus lus et les plus fameux de l'Allemagne. En outre, Jünger est rapidement devenu l'un des chefs de file du nouveau nationalisme, suscité par les conditions de paix très dures imposées à l'Allemagne. Il réussit à forger une série de mythes politiques représentant la synthèse ultra-révolutionnaire de tout ce que la droite allemande avait produit à cette époque.

 

L'écrivain évoluait entre les bureaux d'études de l'armée, les groupes paramilitaires et nationaux-révolu-tionnaires, et réussissait à fusionner plusieurs projets politiques: celui du philologue Wilamowitz visant la création d'un Etat régi par un Ordre ascétique ou une caste sélectionnée d'hommes de culture et de science, celui de Spengler visant le contrôle et la domination des nouvelles formes technologiques en train de transformer le monde, celui du poète Stefan George chantant une nouvelle aristocratie, celui de Moeller van den Bruck axé sur la nécessité de rénover de fond en comble le ³conservatisme² ou plutôt sur la nécessité de lancer une ³révolution conservatrice², formule inventée par le poète Hugo von Hoff-mann-sthal et traduite par Jünger en termes ultra-nationalistes et guerriers. Pourtant, Jünger, in-fluencé par la fu-rie iconoclaste de Nietzsche, propose à l'époque de détruire totalement la société bour-geoise, ce qui lui permet d'utiliser aussi les mythes politiques de la gauche, dont l'idée bolchévique sug-gérée par Lénine, soit la mobilisation totale et militaire de l'Etat, utilisée auparavant en Allemagne par le Général Erich Ludendorff; chez Jünger, cette mobilisation totale deviendra la mobilisation totale de tout ce qui est allemand. Enfin, il utilise le mythe du travailleur-soldat, déjà loué par Trotsky; Jünger l'adopte et le propo-se, transformé par la pensée du philosophe Hugo Fischer. Cette synthèse de Lénine, Trotsky et Fischer deviendra Le Travailleur, au moment même où Jünger est l'allié du national-bolchévique Ernst Niekisch. Il faut encore noter que la pensée philosophique et politique de Heidegger a été profondément influencée par ce célébrissime essai de Jünger, qui moule audacieusement en une puissante unité philo-sophique la technique, le nihilisme et la volonté de puissance.

 

Parallèlement, l'écrivain se propose d'unifier tous les mouvements nationalistes allemands; c'est cette in-tention qui explique sa tentative initialement favorable à Hitler; il suffit de penser à la dédicace rédigée de son livre de 1925, Feuer und Blut  (= Feu et Sang) à l'intention du ³Führer national² Adolf Hitler, même si l'année précédente, il avait désapprouvé la décision des nazis d'adopter des méthodes légales et craint une trahison nationale-socialiste à l'égard de la pureté des idéaux nationaux-révolutionnaires. Quoi qu'il en soit, en 1927, Hitler propose à Jünger un siège au Parlement, mais l'écrivain ne l'accepte pas parce qu'il refuse le parlementarisme et toute forme de parti. Après 1933, Jünger se retire complètement de la politique parce qu'il est trop élitaire, aristocratique et révolutionnaire pour accepter qu'un mouvement de masse s'accapare de ses idées; par ailleurs, il se sent trop impliqué dans bon nombre d'idées nationa-listes pour pouvoir critiquer ouvertement le nouveau régime. En 1939, cependant, Jünger semble vouloir inter-venir directement, de manière critique, dans le régime nazi, en publiant son roman Sur les falaises de marbre. Selon un philosophe allemand contemporain, Hans Blumenberg, Jünger a rassemblé dans ce ro-man toutes les allusions aux événements de l'époque dans un scénario mythique, surtout après l'élimi-na-tion des opposants à Hitler lors de la ³nuit des longs couteaux², décidant ainsi de n'opposer plus qu'une résistance animée par la pure force de l'esprit. Un spécialiste plus connu du nazisme, George L. Mosse affirme que Jünger, dans ce roman, rejette les idées de sa jeunesse et retourne au protestan-tisme. En réalité, les choses sont beaucoup plus complexes.

 

De fait, Jünger, en 1938, dans la seconde version de son livre Le c¦ur aventureux,  fait allusion pour la première fois au mystérieux Ordre des Maurétaniens, une élite mystique de mages savants et guerriers, qui deviendra le protagoniste collectif du roman Sur les falaises de marbre, et, par la suite, de tous les autres romans de l'auteur. En premier lieu, nous devons souligner que Jünger et les révolutionnaires na-tionalistes de sa génération sont obsédés par le mythe politique d'un Ordre qui régit l'Etat et guide les masses. Les Maurétaniens sont à mi-chemin entre les Templiers et les Chevaliers Teutoniques, ils sont l'incarnation de ce mythe.

 

Donc, en 1938, Jünger écrit qu'au lieu de rester coincé dans ses chères études, il va s'introduire dans le milieu des Maurétaniens, qu'il définit comme des polytechniciens subalternes du pouvoir, parmi lesquels il nomme Goebbels et Heydrich, un des chefs de la SS. Ce n'est dès lors pas un hasard si Carl Schmitt écrit, dans son journal, que les Maurétaniens sont une allégorie des SS. Jünger, en outre, ajoute textuel-lement qu'"une équipe sélectionnée des nôtres est au travail dans les lieux secrets du plus secret Thibet". Effectivement, à cette époque, existait une organisation culturelle liée à la SS et dénommé l'Ahnenerbe  (= l'Héritage des Ancêtres), qui organisait entre autres choses des expéditions plus ou moins secrètes au Thibet, et était reçue par le Dalaï Lama en personne. Par ailleurs, il faut signaler que cette structure avait été mise sur pied, au départ, par un ami de Jünger, Friedrich Hielscher, le chef spiri-tuel des jeunes nationalistes allemands, avant d'être incluse par Himmler dans les institutions SS. Mais quand paraît le roman-pamphlet Sur les falaises de marbre, certains nazis, ignorant ces faits, réclament la tête de Jünger, qui sera défendu par le ³Maurétanien² Goebbels, et ensuite par Hitler lui-même, qui, ne l'oublions pas, avait confessé à Rauschning, stupéfait et attéré, avoir fondé un Ordre mystérieux. Nous sommes donc en présence d'un mystère historiographique et politique du 20ième siècle.

 

Le roman de Jünger est probablement le témoignagne d'un conflit politique et culturel qui se déroulait à l'intérieur du noyau dirigeant national-socialiste, et aussi, sans doute, à l'intérieur même de cet Ordre mystérieux, pour savoir comment imposer et diriger la politique intérieure et extérieure du IIIième Reich. Jünger, qui plus est, considère que l'un des protagonistes du roman, le Maurétanien Braquemart, est semblable à Goebbels, et que la figure démoniaque et destructive du Forestier peut être ramenée à Staline. Ensuite, en 1940, il attribue la victoire fulgurante des troupes allemandes en France à la Figure du Travailleur, décrite dans son livre Der Arbeiter.  En 1942, il fait rééditer son essai sur la mobilisation totale, au moment même où Hitler mobilise totalement et désespérément tout ce qui est allemand. Ce conflit in-terne entre les Maurétaniens, dans lequel Jünger entendait bel et bien intervenir en publiant son roman-pamphlet, s'est avivé pendant la durée du conflit, à cause des conséquences catastrophiques de la guerre voulue par Hitler et non par les autres membres de l'Ordre des Maurétaniens. Voilà pourquoi Jünger et son ami Hielscher en sont arrivés à comploter contre le Führer: ils voulaient désespérément éviter le destin tragique qui allait frapper l'Allemagne, ou au moins l'atténuer.

 

Jünger, en effet, fut l'un des organisateurs de la tentative de coup d'Etat du 20 juillet 1944, qui aurait dû avoir lieu après l'attentat contre Hitler. A Paris, où il est officier d'état-major dans le Haut Commandement des troupes d'occupation, centre du complot contre Hitler, Jünger écrit l'essai La Paix  qui est, en fait, le texte politique essentiel de ce complot, et dont le manuscrit avait été lu et approuvé par Rommel, le seul officier supérieur capable de mettre un terme à la guerre sur le front occidental et à affronter la guerre ci-vile. Mais le complot échoue, Rommel est contraint au suicide parce qu'il est condamné à mort. Le Maurétanien Hielscher est arrêté à son tour. Jünger semble vouloir nous dire que le Prince Sunmyra, un des auteurs malchanceux de l'attentat contre le Forestier dans le roman-pamphlet, peut être comparé au Colonel von Stauffenberg, l'auteur malchanceux de l'attentat contre Hitler. Claus von Stauffenberg, héros de la ³Résistance allemande², était un disciple de Stefan George, donc un représentant de ces Maurétaniens qui s'étaient donné le devoir de préserver l'Allemagne secrète. Et Hitler ne pouvait pas con-damner à mort l'Allemagne secrète, incarnée dans l'¦uvre et la personne de Jünger.

Antonio GIGLIO.
(article extrait de l'Italia settimanale, n°13/1995).

Kerouac et la "Beat Generation"

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Thorsten HINZ:

Kerouac et la "Beat Generation"

 

Le 5 septembre 1957, le New York Times  publie une recension qui deviendra légendaire: elle concerne le roman de Jack Kerouac On the Road. Ce livre est défini comme un ³événement historique² et ³une ¦uvre d'art authentique², qui mérite la ³plus grande attention² et revêt la ³plus haute signification², à une époque où justement nos attentions sont éparpillées, nos sensibilités estompées par les superlatifs de la mode, multipliés à l'infini par l'esprit et la puissance des médias. Le livre de Kerouac deviendra célèbre au titre de ³testament de la Beat Generation², tout comme La Fiesta de Hemingway avait été le testament de la Lost Generation. Aujourd'hui, nous fêtons le quarantième anniversaire de cette recension du New York Times  qui rendit Kerouac si célèbre, et le 75ième anniversaire de sa naissance. Mais Kerouac est mort en 1969, le 22 mars. C'est l'occasion d'aller rechercher dans les rayons de nos bibliothèques un ouvrage paru en 1983 aux Etats-Unis, traduit en plusieurs langues européennes et réédité en Allemagne en 1997: ce livre, c'est celui de la femme-écrivain américaine Joyce Johnson. Elle a écrit sur cette génération des textes de première main, du vécu en direct. Car Joyce Johnson  ‹qui s'appelait Glassmann à l'époque‹  a été l'amie et l'amante de Kerouac pendant deux ans.

 

Ce livre est d'autant plus intéressant qu'il traite d'un conflit de génération dans l'Amérique des années 50. Notre Allemagne contemporaine affronte, elle aussi, un conflit de génération où les pâles et rares ³septante-huitards² (ou: ³soixante-dix-huitards² en néo-gaulois, ndlr) tentent de se démarquer des ³soixante-huitards², les uns comme les autres étant rejetés par les ³quatre-vingt-neuvards², enfants de la réunification allemande. Deux de ces trois catégories sont des figures purement médiatiques ou des constructions symboliques. Elles recouvrent les divergences les plus hétéroclites entre les parvenus et ceux qui tentent de se tailler une place au soleil, entre partisans et critiques de la réunification allemande, entre protagonistes du conflit social entre Länder de l'Est et de l'Ouest, sans compter les innombrables clivages nés avant 1989 dont les thématiques sont virulentes: la principale, en Allemagne, reste tout de même l'effondrement du mythe du progrès linéaire et cumulatif, l'effondrement dans les esprits de cette modernité sans peur et sans reproche, qui croit pouvoir à terme résoudre tous les problèmes de l'humanité. A tout cela s'ajoute:
- l'énorme problème de l'emploi dans une Allemagne qui compte des millions de jeunes chômeurs,
- la question de la technique que la vague écologiste remet sans cesse sur le tapis,
- et le pouvoir démesuré des médias.
Impossible de fourrer toutes ces problématiques dans trois catégories: les 68tards, les 78tards et les 89vards.

 

En revanche, en son temps, la Beat Generation était un groupe de jeunes écrivains et d'intellectuels américains dont l'intérêt et la pertinence ont été très vite reconnus et acceptés: ce groupe témoignait d'une fraîcheur et d'une authenticité indéniables, mais, hélas, s'est figé et historicisé fort promptement. Outre Kerouac, ce mouvement littéraire comptait dans ses rangs des noms comme Allen Ginsberg, William Burroughs, Neal Cassidy, Gary Snyder autour desquels se formaient des cénacles ou des bandes de copains, d'admirateurs et de compagnons occasionnels. Sur le plan artistique, ces écrivains ont lancé quelques nouvelles formes lyriques et narratives, comme l'oral poetry. Ils ont ouvert la littérature américaine à de nouveaux thèmes jusqu'alors marginalisés, du moins en apparence. Sous leur impulsion, de nouveaux vocables apparaissent dans le langage quotidien des Américains: les "kicks" désignent les moments d'enthousiasme spontané. "Diggins" veut dire: comprendre spontanément l'autre. La Beat Generation était l'avant-garde de la ³génération silencieuse², soit celle d'après la seconde guerre mondiale; elle aurait sans doute préféré être la ³Lost Generation² mais on la considérait comme passive et conformiste. Exceptionnellement, cette génération produisait des individualités fortes ou des rebelles. Une question affable de T. S. Eliot convenait tragiquement à cette génération: "Oserais-je manger la pêche?". "Nous étions conscients  ‹et nous en souffrions‹  que nous n'osions pas, dans la plupart des cas".

 

Joyce Johnson, née en 1936, a décrit en détail sa propre biographie: elle est issue d'une famille de la classe moyenne new-yorkaise. Elle en a eu assez de la pruderie, de la bigoterie, de la bonne conscience sans compromis de cette famille qui était la sienne. Touchant et maladroit, son père, sur son lit de mort, prononce ces quelques mots: "Nous aurions dû aller à Paris". Elle se souvient de l'effet électrisant qu'eut sur elle un article de journal en 1952, où il était question des beatniks, d'excitation, de sensation, d'impatience et d'extase. En 1955, elle quitte la maison familiale, sans avoir d'emploi convenable, sans argent: elle travaille dans des maisons d'édition, elle écrit un roman. Elle fait la connaissance d'Allen Ginsberg, puis, finalement, de Jack Kerouac. Elle devient la petite amie du vagabond, qui n'était pas encore célèbre.

 

Six ans après avoir été écrit, le manuscrit On the Road  est enfin publié. Kerouac l'avait écrit en deux semaines dans une ivresse de créativité. Ce roman relate l'existence des tramps,  qui vagabondent de la côte Est à la côte Ouest: derrière un voile de fiction, on devine immédiatement le modèle beatnik. Kerouac renoue là avec une tradition américaine, qu'avait incarnée Jack London avant lui. Mais la Beat Generation n'est pas une simple copie de l'univers de London. Quand Kerouac commence ses pérégrinations en 1947, il lance sans détours un affront au nouveau ³way of life², tout de luxe et d'abondance. Après les années de famine et de misère, après la grande dépression des années 30, les Américains pouvaient enfin jouir de l'existence; Kerouac, lui, voyait déjà que cette abondance menait inexorablement au nivellement.

 

Le refus des normes, la fusion de la vie et de l'art, étaient davantage qu'un jeu esthétique: Kerouac et ses homologues jouaient ce jeu en courant un sérieux risque. Joyce Johnson, quand elle quitte la maison, n'a pas la moindre certitude et, un jour, elle se retrouvera tout en bas de l'échelle, dans le monde de la pauvreté. Des concierges méfiants la considèrent comme une ³pute². Gravir les escaliers de l'immeuble, c'est l'horreur pour elle. Pour l'opinion publique et pour les autorités, les beatniks sont le ferment de la criminalité et de la subversion; ce rejet était le prix à payer pour l'indépendance, extérieure et intérieure. Une indépendance qu'ils avaient voulue.

 

Mais c'était une danse sur le fil du couteau. A une de leur amie, dont les ambitions artistiques avaient échoué, la ³liberté² avait bien montré sa face de Méduse: elle s'est alors jetée par la fenêtre, en laissant ce poème: "pas d'amour/pas de pitié/pas d'intelligence/pas de beauté/pas d'humilité/vingt-sept ans, ça suffit".

 

Ce suicide était la conséquence extrême d'un mode d'existence qui se voulait inconditionné. Mode d'existence qui était la prémisse majeure de la vie artistique et bohème que voulaient les beatniks. Aux yeux de leurs contemporains et des générations suivantes, ce mode de vie fonde l'identité beatnik qui, aujourd'hui encore, irrite ou fascine. Certes, dans leur univers en marge, il y avait tout un rituel de groupe, beaucoup de superficialité. On cherchait à se rendre important en jouant les cradots. Chez les beatniks, seul le noyau dur et authentique compte, à encore une valeur pour notre réflexion contemporaine. D'après Joyce Johnson, Kerouac était chaotique, lunatique, il était un buveur bien sûr, mais il n'était ni calculateur ni manipulateur et les lamentations appelant la pitié lui étaient étrangères. Il voulait la gloire, pour faciliter son rapport au monde, ce qui s'est avéré problématique et erroné, dès que la gloire est arrivée.

 

Dans les années 50, les talkshows  commencent à se répandre aux Etats-Unis, avec un succès éclatant: dès lors, les médias, friands d'originalité ou de scandales, ne tardent pas à s'emparer du phénomène beatnik, surtout après les articles du New York Times. Et Kerouac, à son tour, a été sollicité par les médias. Il a franchi une frontière dangereuse. Quand il s'est efforcé de faire comprendre et de rendre crédible les ressorts de sa créativité à l'opinion publique liée aux médias, Kerouac a avoué qu'en vérité il cherchait Dieu. En disant cela, il a jeté son talent esthétique et visionnaire en pâture à la masse. Etre beatnik n'était plus qu'une mode sans risque, que l'on pouvait s'acheter sous la forme de lunettes ou de pulls! C'est donc ainsi qu'il fallait chercher Dieu, se sont dit tous les médiocres! Et en chacun de nous sommeille un homme ou une femme qui cherche Dieu. Surtout médiocrement.

 

C'est donc au nom de sa propre rébellion, au nom des espoirs qui avaient germés en elle dans les années 50, que Joyce Johnson critique aujourd'hui toutes les rébellions qui ont suivi la sienne: "Les années 60 n'ont jamais correspondu à ce que j'attendais. Elles m'ont déçue, malgré le feu d'artifice qu'elles étaient. Bon nombre de ³grands moments² des années 60 n'ont jamais été autre chose que des insuffisances. J'ai vu comment les hippies ont pris la succession des beatniks, comment les sociologues ont succédé aux poètes... C'est sans enthousiasme que j'ai observé l'émergence des ³lifestyles². L'intensité que nous avions connue s'est affadie, elle n'a plus été qu'une ³simple chose disponible², qu'on pouvait se fabriquer: on était obligé de pratiquer une ³liberté² pour laquelle il n'avait pas fallu se battre. L'extase n'était plus qu'un produit chimique, l'oubli, on pouvait se le faire prescrire sur ordonnance. La révolution était dans l'air, mais elle n'est jamais venue et, si elle était venue, il n'y aurait plus eu de place pour un Kerouac". Effectivement, les soixante-huitards professionnels d'aujourd'hui, que peuvent-ils faire d'un Kerouac? Et un Kerouac, qu'aurait-il penser d'eux?

Thorsten HINZ.
(article tiré de Junge Freiheit, n°41/1997).
Référence: Joyce Johnson, Warten auf Kerouac. Ein Leben in der Beat Generation, Verlag Antje Kunstmann, München, 1997, 279 pages, DM 29,80.

Naipaul

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Synergies européennes – Bruxelles/Anvers – Novembre 2006

Moestasjrik / ‘t Pallieterke :

Vidiadhar Surajprasad Naipaul, Prix Nobel de littérature

Réflexion hétérodoxe sur une œuvre identitaire indienne

Parfois, le comité qui, à Stockholm, confère les Prix Nobel, donne indirectement son avis sur les événements du monde en choisissant son lauréat pour le prix de littérature. Parmi les exemples les plus connus : le dissident soviétique Alexandre Soljenitsyne en 1970 et Orhan Pamuk cette année-ci, au beau milieu de la controverse qui agite les relations entre l’UE et la Turquie au sujet du génocide des Arméniens, que Pamuk reconnaît mais qu’Ankara ne reconnaît pas. En 2001, peu de temps après les attentats contre le World Trade Center et contre le Pentagone, attribués aux séides d’Oussama Ben Laden, le Comité de Stockholm avait porté tout aussi indirectement un jugement semblable. Le comité avait conféré le Nobel de littérature à Vidiadhar Surajprasad Naipaul, né en 1932 dans l’Ile de la Trinité (Trinidad). Bon nombre de commentateurs flamands de l’époque ne l’ont pas compris (ndt : ou pas voulu comprendre, par peur d’enfreindre la « correction politique » et d’encourir les foudres du « Centre d’égalité des chances »…) que ce choix avait été une réaction du jury face aux événements de cette année-là, face aux attentats contre le WTC, et, plus encore, face au phénomène qui se profilaient derrière ces attentats, soit l’islam militant.

Le samedi 4 novembre 2006, Naipaul se trouvait au Palais des Beaux Arts de Bruxelles, dans le cadre d’un festival consacré à l’Inde. Cette réception du Prix Nobel dans la capitale de la Flandre, de l’UE et de l’aire nord-atlantique est indubitablement le couronnement d’une carrière prestigieuse, où l’auteur a reçu le Booker Prize (en 1971), a été élevé au titre de chevalier par la Reine Elizabeth II en 1990 (on l’appelle depuis lors « Sir Vidia ») et, enfin, le Prix Nobel. Selon ses bonnes habitudes, Naipaul ne s’est nullement gêné : il a balayé d’un geste de la main les quelques questions de la présentatrice et du public et n’y a pas répondu. Ainsi, il ne s’est pas laissé empêtrer dans une discussion sans fin sur la problématique que pose l’islamisme ; néanmoins, il a bien affiché son affliction à voir combien les « progressistes » se tortillent les méninges et se contorsionnent dans tous les sens quand il s’agit de l’aborder et de la traiter.

Des faits patents

Or c’est pourtant la partie de son œuvre qui traite de l’islam qui lui a valu le Prix Nobel, en l’occurrence une série de « travelogues », comme disent les Anglo-Saxons. Les « travelogues » sont des récits de voyage non fictifs, que l’auteur a faits, en l’occurrence, pour Naipaul, dans les pays de l’Asie méridionale ; chez notre auteur, ils constituent une bonne moitié de son œuvre complète ; l’autre moitié étant composée de romans. Le premier volume de sa trilogie consacrée à l’Inde date de 1964 et s’intitule « An Area of Darkness ». Il s’agit encore de ces récits habituels, racontés sur le mode de la répulsion, où, lui, le touriste pétri d’occidentalisme, ne comprend pas l’Inde et regarde avec horreur la misère qui s’étale dans les rues et la corruption éhontée et brutale qui caractérise la société. Dans « A Wounded Civilization », de 1977, il a acquis un peu plus de sympathie pour la société hindoue, qui survit, profondément blessée après des siècles de colonisation islamique et occidentale. Le troisième volume de la trilogie, « A Million Mutinies Now », de 1990, traite avec un optimisme certain les mille et une manières par lesquelles les Indiens d’aujourd’hui prennent leur destin en main et s’insurgent contre la pression de traditions vieillies et contre les rapports de pouvoir actuels.

C’est surtout « A Wounded Civilization » qui a fâché les lecteurs progressistes, parce que le réquisitoire de Naipaul se portait contre les destructions perpétrées par les régimes islamiques des siècles précédents, réquisitoire qui était assorti d’une évidente sympathie pour le mouvement populiste hindou contemporain qu’est le parti « Shiv Sena », l’ « Armée des Shivadji », baptisée de la sorte en référence à un combattant de la liberté contre le pouvoir des Moghols au 17ième siècle. La version officielle de l’histoire indienne consiste à dire que l’islam a été une source bien accueillie de renouveau et de réformes sociales et que les destructions qu’il a perpétrées ont été exagérées dans les récits hindous ou qu’elles reflétaient une attitude normale que l’on repère dans toutes les cultures aux périodes les plus triviales de leur histoire. Naipaul rejette cette propagande, cette vision officielle et obligatoire, car il la juge idiote : son objectif est de rétablir les faits dans leur réalité, de remettre la vraie histoire à l’honneur.

Naipaul partage l’avis de l’historien américain Will Durant : « La conquête musulmane de l’Inde a probablement été l’épisode le plus sanglant de l’histoire mondiale. On peut toujours en faire un récit affligeant et la leçon que l’on peut en tirer est la suivante : la civilisation (la culture) est quelque chose de précieux, est la résultante d’un ensemble complexe d’éléments comme la liberté, la culture, l’art d’imposer et d’organiser la paix, qui peut à tout moment être jeté bas par des barbares qui attaquent de l’extérieur ou qui se multiplient à l’intérieur même des frontières » (ndt : on retrouve ici les catégories de Toynbee de « barbares extérieurs » et « barbares intérieurs »). Will Durant nous présente ici en un résumé très succinct de l’histoire des rapports entre Musulmans et Hindous depuis la première invasion musulmane de 636 jusqu’à nos jours.

Un traumatisme

Le 6 décembre 1992, des militants hindous attaquent et détruisent de fond en comble la Mosquée de Babar, allant même jusqu’à raser les moindres résidus du bâtiment. Cette mosquée avait probablement été bâtie par le premier empereur moghol Babar sur le site même d’un grand temple de Rama, détruit par les Musulmans, temple qui avait été érigé sur le lieu de la naissance de ce dieu-homme. A la suite de cette action militante hindoue, toutes les bonnes âmes de la planète ont concouru pour émettre les plus stridentes lamentations. Naipaul ne s’est pas joint à ce chœur. Dans un entretien, devenu célèbre, accordé au « Times of India », Sir Vidia a approuvé la « fougue créative » qui se profilait derrière cette action militante. Finalement, pensait-il, ce n’était qu’un retour au bon droit : la mosquée n’avait rien à faire sur ce site et ne constituait que le symbole d’un islam triomphant et d’un paganisme indien humilié. La civilisation blessée commençait enfin à extirper les épines douloureuses qui étaient fichées dans sa chair.

Dans « Among the Believers : an Islamic Journey », de 1981, et dans le volume qui en constitue la suite, « Beyond Belief : Islamic Excursions among the Converted Peoples », de 1998, il examine l’état de crise profond et permanent qui afflige le Pakistan et d’autres pays musulmans non arabes, régions qui ne peuvent ni affronter sereinement la modernité ni explorer normalement leur histoire. Naipaul constate et témoigne : l’islamisation a volé la culture originelle propre des musulmans non arabes et ce traumatisme de l’arrachement perdure de nos jours. Ces deux livres ont particulièrement attiré l’attention du Comité Nobel et donc promu la candidature de Naipaul, surtout après l’exécrable geste des taliban afghans et des sectataires d’Al-Qaeda en 2001 : ils venaient de détruire les magnifiques statues de Bouddha à Bamiyan (ndt : action vigoureusement condamnée par l’UNESCO). L’Afghanistan et le Pakistan sont devenus les plaques tournantes du terrorisme islamiste justement parce qu’ils sont des exemples paradigmatiques de pays qui vivent une terrible névrose depuis que leur propre culture a été oblitérée par l’islam et par des schèmes culturels issus d’Arabie.

La seule critique que je formulerai à l’encontre des thèses de Naipaul, c’est qu’il n’accorde aucune attention au fait que les musulmans arabes, eux aussi, sont confrontés à ce même problème. Certes, ils n’ont pas dû adopter un alphabet ou des vêtements étrangers, mais ils ont également été contraints à se soumettre à une religion, qui n’était pas la leur, et qui s’opposait diamétralement à leurs propres croyances. Les Arabes ont été les premières victimes de l’islam.

Moestasjrik / ‘t Pallieterke.

(article tiré de « ‘t Pallieterke », n°45/2006).

Pour la Vie, contre les structures abstraites!

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jure vujic,philosophie,philosophie de la vie,vitalisme

Intervention lors de la 8ième Université d'été de "Synergies européennes", Trente, juillet 1998

Pour la Vie, contre les structures abstraites!

Par Maître Jure VUJIC

Que signifie au juste la revendication de la vie face aux structures ab­straites? Dans le cadre d'une ap­pro­che philosophique, cela conduit vers une intention de réduire la portée des démarches de la pensée consciente et de ses médiations, et de po­ten­tia­liser celle de l'inconscient ou de la vie immédiate par une saisie de la réalité humaine en deça des formes et des constructions sociales et po­litiques artificielles et abstraites par essence, des traditions historiques désuètes et des cristallisations cul­turelles stéri­les.

Cette démarche philosophique que l'on pourrait qualifier soit d'“irra­tio­naliste” soit de “vitaliste” sous-entend même l'importance de la philosophie de Kant constatant les limites de la raison théorique et dont les prolon­gements critiques engendrent un double courant: l'un axé sur la volonté morale et sur une dialectisation de la raison (Fichte et Hegel) qui débouche par réaction dans le marxisme et le “matérialisme dialectique”; l'autre, qui revendique l'immédiateté de la vie, l'intuitionisme et le primat de l'instinct, procède du courant de pensée engendré par Schopenhauer, véritable père de l'irrationalisme contemporain, et trouve ses rami­fi­cations philosophiques chez Nietz­sche, Jung, Adler et même Freud, l'existentialisme français de Sartre et la philosophie existentielle de la vie que l'on retrouve chez Bergson, Schel­ling, Kierkegaard, Maurice Blon­del. L'école allemande, avec Wil­helm Dilthey, G. Misch, B. Groet­huysen, Ed. Spranger, Hans Leise­gang, A. Dempf, R. Eucken, E. Troeltsch, G. Simmel, ainsi que la phi­losophie naturaliste de la vie d'Os­wald Spengler et Ludwig Klages.

Le dénominateur commun que l’on retrouve dans chacun de ces courants de pensée hétéroclites et qui réside dans la revendication du principe de vie face au constructivisme abstrait, étant donné la diversité des pers­pectives qui l’expriment, ne se laisse pas enfermer dans un schéma d’interprétation global à la manière dont procède Georges Lukacs, le célèbre marxiste hongrois, qui considère la pensée irrationaliste allemande comme typiquement bourgeoise et « réactionnaire », en tenant pour définitivement acquis que l’histoire des idées est subordonnée à des forces primaires agissantes : situation et développement des forces de production, évolution de la société, caractère de la lutte des classes, etc…

Ce qui est certain, c’est que ce cou­rant de pensée vitaliste ou « irra­tionaliste » remet en question l’idée de progrès historique, la linéarité et le mythe progressiste, et qu’il re­pré­sente ainsi la contrepartie du courant de pensée qui, du XVIIIième siècle français à travers Kant et la révolution française, débouche dans la dialec­tique hégélienne et marxiste ; con­tre­partie dans la mesure où il déprécie le pouvoir de la raison, que ce soit en contestant  l’objectivité  du réel, que ce soit en réduisant  la connaissance intellectuelle à son efficacité techni­que, que ce soit en se réclamant d’une saisie mystique de la réa­lité « absolue »,  décrétée  irration­nelle dans son essence. La lutte contre l’abstraction et la raison a des formes aussi variées que les mo­tivations qui l’engendrent. Elle peut notamment aboutir à faire un principe de la notion d’absurde qui a surgi chez Scho­penhauer et plus tard chez Cioran.

De Leibniz à Kant et Schopenhauer

A l’opposé du rationalisme de la pensée occidentale, du principe de raison suffisante énoncé par Leibniz, du cartésianisme, la revendication de la vie dont Schopenhauer se fera le principal promoteur, sous-entend que l’intelligence ou la raison n’est pas à la racine de toute chose, qu’elle a surgi d’un monde opaque, et que les principes qu’elle introduit demeurent irrémédiablement à la surface de la réalité, puisqu’ils lui sont, comme l’intelligence elle-même, surajoutés. Le corollaire d’une telle conception est que la réalité qui fonde toutes les existences particulières est elle-même sans fondement, sans raison, sans cause (générale), que notre manière de raisonner, dès lors, est valable seulement pour ce qui est des rapports que les êtres et les choses entretiennent dans l’espace et dans le temps.

Au-delà d’un impératif absolu de la loi morale de type kantien, qui fonde le constructivisme de type ontologique et abstrait, Schopenhauer se fait le chantre d’une sourde impulsion à vivre, antérieure à toute activité logique, que l’on peut saisir au plus profond de soi-même pour une appréhension directe avant sa déformation abstraite dans les cadres de l’espace et du temps, et qui se révèle comme une tendance im­pulsive et inconsciente. Schopen­hauer, dans sa réflexion,  reprend  des motifs  hérités du « divin Platon » dans l’allégorie de la caverne qui nous révèle que le monde que nous percevons est un monde d’images mouvantes.

Schopenhauer et le « Voile de Maya »

D’autre part, il empruntera à la tradition de l’Inde l’idée que les êtres humains sont enveloppés dans le « voile de Maya », c’est-à-dire plon­gés dans un monde illusoire. Scho­penhauer restera persuadé que les fonctions  psychiques ne repré­sen­tent, par rapport à la réalité primaire et absolue du vouloir-vivre (Wille zum Leben)   qu’un aspect secon­dai­re, une adjonction,  une superstruc­ture  abstraite. A la tentation de l’il­lusoire, de l’abstrait et de l’absurde, que l’on menait vers un pessimisme radicale, Schopenhauer proposait le remède de la négation du vouloir-vivre, une forme supérieure d’ascé­tisme.

A l’idée d’humanité, qui lui paraît absurde, il oppose des « modèles » éter­nels qu’il empruntera au pla­to­nisme. Cet emprunt lui sert à ex­pli­quer les types de phénomènes du vouloir dans l’espace et dans le temps, phénomènes reproduisant incessamment des modèles, des formes, des idées éternelles et immuables. Il y a des idées infé­rieu­res, ou des degrés élémentaires, de la manifestation du vouloir : pe­san­teur, impénétrabilité,   solidité,  fluidi­té, élasticité,  magnétisme, chimis­me ; et les idées supérieures qui appa­rais­sent dans  le  monde orga­nique et dont  la  série  s’achève dans l’hom­me  concret.

Transformant la primauté du vouloir-vivre schopenhauerien en primauté de la volonté de puissance, opposant au renoncement préconisé par Scho­penhauer une affirmation-glori­fication de la volonté, Nietzsche se fait l’annonciateur de l’homme vital, de l’homme créateur de valeurs, de l’homme-instance-suprême,    en mê­me temps que de grands bou­leversements qui préfigurèrent le nihilisme européen  du XXième siè­cle. Et cela, au temps du positivisme abstrait et du constructivisme, c’est-à-dire à un moment où la prudence l’emporte et où la vie humaine paraît confortablement ancrée dans des institutions sécurisantes. Sur le chemin où l’homme européen s’est trouvé engagé jusqu’à présent, déterminé par l’héritage de l’Antiquité et par l’avènement du christianisme, la revendication de la vie chez Friedrich Nietzsche qui, par sa critique radicale et impitoyable de la religion, de la philosophie de la science, de la morale s’exprime à travers sa phrase lancinante : « Je ne suis pas un homme, je suis de la dynamite ».

Nietzsche : vitalisme et tragique

Le  vitalisme de Nietzsche se ré­vélera tout d’abord dans son œuvre La naissance de la tragédie, puis à travers la dichotomie qu’il institue entre l’esprit apollinien, créateur d’images de beauté et d’harmonie, et l’état dionysiaque, sorte d’ivresse où l’homme  brise  et dépasse les li­mites de son individualité. Apollon, symbole de l’instinct plastique, dieu du jour, de la clarté, de la mesure, force plastique du rêve créateur ; Dionysos, dieu de la nuit, du chaos démesuré, de l’informe, est pour Nietzsche le grand élan de la vie qui répugne à tous les calculs et à tous les décrets de la raison. Les deux figures archétypales sont pour Nietzsche la révélation de la nature véritable de la réalité suprême, l’an­tidote contre les structures existen­tielles  et  psychologiques  abstraites et sclérosées. C’est  dans  cette  opti­que que Nietzsche con­damnera la révo­lution  rationnelle de Socrate, dont il pense qu’elle  a tué l’esprit tragique au profit de la raison,  de l’homme  ab­strait  et  théorique.

Pour Nietzsche, être forcé de lutter contre les instincts, c’est la formule de la décadence : tant que la vie est ascendante, bonheur et instinct sont identiques. Avec Socrate et, après lui, le christianisme venant aggraver le processus, l’existence s’est, selon Nietzsche, banalisée  sur la  base d’un immense   malentendu qui ré­side dans la morale chrétienne de perfectionnement, ce que Deleuze nommera plus tard la morale des dettes et des récompenses.

Ce que Nietzsche veut dévoiler, c’est la toute-puissance de l’instinct, qu’il tient pour fondamental : celui qui tend à élargir la vie, instinct plus fort que l’instinct de conservation tendant au repos, que la crainte alimente et qui dirige les facultés intellectuelles abstraites. La volonté créatrice chez l’individu  est ce par quoi il se dé­passe et  va  au-delà  de lui-même ; il s’agit de se transcender et de s’é­prouver comme un passage ou com­me un pont. Le vitalisme de type héroïque conduira Nietzsche à dé­noncer le nihilisme européen en y contribuant par sa philosophie « à coups de marteau » à se faire, à coups d’extases, l’annonciateur du surhomme  et de l’Eternel  retour  face à l’homme abstrait et théorique et au mythe progressiste de l’hu­manité.

C’est ce qui fera dire à l’écrivain grec Nikos Kazantzaki qui appellera Nietzsche  le « grand martyr », parce que  Nietzsche  lui a appris à se dé­fier de toute théorie optimiste et abstraite.

Freud, apologiste des instincts vitaux

Avec Freud, nous pouvons quitter le domaine de la philosophie puisqu’il s’agit d’un médecin spécialisé en neuro-psychiatrie, dont toutes les théories en appellent à son expé­rience clinique. Mais il convient d’ob­server que les deux plans, celui de la réflexion philosophique et celui des sciences humaines ne peuvent être séparée  abstraitement. Freud for­gera,  pour qualifier l’élargissement de ses théories,  le terme de mé­ta­psy­cho­logie, en estimant que la réa­lité qu’il désigne est celle des pro­cessus inconscients de la vie psy­chique, qui permet de dévoiler ceux qui déterminent, par projection, les constructions   métaphysiques. Freud, irrationaliste au sens onto­logique du terme et apologiste des instincts vitaux du subconscient hu­main restera néanmoins un pes­simiste biologique.

C’est ainsi qu’au regard des deux grands   dissidents de la psychana­lyse qu’il a créée, son pessimisme diffèrera  de la confiance  d’Adler dans  la force ascensionnelle de la vie, comme de la vague nostalgie d’un  paradis  perdu  qui  imprègnera la pensée de Jung. Pour Adler, le besoin de s’affirmer chez l’être humain  reste  prédéterminant dans sa pensée, la vie est une lutte dans laquelle il faut nécessairement triompher ou succomber. Face aux abstractions de la raison qui nous menacent,  la  poussée  vitale,  ne peut  être valablement    appréhendée que  d’une manière  dynamique sous la forme  de  tendances,  d’impul­sions,  de  développement.  L’essen­tiel pour comprendre l’être humain, ce n’est pas la libido et ses trans­formations, c’est la volonté de puis­sance sous ses formes diverses : auto-affirmation, amour-propre, be­soin  d’affirmer son  moi, besoin de se mettre en valeur.

L’idée de communauté chez Adler

Adler identifie au sentiment social la force originelle qui a présidé à la formation de buts religieux régu­lateurs, en parvenant à lier d’une certaine manière entre eux les êtres humains. Le sentiment représente avant tout pour lui une tendance vers une forme de collectivité qu’il con­vient d’imaginer éternelle. Quand Adler parle de la communauté, il ne s’agit jamais pour lui d’une col­lectivité abstraite de type sociétaire actuel, ni d’une forme politique ou religieuse  déterminée. Il faut en­tendre le terme au sens d’une com­munauté  organique   idéale  qui  se­rait comme l’ultime réalisation de l’évolution  chez  Carl Gustav Jung ; le pouvoir  des archétypes n’est que la projection de l’affirmation de la vie face à la superstructure psycholo­gique conditionnée par les contin­gences externes et abstraites.

Jung : l’inconscient originaire, source de vie

Jung  dispose  d’une  véritable « vi­sion du monde » à partir de données intra­psychiques  et  qui sont à la base de sa  métapsychologie,  ainsi  que  de  sa psychologie analytique. Jung in­siste sur l’origine même de la conscience,  émergence  dont il pen­se  qu’elle s’est  lentement dévelop­pée  par  retrait  des  projections, ain­si que sur l’autonomie créatrice d’un inconscient impénétrable par un ou­tillage biologique. Toutes ses élu­cidations sont inscrites dans la per­spective d’un inconscient originaire, source de « vie », d’une ampleur in­commensurable, et d’où surgit quel­que chose de vrai. Pour lui, aucune théorie  ne peut vraiment expliquer les rêves, dont  certains plongent dans  les profondeurs de l’incons­cient. Il faut les prendre tels qu’ils sont : produits  spontanés,   naturels et objectifs de la psyché qui est elle-même la mère et la condition du conscient.

La doctrine de Jung postule l’exis­tence  de l’inconscient collectif, sour­ce des archétypes qui mani­festent des images et des symboles indé­pendants  du temps et de l’es­pace. Pour Jung, le psychisme in­dividuel baigne dans l’inconscient collectif, source  primaire  de l’éner­gie  psy­chique à l’instar de l’élan vital de Bergson. Selon Jung, l’homme mo­derne qui se trouve plongé dans des virtualités abstraites, a eu le tort de  se couper de l’inconscient   col­lec­tif, réalité vitale et objective, ce qui aurait  creusé un hiatus entre savoir et croire.

Animisme, instinctivisme, symbolique ontologique

La sagesse   jungienne   débouche  sur un anti-modernisme dont la con­dition de validité est que le monde eût été meilleur dans les époques à mentalité magique, qui privilégiait l’animisme, l’instinctivisme et le symbolisme ontologique  par  rap­port au rationalisme abstrait et em­pirique des temps modernes. Avant d’aborder  une succincte présen­ta­tion de la philosophie à proprement parler  existentielle, il convient de faire un détour sur une certaine  forme  d’irrationalisme  philosophi­que que l’on peut qualifier d’exis­tentialisme  ou  d’humanisme crispé et dont  la figure de proue  reste  Jean-Paul Sartre.

La raison dialectique, issue de la ré­volution française, de Hegel à Marx, implique une critique de la raison classique, plus spécifiquement de la manière dont celle-ci concevait les principes d’identité et de non-con­tradiction ;  et sa visée n’est plus de se détacher de la réalité historique et sociale pour la penser en dehors du temps, mais, au contraire,  d’ex­pri­mer l’orientation même de cette réa­lité. C’est ainsi que Karl Marx décré­tait, dans ses fameuses thèses sur Feuerbach,  qu’il ne s’agit plus d’in­ter­­­préter le monde, mais de le transformer.

Sartre et la totale liberté de l’homme

Ces remarques visent à situer l’at­titude de Jean-Paul Sartre,  philoso­phe  existentialiste  de  l’engagement et de la liberté, hostile à tout retrait hors  de la réalité historique et so­ciale. Promoteur au départ d’une conception  irrationaliste  de  la li­ber­té, il a voulu, à partir d’elle, exercer une action politique et sociale révo­lutionnaire, ce qui l’a forcément con­duit à se rapprocher du courant de pensée communiste. Dans L’Etre et le Néant, Sartre entreprend de dé­monter la totale liberté de l’homme. Il veut prouver que la liberté humaine surgit dans un monde « d’existants bruts » et « absurdes ». La liberté, c’est l’homme lui-même et les choses au milieu desquelles elle apparaît : lieu, époque, etc., con­stituant la situation. Lorsque Sartre nous  dit que  l’homme  est  con­dam­né à la vie et à la liberté, il faut entendre que celle-ci n’est pas fa­cultative, qu’il faut choisir inces­sam­ment, que la liberté est la réalité mê­me de l’existence humaine.

Quant aux choses abstraites dans lesquelles  cette  liberté  se ma­nifes­te,  elles  sont  contingentes au sens d’être là, tout simplement, sans rai­son, sans nécessité. Il y a donc pour Sartre, sur le plan ontologique, une dualité radicale entre la liberté (le pour-soi) et le monde (l’en-soi). Il n’en  demeure   pas moins que l’en­ga­gement  marxiste-léniniste de Sartre dénote chez lui une certaine intégration  dans  les  circuits ab­straits  d’une idéologie contestatrice pour ses débuts ; et réactionnaire dans l’après-68.

Chez Sartre, l’existentialisme con­sistait à intégrer dans le souci d’ex­ercer  une action politique et sociale et de la justifier, l’apport du courant hégélo-marxiste à une théorie ayant d’abord consacré le primat de la vie immédiate comme liberté absolue au sein d’une réalité parfaitement opa­que ; effort qui confère à son hu­manisme  une  singulière crispation et le conduit   irrémédiablement   dans les méandres de l’abstraction idéologique.

A l’instar de cet existentialisme de type sartrien, la « philosophie de la vie » qui se développera du 19ième au 20ième siècle en Allemagne et en France privilégie les notions de vi­talisme, de personnalisme, d’ir­réversibilité,  d’irrationnel  par  rap­port au statisme, à la logique, à l’ab­strait, à la généralité et au schéma­tisme. C’est dans ce courant de pen­sée que s’inscrit Henri Bergson, promoteur de l’idée « d’élan vital », qui s’oppose au mécanicisme, au matérialisme et au déterminisme.

L’Etre est conçu comme une force vitale qui s’inscrit dans son propre rythme,  dans  une donnée onto­logique spécifique. L’intuition reste l’impératif  pour  tout être humain pour appréhender l’intériorité et la totalité.  La vie reste et transcende la matière,  la conscience  et  la mé­moi­re et appelle l’élan d’amour qui seul est à même de valoriser l’intériorité, la liberté et la volonté créatrice.

Le vitalisme de Maurice Blondel

Le vitalisme de Maurice Blondel ré­side dans l’affirmation et la su­pré­matie de l’action qui est la véritable force motrice de toute pensée. On peut déceler dans les conditions existentielles de l’action l’interaction d’une pensée cosmique, et Blondel proclamera que la vie « est encore plus que la vie ». Parallèlement à ce courant  de  pensée français s’in­sé­rant dans la philosophie de la vie, se développera   une philosophie de la vie purement allemande, de type scien­tifico-spirituel,  qui appréhen­dera   le phénomène de la vie dans ses  formes  historiques,   spirituelles et constituant  une véritable école d’in­terprétation des phénomènes spirituels dans le cadre de la phi­losophie,  de la pédagogie, de l’his­toire et de la littérature.

Wilhelm Dilthey assimilera le phé­nomène de la vie sans a priori mé­taphysique au concept de la « com­préhension » (Verstehen), avec des prolongements structuralistes et typologiques. Dans le sillage de son école  se distingueront    des pen­seurs tels que G. Mische, B. Groet­huysen, Ed. Spranger, Hans Lei­segang, A. Dempf. Dans cette continuité,  Georg Simmel  concluera que la vie, qui est par essence informe, ne peut devenir un phé­nomène que lorsqu’elle adopte une forme, ce qui suppose qu’elle doit elle-même se transcender pour être au-dessus  de  la vie. Dans le cadre de l’école  structuraliste de la philo­sophie de la vie allemande, s’illu­streront  Oswald Spengler, qui dé­crivit le déclin de l’Occident comme une morphologie de l’histoire de l’humanité,  et  surtout  Ludwig Kla­ges, qui prophétisera la ruine du monde au nom de la suprématie de l’esprit,  car l’esprit étant  l’ennemi de la vie anéantit la croissance et l’é­panouissement  de la nature in­no­cente et originelle.

De Chateaubriand à Berdiaeff

Chateaubriand disait, dans Les Mémoires d’Outre-tombe : « La mode est aujourd’hui d’accueillir la liberté d’un rire sardonique, de la regarder comme une vieillerie tombée en désuétude avec l’honneur. Je ne suis point  à  la mode,  je pense que,  sans la liberté, il n’y a rien dans le monde ; elle donne du prix à la vie ; dussé-je rester le dernier à la défendre, je ne cesserai de proclamer ses droits ». Nul autre penseur et écrivain que Nicolas Berdiaeff, le mystique aristo­crate russe du 20ième siècle ne don­nera autant de résonance à ces paroles  en insistant constamment sur  l’étroite  correspondance  entre  la liberté et l’impératif de la vie face aux diverses séductions des struc­ures  abstraites de la pensée, de la psychologie, de l’idéologie qui en­gendrent diverses formes d’escla­vagisme. L’homme est tour à tour esclave de l’être, de Dieu, de la na­ture, de la société, de la civilisation, de l’individualisme, de la guerre, du nationalisme, de la propriété et de l’argent, de la révolution, du collec­tivisme, du sexe, de l’esthétique, etc.

Les mobiles internes de la phi­lo­sophie  de  Berdiaeff restent  con­stants  depuis  le début : primauté de la liberté sur l’être, de l’esprit sur la nature, du sujet sur l’objet, de la personne  sur le général et l’univer­sel, de la création sur l’évolution, du dualisme  sur le monisme, de l’a­mour sur la loi. La principale source de l’esclavage de l’homme et du processus  engendré  par l’abstrac­tion  et  l’illusion constructiviste ré­side dans l’objectivation et la socia­lisation à outrance de l’Etre, dans l’atomisation sociétaire et indivi-dualiste qui détruit les formes or­ganiques de la communauté ; cette dernière est fondée sur l’affirmation de l’idée personnaliste et au­then­tiquement aristocratique, donc diffé­rencialiste ;  l’affirmation  de  la qua­lité en opposition avec la quantité, la reconnaissance  de  la  primauté  de la personne impliquant bien celle d’une  inégalité   métaphysique,   d’u­ne diversité,  celle  des distinc­tions, la désapprobation de tout mé­lange.

Berdiaeff, en  dénonçant  toute  forme de statolâtrie, a  considéré  que la plus grande séduction de l’histoire humaine est celle de l’Etat dont la force assimilante est telle qu’on lui résiste  malaisément.  L’Etat n’est pas une personne, ni un être, ni un organisme,  ni une essentia ; il n’a pas son existence propre, car il n’existe  que  dans  et par les hom­mes dont il se compose et qui re­présentent, eux, de vrais centres existentiels. L’Etat n’est qu’une pro­jection, une extériorisation, une ob­jectivation des états propres aux hom­mes eux-mêmes. L’Etat qui fait reposer  sa  grandeur  et sa puis­sance sur les instincts les plus bas peut  être  considéré comme le pro­duit d’une objectivation comportant une  perte complète de la per­son­nalité, de la liberté et de la ressem­blance humaine. C’est l’expression extrême de la chute. La base mé­taphysique de l’anti-étatisme chez Berdiaeff  est  constituée  par le pri­mat de la vie et de la liberté de l’être, de la personne, sur  la  société.

Miguel de Unamuno et l’homme concret

Dans  le prolongement  de  Berdiaeff, et pour conclure, Miguel de Una­mu­no, dans son œuvre Le sentiment tragique de la vie, proclamera la suprématie de la concrétude de la personne  face  à  l’humanité  ab­straite par cette phrase : « Nullum hominem  a  me  alienum puto ». Pour lui, rien ne vaut, ni l’humain ni l’humanité, ni l’adjectif simple ni le substantif  abstrait,  mais  le substan­tif concret : l’homme. L’homme con­cret, en chair et en os, qui doit être à la  base  de toute philosophie vraie, qui  se  préoccupe  du  sentimental, du  volitionnel, de la projection dans l’infini intérieur de l’homme donc de la vie et d’un certain sentiment tra­gique de la vie qui sous-entend  le pro­blème de notre destinée indi­vi­duelle et personnelle et de l’im­mor­talité de l’âme.

Maître Jure VUJIC. 

Mousquetaires et libertins

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Mousquetaires et libertins : l’itinéraire des "Hussards" 

par Patrick Canavan

« Nous sommes quelques-uns dont les traits communs sont un certain sérieux, un besoin de vérité, un air sombre. Mais les choses sont établies de telle sorte que nous faisons figure d’esprits légers. Nous ne respectons ni les lois ni les êtres qui nous gouvernent. Nous ne faisons pas leurs prières: lecture quotidienne et suivie des journaux de la République, discours hebdomadaires sur le Cours des Choses, contribution à la conscience morale universelle... Nous sommes les libertins du siècle ».  Roger Nimier

Dans le portrait fraternel qu’il trace de Nimier, l’écrivain Jean Mabire cite ce beau passage de la Lettre d’un fils à son père: ces lignes de 1950 n’ont pas pris une ride, à l’instar des livres d’un seigneur des Lettres françaises trop tôt disparu. Depuis l’article célèbre de B. Frank, tout le monde ressasse le mythe des Hussards, quarteron d’écrivains qualifiés de « fascistes », personnages faibles et légers, évidemment suicidaires, friands d’alcool (ce n’est pas toujours faux), de voitures et de salons, etc. Ce cliché, simpliste et réducteur, masque toute la réalité, que décrit fort bien un livre récent de Christian Millau, qui, avant de devenir un chroniqueur gastronomique mondialement connu, fréquenta Nimier et sa bande.

Au galop des hussards, publié par l’un de ces « hussards », à savoir Bernard de Fallois, retrace les années 50, devenues mythiques: l’intelligentsia de gauche, Sartre en tête, dominait lourdement Paris et faisait régner, déjà, une sorte de politiquement correct, moins larmoyant que celui que nous connaissons, plus brutal, moins subtil (les communistes, déclarés ou cryptés, constituaient encore une force) et sans doute moins efficace. Nimier, jeune surdoué, eut le courage de faire front aux pions et aux flics de salon, réhabilitant des aînés « suspects », dont Céline, Morand, Chardonne ou Jouhandeau. L’époque était féroce: lorsqu’en 1950, Le Hussard bleu est pressenti pour le Goncourt, de braves humanistes font courir le bruit que l’auteur serait un ex-milicien. Or, Nimier s’était engagé en janvier 1945, à 20 ans, pour l’Extrême Orient. Vu son jeune âge, il dut rester en France, où il faillit périr d’ennui.  Nimier, tel Déon ou Laurent, ne fut jamais fasciste pour une raison bien simple: comme l’avait pressenti Malraux, pour être fasciste, il faut être pessimiste et actif,  - ce qui est le propre des âmes de qualité - mais, surtout, dénué d’un principe auquel rester fidèle, ce qui est ici le propre des nihilistes. Or Nimier est fidèle à la civilisation française classique, celle des mousquetaires, de Ronsard, de Balzac et de Dumas. Monarchiste, nostalgique d’une France aimable et paysanne, à la gentillesse racée, il ne pouvait qu’être rétif aux emportements totalitaires, trop fin pour céder aux sombres séductions des cathédrales de lumière. S’il joua parfois au fasciste de salon, c’était, comme nombre de ses cadets, par dégoût, pour ne pas devoir expliquer à des limaces en quoi consiste le principe de légitimité. Posture baroque, certes, mais point trop fatigante et qui permet de déplaire au plus grand nombre, ce qui n’est jamais à négliger. Voilà sans doute la principale leçon du rebelle Nimier: à chaque lecture, il nous réapprend la hauteur, le style. Never explain, never complain.

En quelques années, ce jeune prodige publie une rafale de romans et d’essais brillants qui font de lui l’un des grands de sa génération: romancier, critique à l’immense culture, analyste de la décadence française, homme d’influence. Nimier est partout, aide tout le monde, sans sectarisme. Comme le dit Millau: « Roger ne sera jamais du côté des vainqueurs mais toujours des perdants. Il porte en lui le goût de l’échec et l’échec est sa noblesse. C’est un rebelle qui n’a que faire de la victoire. Elle l’ennuie. C’est un solitaire couvert d’amours et d’amitiés mais qui ne courbe pas le cou, comme les autres, vers le collier et la laisse ». En quelques lignes, Millau nous dépeint les qualités, une raideur de la nuque, et les tares, une fascination morbide pour la défaite, d’une certaine droite française. Faisons tout de même remarquer que, sur le plan littéraire, cela donne de beaux résultats. Nimier, Drieu, Morand ou Céline, bien plus que maints théoriciens, sont passionnément lus des dizaines d’années après leur mort et continuent d’inspirer de jeunes rebelles... En est-il de même avec Robbe-Grillet, Sartre ou de Beauvoir, la donneuse de leçons qui parlait sur Radio-Vichy fin 43?

Millau nous rend son ami très proche et fait bien comprendre à quel point l’homme était supérieur: rien de vil chez lui,  du courage et une belle capacité de travail (Nimier était un lecteur infatigable et un découvreur hors pair). Son livre de souvenirs, très pudique, nous présente d’autres grands comme Céline: « Pour faire un roman, j’écris dix mille pages et j’en tire huit cents. Céline qui parle avec les mots de tous les jours... Tu rigoles? C’est du travail, c’est un métier, la transposition. Le lecteur s’attend à un mot et moi, je lui en colle un autre. C’est ça le style. Le sujet, ça ne compte pas. » Ou Morand, un très grand lui aussi, dont l’épouse, ex-princesse Soutzo s’exclame dans les dîners: « je n’ai jamais vu autant de Juifs que depuis qu’on les a exterminés. N’est-ce pas extraordinaire? ». Précisons que, contrairement à tant d’admirateurs des Juifs après la tourmente (et plutôt inactifs sous l’Occupation), Hélène Morand en sauva au moment opportun, quand c’était réellement dangereux. Mais ce genre de déclarations incendiaires ne devait pas aider Paul Morand à rentrer à l’Académie, d’autant plus qu’il avait contre lui la grande Zorah et Monseigneur Mauriac.

Millau apporte aussi d’utiles précisions sur la guerre d’Algérie, notamment sur certains milieux militaires hostiles au mythe absurde de l’Algérie française et à la négociation avec les progressistes, dont on connaît aujourd’hui les résultats.

Lors de la crise algérienne et de la petite guerre civile qui s’ensuivit, nombre de « hussards », adeptes de la littérature dégagée (mais qui avaient déjà pris parti avant et après 1939), se retrouvent partisans. Déon, Laurent, Laudenbach, se muent en conspirateurs, se lancent dans la bagarre avec un panache inimitable.

Le mérite du livre de Millau est de nous restituer cette après-guerre, qui vit une kyrielle d’irréguliers ferrailler contre les croisés du progressisme. Millau annonce, à la fin de son livre, l’ordre classique pour le prochain siècle. Puisse-t-il être entendu par les dieux car face à l’homogène qui semble aujourd’hui triompher, face à tous ceux qui abdiquent ou pactisent, une nouvelle bouffée d’air pur est urgente, vitale même.

Patrick Canavan

C. Millau, Au galop des hussards, Editions de Fallois, 1998. 120F.

Sur l’époque, il faut lire l’essai de P. Louis, La Table ronde: une aventure singulière, La Table ronde, 1992, et  la belle dérive d’O. Frébourg, Nimier. Trafiquant d’insolence, Editions du Rocher 1989.

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